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le peuple; et la seconde, voisine de la mort, à se déceier et à se ruiner les uns les autres.

* Cet homme qui a fait la fortune de plusieurs, qui a fait la vôtre, n'a pu soutenir la sienne, ni assurer avant sa mort celle de sa femme et de ses enfants; ils vivent cachés et malheureux : quelque bien instruit que vous soyez de .a misère de leur condi tion, vous ne pensez pas à l'adoucir; vous ne le pouvez pas en effet, vous tenez table ', vous bâtissez; mais vous conservez par reconnaissance le portrait de votre bien-facteur, qui a passé, à la vérité, du cabinet à l'antichambre, quels égards! il pouvait aller au garde-meuble".

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* Il y a une dureté de complexion; il y en a une autre de condition et d'état. L'on tire de celle-ci, comme de la première, de quoi s'endurcir sur la misère des autres, dirai-je même, de quoi ne pas plaindre les malheurs de sa famille. un bon financier ne pleure ni ses amis, ni sa femme, ni ses enfants.

Fuyez, retirez-vous; vous n'êtes pas assez loin. Je suis, ditesvous, sous l'autre tropique. Passez sous le pôle, et dans l'autre hémisphère; montez aux étoiles, si vous le pouvez. M'y voilà. Fort bien, vous êtes en sûreté. Je découvre sur la terre un homme avide, insatiable, inexorable, qui veut, aux dépens de tout ce qui se trouvera sur son chemin et à sa rencontre, et quoi qu'il en puisse coûter aux autres, pourvoir à lui seul, grossir sa fortune, et regorger de bien.

* Faire fortune est une si belle phrase, et qui dit une si bonne chose, qu'elle est d'un usage universel on la reconnaît dans toutes les langues, elle plaît aux étrangers et aux barbares : elle

1. Vous tenez table. Cette ironie est encore plus cruelle que le reproche direct d'ingratitude qui précède.

2 Au garde-meuble. Lieu où l'on serre les meubles dont on ne fait point usage. 3 De quoi s'endurcir. M. Rafe. Ce grand homme sec, qui vous donna il y a deux mois deux mille francs pour une direction que vous lui avez fait avoir à Valogne... il lui est arrivé un malheur... on a surpris sa bonne foi; on lui a volé quinze mille francs.... Dans le fond, il est trop bon.

M. Turcaret. Trop bon! trop bon! Eh! pourquoi diable s'est-il donc mis dans les affaires?.... Trop bon! trop bon!

M. Rafe. Il m'a écrit une lettre fort touchante, par laquelle il vous prie d'avoir pitié de lui.

M. Turcaret. Papier perdu, lettre inutile.

M. Rafe. Et de faire en sorte qu'il ne soit point révoqué.

M. Turcaret. Je ferai plutôt en sorte qu'il le soit : l'emploi me reviendra; je le donnerai à un autre pour le même prix... j'agirais contre mies intérêts! Je mériterais d'être cassé à la tête de la compagnie. LESAGE, Turcaret, III, 9.

règne à la cour et à la ville; elle a percé les cloîtres et franchi les murs des abbayes de l'un et de l'autre sexe : il n'y a point de lieux sacrés où elle n'ait pénétré, point de désert ni de solitude où elle soit inconnue.

* A force de faire de nouveaux centrats, ou de sentir son argent grossir dans ses coffres, on se croit enfin une bonne tête, et presque capable de gouverner.

* Il faut une sorte d'esprit pour faire fortune, et surtout une grande fortune ce n'est ni le bon ni le bel esprit, ni le grand ni le sublime, ni le fort, ni le délicat; je ne sais précisément lequel c'est, et j'attends que quelqu'un veuille m'en instruire '.

Il faut moins d'esprit que d'habitude ou d'expérience pour faire sa fortune; l'on y songe trop tard, et quand enfin l'on s'en avise, l'on commence par des fautes que l'on n'a pas tɔujours le loisir de réparer de là vient peut-être que les fortunes sont si rares.

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Un homme d'un petit génie peut vouloir s'avancer : il néglige tout, il ne pense du matin au soir, il ne rêve la nuit qu'à une seule chose, qui est de s'avancer. Il a commencé de bonne heure, et dès son adolescence, à se mettre dans les voies de la fortune : s'il trouve une barrière de front qui ferme son passage, il biaise naturellement, et va à droit3 ou à gauche, selon qu'il y voit de jour et d'apparence; et si de nouveaux obstacles l'arrêtent, il rentre dans le sentier qu'il avait quitté ; il est déterminé par la nature des difficultés, tantôt à les surmonter, tantôt à les éviter, ou à prendre d'autres mesures; son intérêt, l'usage, les con

4. M'en instruire. Turcaret nous le dira: Un bel esprit n'est pas nécessaire pour faire son chemin. Hors moi et deux ou trois autres, il n'y a que des génies assez communs. Il suffit d'un certain usage, d'une routine qu'on ne manque guère d'attraper. Nous voyons tant de gens! Nous nous étudions à prendre ce que le monde a de meilleur; voilà toute notre science. 11, 6.

2. Petit génie. » Un homme d'esprit échouc dans ses entreprises, parce qu'il basarde beaucoup. Sa vue, qui se porte toujours loin, lui fait voir des objets qui sont à de trop grandes distances; sans compter que dans la naissance d'un projet, il est moins frappé des difficultés qui viennent de la chose que des remèdes qui sont de lui, et qu'il tire de son propre fonds. Il néglige les menus détails, dont dépend cependant la réussite de presque toutes les grandes affaires. L'homme médiocre, au contraire, cherche à tirer arti de tout: il sent bien qu'il n'a rien à perdre en négligences. MONTESQUIEU. 3. A droit. On dit aujourd'hui à droite. Mais dans le xviie siècle on disait à droit Ne saurait-on que dire: on prend la tabatière; Soudain à gauche, à droit, par devant, par derrière, Gens de toutes façons, connus et non connus, Pour y demander part sont les très-bien venus.

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T. CORNEILLE le Festin de Pierre, acu sc. 1.

jonctures le dirigent. Faut-il de si grands talents et une si bonne tête à un voyageur pour suivre d'abord le grand chemin, et, s'il est plein et embarrassé, prendre la terre et aller à travers champs, puis regagner sa première route, la continuer, arriver à son terme? Faut-il tant d'esprit pour aller à ses fins? Est-ce donc ur prodige qu'un sot, riche ' et accrédité ?

Il y a méme des stupides, et j'ose dire des imbéciles, qui so placent en de beaux postes, et qui savent mourir dans l'opulence, sans qu'on les doive soupçonner en nulle manière d'y avoir contribué de leur travail ou de la moindre industrie : quelqu'un les a conduits à la source d'un fleuve, ou bien le hasard seul les y a fait rencontrer1; on leur a dit : Voulez-vous de l'eau ? puisez; et ils ont puisé.

* Quand on est jeune, souvent on est pauvre : ou l'on n'a pas encore fait d'acquisitions, ou les successions ne sont pas échues. L'on devient riche et vieux en même temps; tant il est rare que les hommes puissent réunir tous leurs avantages! et si cela arrive à quelques-uns, il n'y a pas de quoi leur porter envie : ils on assez à perdre par la mort, pour mériter d'être plaints.

* Il faut avoir trente ans pour songer à sa fortune; elle n'est pas faite à cinquante: l'on bâtit dans sa vieillesse, et l'on meurt quand on en est aux peintres et aux vitriers.

* Quel est le fruit d'une grande fortune, si ce n'est de jouir de la vanité, de l'industrie, du travail et de la dépense de ceux qui sont venus avant nous ; et de travailler nous-mêmes, de planter, de bâtir, d'acquérir pour la postérité * ?

* L'on ouvre et l'on étale tous les matins pour tromper son monde ; et l'on ferme le soir après avoir trompé tout le jour.

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1. Qu'un sot riche. Le xvIIe siècle parlera de la finance avec plus de respect: La fortune de finance n'était guère autrefois qu'une loterie; au lieu qu'elle est devenue un art, une science qui a ses principes et sa méthode comme les autres. DUCLOS, Considérations sur les mœurs. — J'ai cherché, dit Vauvenargues, s'il n'y avait pas moyen de faire sa fortune sans mérite, et je n'en ai trouvé aucun..

2. Stupides, imbeciles. Nous renverserions cette gradation.

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3. Industrie, dans ce passage et dans plusieurs autres de ce chapitre, signifie fabileté, habileté suspecte.

4. Les y fait rencontrer. Le hasard seul les y a conduits. Cette construction nest pas très-régulière. Rencontrer ne veut un complément indirect que lorsqu'il est précédé d'un adverbe; et alors il signifie reussir. Le nasard a voulu qu'il ait rencontré son fait. Cet astrologue a bien rencontré dans ses prédictions.

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5. Pour la postérité. La Fontaine a dit avec moins d'humeur et plus de vraie philosophie, dans le Vieillard et les trois jeunes hommes (x1, 8) :

Mes arriere-neveux me devront cet ombrage etc.

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* Le marchand fait des montres pour donner de sa marchandise ce qu'il y a de pire: il a le catis et les faux jours afin d'en cacher les défauts, et qu'elle paraisse bonne; il la surfait pour la vendre plus cher qu'elle ne vaut ; il a des marques fausses et mys térieuses, afin qu'on croie n'en donner que son prix; un mauvais aunage pour en livrer le moins qu'il se peut ; et il a un trébuchet, afin que celui à qui il l'a livrée la lui paye en or qui soit de poids. * Dans toutes les conditions, le pauvre est bien proche de l'homme de bien, et l'opulent n'est guère éloigné de la friponnerie; le savoir-faire et l'habileté ne mènent pas jusques aux énormes richesses.

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L'on peut s'enrichir dans quelque art ou dans quelque commerce que ce soit, par l'ostentation d'une certaine probite.

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*De tous les moyens de faire sa fortune, le plus court et le meilleur est de mettre les gens à voir 3 clairement leurs intérêts à vous faire du bien.

* Les hommes pressés par les besoins de la vie, et quelquefois par le désir du gain ou de la gloire, cultivent des talents profanes, ou s'engagent dans des professions équivoques, et dont ils se cachent longtemps à eux-mêmes le péril et les conséquences;

1. ⚫ Montres.. Se dit parmi les marchands de l'exposition de leurs marchandises, l'une après l'autre, aux acheteurs. Un marchand n'est point chiche de faire des montres; il dit qu'il n'en coûtera rien pour la montre. L'acheteur le prie qu'il ne lui fasse point de montre, qu'il lui donne d'abord du plus beau. - Montre se dit aussi des étoffes et des marques que les marchands mettent au-devant de leurs boutiques, pour enseigner aux passants les choses dont ils font trafic. Ces rubans, ces brocards ne sont plus à la mode; il ne sont bons que pour mettre sur la boutique et faire des montres.. FURETIÈRE. De nos jours les marchands mettent au contraire en montre ce qu'ils

ont de plus beau.

2. Catis.. Catir, presser le drap, en sorte qu'il soit poli, uni et luisant. On le dit aussi de toute sorte de laine ainsi préparée. On ne saurait bien voir la finesse d'un bas d'estame quand il est cati. FURETIERE. - Il est curieux de retrouver dans un dictionnaire de la langue française les critiques qui nous paraissent si vives dans La Bruyère. Il semble cependant que notre auteur, en condamnant aussi durement les marchands de son temps, a trop cédé aux préjugés de la cour, et aux souvenirs des déclamations que les anciens ont si souvent répétées contre le commerce.

3. Savoir-faire. Quoique ce terme exprime assez bien, les personnes qui parlent le mieux ne peuvent s'y accoutumer. Il n'y a pas d'apparence qu'il subsiste, et je ne sais même s'il n'est point déjà passé. Aussi est-il très-irrégulier et même contre ie génie de notre langue, qui n'a point de substantif de cette nature. BOUHOURS. Ce mot est cependant resté.

4. Par l'ostentation. Mot dur et injuste.

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5. Mettre les gens à voir. Mettre les gens au point de voir, disposer les gens de manière à ce qu'ils voient leur intérêt. Mettre à ne s'emploie plus qu'avec un substantif.

6. Équivoques. On a cru qu'il s'agissait ici de Racine et de Quinauit qui renoncèrent, par dévotion, à écrire pour le théâtre.

ils les quittent ensuite par une dévotion discrète qui ne leur vient jamais qu'après qu'ils ont fait leur récolte, et qu'ils jouissent d'une fortune bien établie.

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* Il y a des misères sur la terre qui saisissent le cœur : il manque à quelques-uns jusqu'aux aliments; ils redoutent l'hiver, ils appréhendent de vivre. L'on mange ailleurs des fruits précoces; l'on force la terre et les saisons pour fournir à sa délicatesse de simples bourgeois 2, seulement à cause qu'ils étaient riches, ont eu l'audace d'avaler en un seul morceau la nourriture de cent familles. Tienne qui voudra contre de si grandes extrémités; je ne veux être, si je le puis, ni malheureux, ni heureux je me jette et me réfugie dans la médiocrité.

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* On sait que les pauvres sont chagrins de ce que tout leur manque, et que personne ne les soulage; mais s'il est vrai que les riches soient colères, c'est de ce que la moindre chose puisse leur manquer, ou que quelqu'un veuille leur résister.

* Celui-là est riche, qui reçoit plus qu'il ne consume: celui-là est pauvre, dont la dépense excède la recette.

Tel avec deux millions de rente peut être pauvre chaque année de cinq cent mille livres '.

I. n'y a rien qui se soutienne plus longtemps qu'une médiocre fortune; il n'y a rien dont on voie mieux la fin que d'une grande fortune.

L'occasion prochaine de la pauvreté, c'est de grandes richesses. S'il est vrai que l'on soit riche de tout ce dont on n'a pas besoin, un homme fort riche, c'est un homme qui est sage.

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S'il est vrai que l'on soit pauvre par toutes les choses que l'on

4. Saisissent le cœur. Tout ce morceau serait digne de Fénelon.

2. De simples bourgeois. » On a remarqué avec raison que ce passage éloquent avait sans doute été inspiré à La Bruyère par le scandale des mœurs princières, ei que les simples bourgeois venaient bien à propos pour endosser un reproche qui ne pouvait s'adresser directement à ceux qui le méritaient.

3. A cause que a vieilli et se remplace généralement par parce que. On trouve cependant assez souvent à cause que dans Pascal et Bossuet; Fléchier et Massillon s'en servent rarement.

4. Pauvre de cinq cent mille livres. Expression originale et concise. Horace a dit: Opimius, pauvre de l'argent et de l'or qu'il avait enfouis dans la terre. Sat. 11, 3. Riche de tout ce dont on n'a pas besoin, dans la phrase suivante, est aussi un latinisme.

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5. L'occasion prochaine. Expression théologique. On est obligé de fuir les occasions prochaines du péché, pour dire les mauvaises compagnies, les tentations où l'on est exposé au péché. FURETIÈRE.

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6. Pauvre. » Si vous avez une fille, il vous faut de l'argent pour ia doter; si

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