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tion, de ces choses froides ' qu'à la vérité l'on donne pour telles, et que l'on ne trouve bonnes que parce qu elles sont extrêmement mauvaises cette manière basse de plaisanter a passé du peuple, à qui elle appartient, jusque dans une grande partie de la jeunesse de la cour, qu'elle a déjà infectée. Il est vrai qu'il y entre trop de fadeur et de grossièreté pour devoir craindre qu'elle s'étende plus loin, et qu'elle fasse de plus grands progrès dans un pays qui est le centre du bon goût et de la politesse : l'on doit cependant en inspirer le dégoût à ceux qui la pratiquent; car, bien que ce ne soit jamais sérieusement, elle ne laisse pas de tenir la place, dans leur esprit et dans le commerce ordinaire, de quelque chose de meilleur 2.

* Entre dire de mauvaises choses ou en dire de ponnes que tout le monde sait, et les donner pour nouvelles, je n'ai pas à choisir 3.

* « Lucain a dit une jolie chose, il y a un beau mot de Clau<< dien, il y a cet endroit de Sénèque : » et là-dessus une longue suite de latin que l'on cite souvent devant des gens qui ne l'entendent pas, et qui feignent de l'entendre. Le secret serait d'avoir un grand sens et bien de l'esprit ; car ou l'on se passerait des anciens, ou, après les avoir lus avec soin, l'on saurait encore choi sir les meilleurs, et les citer à propos.

* Hermagoras ne sait pas qui est roi de Hongrie; il s'étonne de n'entendre faire aucune mention du roi de Bohême: ne lui parlez pas des guerres de Flandre et de Hollande, dispensez-le du moins de vous répondre, il confond les temps, il ignore quand elles ont commencé, quand elles ont fini; combats, siéges, tout lui est nouveau. Mais il est instruit de la guerre des Géants, il en raconte le progrès et les moindres détails; rien ne lui est échappé : il débrouille de même l'horrible chaos des deux empires, le baby

1 De ces choses froides. Des équivoques, des jeux de mots, des turlupinades, qu'on appelait ainsi d'un farceur de l'Ilotel de Bourgogne. Molière s'est élevé avec force, dans la Critique de l'École des femmes, contre ce travers qui a survécu et n'es pas sur le point de disparaitre.

2.

Meilleur. André Chénier a dit d'un de ces froids plaisants:

Bientôt chez tous les sots on sait de toute part
Jusqu'où vont ses talents; que lui seul avec art
Noue une obscure énigme au regard louche et fade,

Hache et disloque un mot en absurde charade,

Construit, tordant les mots vers un sens gauche et lourd,

Le Janus à deux fronts, l'hébété calembourg.

3. Je n'ai pas à choisir. » C'est pousser un neu trop loin l'amour de l'originalité.

lonien et l ́assyrien ; il connaît à fond les Égyptiens et leurs dynas ties. Il n'a jamais vu Versailles ; il ne le verra point . il a presque vu la tour de Babel; il en compte les degrés; il sait combien d'architectes ont présidé à cet ouvrage; il sait le nom des architectes. Dirai-je qu'il croit Henri IV' fils de Henri III? Il néglige du moins de rien connaître aux maisons de France, d'Autriche, de Bavière. quelles minuties! dit-il, pendant qu'il récite de mémoire toute une liste des rois des Mèdes ou de Babylone, et que les noms d'Apronal, d'Hérigebai, de Noesnemordach, de Mardokempad, lui sont aussi familiers qu'à nous ceux de VALOIS et de BOURBON. Il demande si l'empereur a jamais été marié; mais personne ne lui apprendra que Ninus a eu deux femmes. On lui dit que le roi jouit d'une santé parfaite; et il se souvient que Thetmosis, un roi d'Égypte, était valétudinaire, et qu'il tenait cette complexion de son aieul Alipharmutosis. Que ne sait-il point ? quelle chose lui est cachée de la vénérable antiquité? Il vous dira que Sémiramis, ou, selon quelques-uns, Sérimaris, parlait comme son fils Nynias, qu'on ne les distinguait pas à la parole : si c'était parce que la mère avait une voix mâle comme son fils, ou le fils une voix efféminée comme sa mère, qu'il n'ose pas le décider. Il vous révélera que Nembrod était gaucher, et Sésostris ambidextre; que c'est une erreur de s'imaginer qu'un Artaxerxe ait été appelé Longuemain parce que les bras lui tombaient jusqu'aux genoux, et non à cause qu'il avait une main plus longue que l'autre; et il ajoute qu'il y a des auteurs graves qui affirment que c'était la droite; qu'il croit néanmoins être bien fondé à soutenir que c'est la gauche '.

2

* Ascagne est statuaire, Hégion fondeur, Eschine foulon, et Cydias 4 bel esprit, c'est sa profession. Il a une enseigne, un

4. ◄ Henri IV. › Henri-le-Grand. (Note de La Bruyère.)— Craignait-il que ses lecteurs ne s'y trompassent aussi bien que le savant dont il parle? 2. Qu'il n'ose pas. Il vous dira qu'il n'ose pas le décider.

3. La gauche. Ce caractère semble un peu chargé. On voyait cependant quelques savants qui faisaient profession de mépriser les modernes autant qu'ils admiraient les anciens. M. et Mme Dacier se récriaient un jour vivement contre un vers de Boileau, où Socra'e était traité avec trop peu de respect. Vous avez, leur répondit Despréaux, un bien bean zèle pour les morts; mais que diriez-vous donc si j'avais fait la chanson qui court contre le pere Massillon?-Ah! repliqua Dacier, le bel homme que Massillon. pour le comparer à Socrate!»

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4. Cydias. Les clefs désignent à tort Poult; il s'agit ici de Fontenelle, qui s'est essayé dans presque tous les geures de compositions.

atelier, des ouvrages de commande, et des compagnons' qui travaillent sous lui: il ne vous saurait rendre de plus d'un mois les stances qu'il vous a promises, s'il ne manque de parole à Dosithée, qui l'a engagé à faire une élégie : une idylle est sur le métier, c'est pour Crantor qui le presse, et qui lui laisse espérer un riche salaire. Prose, vers, que voulez-vous? il réussit également en l'un et en l'autre. Demandez-lui des lettres de consolation, ou sur une absence, il les entreprendra; prenez-les toutes faites et entrez dans son magasin, il y a à choisir. Il a un ami qui n'a point d'autre fonction sur la terre que de le promettre longtemps à un certain monde, et de le présenter enfin dans les maisons comme homme rare et d'une exquise conversation; et là, ainsi que le musicien chante et que le joueur de luth touche son luth devant les personnes à qui il a été promis, Cydias, après avoir toussé, relevé sa manchette, étendu la main et ouvert les doigts, débite gravement ses pensées quintessenciées et ses raisonnements sophistiqués. Différent de ceux qui, convenant de principes, et connaissant la raison ou la vérité qui est une, s'arrachent la parole l'un à l'autre pour s'accorder sur leurs sentiments, il n'ouvre la bouche que pour contredire: Il me semble, dit-il gracieusement, que c'est tout le contraire de ce que vous dites, ou, Je ne saurais être de votre opinion; ou bien, ç'a été autrefois mon entétement, comme il est le vôtre, mais... il y a trois choses, ajoute-t-il, à considérer...., et il en ajoute une quatrième : fade discoureur qui n'a pas mis plutôt le pied dans

4. Des compagnons. L'auteur emploie à dessein des expressions qui servent > désigner des travaux manuels et ceux qui les exécutent. Rien n'est du reste plus vit et plus piquant que cette satire de l'industrie littéraire; on la croirait écrite d'hier.

2. Engagé à faire une élégie. Qui lui a commandé une élégie, qui a reçu sa parole qu'elle serait livrée à temps. Engager à siguifie aujourd'hui simplement exhorter, conseiller, sens qui ne se trouve pas dans le dictionnaire de Furetière. Cela veut-il dire qu'une promesse, qu'un engagement à donner ou à recevoir, était chose plus grave de ce temps que du notre?

3. Sophistiqués. »

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une assemblée, qu'il cherche quelques femmes auprès de qui il puisse s'insinuer, se parer de son bel esprit ou de sa philosophie, et mettre en œuvre ses rares conceptions: car, soit qu'il parle ou qu'il écrive, il ne doit pas être soupçonné d'avoir en vue ni le vrai, ni le faux, ni le raisonnable, ni le ridicule; il évite uniquement de donner dans le sens des autres, et d'être de l'avis de quelqu'un aussi attend-il dans un cercle que chacun se soit expliqué sur le sujet qui s'est offert, ou souvent qu'il a amené lui-même, pour dire dogmatiquement des choses toutes nouvelles, mais à son grẻ décisives et sans réplique. Cydias s'égale à Lucien et à Sénèque2, se met au-dessus de Platon, de Virgile et de Théocrite; et son flatteur a soin de le confirmer tous les matins dans cette opinion. Uni de goût et d'intérêt avec les contempteurs d'Homère 3, il attend paisiblement que les hommes détrompés lui préfèrent les poëtes modernes ; il se met en ce cas à la tête de ces derniers, et il sait à qui il adjuge la seconde place'. C'est, en un mot, un composé du pédant et du précieux, fait pour être admiré de la bourgeoisie et de la province, en qui néanmoins on n'aperçoit rien de grand que l'opinion qu'il a de lui-même.

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* C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique • celui qui ne sait rien croit enseigner aux autres ce qu'il vient d'apprendre lui-même; celui qui sait beaucoup pense à peine que ce qu'il dit puisse être ignoré, et parle plus indifféremment.

* Les plus grandes choses n'ont besoin que d'être dites simplement; elles se gâtent par l'emphase: il faut dire noblement les plus petites; elles ne se soutiennent que par l'expression, le ton et la manière ".

1. Donner dans le sens. Fontenelle semble n'avoir fait de ses dialogues qu'un jeu, ou si l'on veut, un effort d'esprit; un jeu par la frivolité des résultats, un effort par les rapprochements forcés et la recherche des peusées et du style. On y trouve des pensées ingénieuses et fines, mais il y en a tout au moins autant qui sont subtiles et fausses. L'auteur a voulu surtout piquer le lecteur par le choix de personnages disparates et par la conclusion imprévue de leur entretien. Ce plan, qui tendait plus à étonner qu'à instruire, n'est louable ni pour la morale, ni pour le goût. Où est le mérite d'étonner aux depens du bon sens? LAHARPE.

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2. A Senèque.» Philosophe et poète tragique. (Note de La Bruyère.)- Fontenelle avait compose, entre autres ouvrages, des dialogues des morts, des tragédies qui eurent peu de succès; des Entretiens sur la pluralité des mondes, et des pastorales recherchées et quelquefois spirituelles.

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3. Contempteurs d'Homère. Perrault, Lamotte, et de Visé auteur du Mercure Galant.

4. La seconde place. Lamotte, dont Fontenelle a fait un long éloge.

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5. Rien de grand. Fontenelle fut très-blessé de cette satire vive et quelquefois injuste, et ne put jamais la pardonner à La Bruyère.

6. La manière. » C'est ainsi que Virgile sait uous intéresser à ses arbres et ses

Il me semble que l'on dit les choses encore plus finement qu'on ne peut les écrire.

* Il n'y a guère qu'une naissance nonnête, ou qu'une bonne éducation', qui rende les hommes capables de secret.

* Toute confiance est dangereuse, si elle n'est entière: il y a peu de conjonctures où il ne faille tout dire ou tout cacher. On a déjà trop dit de son secret à celui à qui l'on croit devoir en dérober une circonstance.

* Des gens vous promettent le secret, et ils le révèlent euxmêmes, et à leur insu; ils ne remuent pas les lèvres, et on les entend; on lit sur leur front et dans leurs yeux, on voit au travers de leur poitrine, ils sont transparents: d'autres ne disent pas précisément une chose qui leur a été confiée, mais ils parlent et agissent de manière qu'on la découvre de soi-même enfin, quelques-uns méprisent votre secret, de quelque conséquence qu'il puisse être : C'est un mystère, un tel m'en a fait part, et m'a défendu de le dire; et ils le disent.

Toute révélation d'un secret est la faute de celui qui l'a confié. * Nicandre s'entretient avec Élise de la manière douce et complaisante dont il a vécu avec sa femme, depuis le jour qu'il en fit le choix jusques à sa mort : il a déjà dit qu'il regrette qu'elle ne lui ait pas laissé des enfants, et il le répète : il parle des maisons qu'il a à la ville, et bientôt d'une terre qu'il a à la campagne; il calcule le revenu qu'elle lui rapporte, il fait le plan des bâtiments, en décrit la situation, exagère la commodité des appartements, ainsi que la richesse et la propreté des meubles. Il assure qu'il aime la bonne chère, les équipages il se plaint que sa femme n'aimait point assez le jeu et la société. Vous êtes si riche,

:

abeilles le sujet est petit, dit-il, mais la gloire est grande à qui sait le traiter, et que Lucain gate par l'emphase les plus beaux mots de César.

1. Ine naissance honnête, ou une bonne éducation. » La Bruyère associe souvent ces deux choses si differentes, la naissance et l'instruction, et leur attribue presque les mêmes résultats. Ne rendait-il en cela qu'un hommage mérité à la noblesse, ou ne faisait-il que céder à un préjugé populaire?

2. Ils sont transparents. Expression ingénieuse et bien amenée. 1érence a dit spirituellement: C'est un panier percé; le secret lui échappe de tous les côtés.

3. La propreté des meubles.Propre se dit de ce qui est bien net et bien orné. Voilà un appartement bien propre, des meables bien propres, un habit fort propre. » FURETIÈRE. Ce mot a perdu beaucoup aujourd'hui de sa valeur, preuve que la qualité qu'il exprime est devenue plus commune. Monsieur Jourdain, s'il vivait de notre temps, serait peu flatté de s'entendre dire par un homme è qui il prête de l'argent · Vous voilà le plus propre du monde. » Le Bourgeois Gentilhomme, lii, 4.

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