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l'effet et le produit du sentiment associateur. Il faut, pour en connoître la cause, retourner pour ainsi dire ces tissus d'idées, afin de suivre sur le revers les fils du sentiment qui les a arrangées; c'est dans ces fils qui lient les idées, que consiste la mémoire dont je veux parler; c'est dans leur tissu que l'on peut suivre le mouvement de la force associatrice, et retrouver ses traces, à-peu-près comme sur le revers d'une broderie ou d'une tenture on peut suivre la liaison et la marche de tous les fils. C'est surtout dans les transitions d'une idée à l'autre que l'on s'aperçoit du sentiment qui domine, et qui le plus souvent fait le lien des différens sujets de la conversation des personnes que

l'on observe.

CHAPITRE V.

Causes psychologiques de l'imitation.

que

1. Il y a une liaison matérielle entre l'organe de certaines idées, et certains mouvemens musculaires. § 2. Cette liaison preexiste dans l'orga nisation. § 3. L'imitation produit les habitudes nationales. § 4. En quel sens on peut dire les mouvemens d'imitation ne sont pas volontaires. § 5. La liaison entre l'idée et le mouvement se fait par l'organe de l'idée. § 6. C'est le désir qui lie l'idée au mouvement; la liaison entre le désir et le mouvement est préformée dans l'organisation. § 7. Il y a des rapports naturels entre le désir et telle sensation extérieure. § 8. La volonté n'agit que par les idées, elle veut une idée, et exécute une idée. § 9. L'âme n'est jamais absolument privée de désir, S 10. Il faut considérer les idées comme les ressorts de machines infiniment variées. § 11. Dans les beaux-arts, la vérité d'imitation produit l'illusion. § 12. Il faut dans les beauxarts n'imiter que ce qui touche à quelque sentiment. § 13.. Les objets imités n'agissent sur le peuple que comme des signes naturels, beauté ne se développe que peu à peu. § 14. L'imitation morale n'est d'abord que matérielle,

la

et ne va s'élevant que peu à peu. § 15. Le langage prouve la force de l'imitation.

61. LES Transactions philosophiques par

lent d'un homme qui éta forcé d'imiter tous les mouvemens qu'il voyoit faire aux autres hommes. Il n'avoit d'autre moyen de s'en garantir, que de ne pas fixer les personnes qui étoient auprès de lui.

Je conclus qu'il y avoit chez ce maladé une liaison naturelle et mécanique entre l'idée du mouvement qu'il voyoit faire, et les muscles moteurs de l'imitation de ce mouvement. Car comment la volonté eût-elle pu vouloir agir sur des muscles qui lui étoient inconnus!

2. Tous les hommes sont un peu cet homme là; tous se laissent guider par l'exemple; mais l'homme en santé se trouve muni de contrepoids, qui l'empêchent d'imiter machinalement et indispensablement ce qu'il voit faire. Cependant il faut que la liaison entre l'idée et le mouvement des muscles préexiste, puisque dans quelques cas la volonté n'y peut rien, et qu'il n'existe que deux forces motrices chez l'homme, celle de la volonté et celle de l'organisation.

§ 5. L'imitation, d'un côté, et l'opinion

de l'autre, enchaînent les individus et les nations, en assujettissant à la fois l'âme et le corps, l'esprit et la matière, le sentiment et les idées. L'opinion (1) commande, et une

(1) L'opinion est le plus souvent une idée d'imagination, c'est-à-dire, une idée liée avec son sentiment d'affinité, et on goûte une opinion lorsqu'on éprouve le sentiment qui la fait naître dans l'imagination; une telle opinion inspire la foi la plus vive.

Une opinion, que l'on ne considère que dans les idées qu'elle nous présente, nous demeure toujours un peu étrangère; elle n'acquiert du poids et n'inspire de l'intérêt qu'à mesure que le sentiment moteur de l'opinion s'empare de nous. L'attache ment prodigieux que les nations ont pour leurs opinions chéries, tient, non aux idées, mais aux sentimens moteurs de ces idées. Et comme rien n'est contagieux comme les passions, on conçoit que des opinions liées aux passions nationales, toujours augmentées par l'exemple et par la résistance même deviennent peu à peu irrésistibles.

Les idées, considérées comme liées à leur sentiment, ferqient le sujet d'un ouvrage. Les Stoïciens fondoient leurs dogmes les plus chers sur le principe que le bien n'est fondé que sur l'opinion que nous avons des choses. Voyez le quatrième livre des Tusculanes: cela peut être vrai tant qu'on considère l'opinion dans son union avec son sentiment d'affinité; mais sitôt qu'on cousidère les idées qui composent les opinions comme séparées de leur base sentimentale, cela cesse d'être vrai. Dans le premier cas la vérité n'est que dans le sentiment, c'est-à-dire, dans le rapport du sentiment avec les idées; dans le second la vérité est toute extérieure; c'est-à-dire dans le rapport, non des idées avec la sensibilité, mais des idées avec les choses extérieures. La première vérité, pour ainsi dire toute poétique n'existe que dans l'imagination; la seconde au contraire n'existe que dans l'intelligence. De là l'éternité des disputes de l'homme qui argumente de son sentiment, et de l'homme qui n'argumente que d'après ses idées.

fois obeie, l'imitation et l'exemple commencent à creuser une ornière, dont aucun mouvement spontané ne peut faire sortir, et d'où rien ne peut retirer une nation qu'une force étrangère à elle.

4. Il n'y a rien de plus difficile que d'expliquer comment l'idée d'un mouvement que je vois faire, me fait faire ce mouvement. Je vois lever un bras, et j'imite ce mouvement. Quel rapport y a-t-il entre l'image de ce bras levé, placée au fond de mon œil, et l'emploi savant de tous les muscles, qu'il me faut mouvoir, pour réaliser le mouvement que je vois faire?

Ces mouvemens d'imitation ne peuvent être volontaires, puisque la volonté ne connoît ni les muscles, ni les mouvemens qu'il faut leur faire faire pour imiter l'idée de ce mouvement, qui est la seule chose sur laquelle la volonté puisse agir, puisque c'est la seule qu'elle

connoisse.

Or, si ces mouvemens des muscles ne sont pas le produit de la volonté, il faut, pour opérer l'imitation, qu'il y ait une liaison préformée entre l'idée et le mouvement des mus-cles. En effet, comment l'imitation de l'idée s'exécuteroit-elle, si cette liaison n'existoit.

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