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aussi bien que la matière peuplent l'espace de la vie , supposent une chose à laquelle ils appartiennent, et sans laquelle je ne puis les concevoir, et ce quelque chose d'inconnu, je l'appelle substance spirituelle, áme.

L'idée d'une substance pensante est-elle .autre chose qu'une conception née de cette nécessité d'un centre de rapport, sans lequel je ne puis concevoir les phénomènes nombreux de l'âme? Nier l'existence de la substance matérielle, ce seroit détruire la possibilité de concevoir l'idée de la matière; ce seroit aller contre un fait qui est la présence de cette idée. Il en est de même de l'âme; nier une substance pensante c'est nier la pensée même puisque la substance n'est que ce qui me rend l'idée de la pensée, du sentiment, et de tous les phénomènes de l'âme, possible et concevable.

2. L'union de deux substances ne m'étonne pas davantage que l'action combinée de toutes. les forces de la nature, où il faut, pour produire un effet, supposer encore une espèce d'union. Et cette union, dont résulte l'effet, est-elle autre chose qu'une réciprocité d'action, c'est-à-dire ce que noue voyons partout? Le merveilleux de l'union de l'âme et du corps

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seroit-il donc dans la permanence et dans les lois de cette union? Mais la nature entière est-elle autre chose, qu'ordre, rapports, loi. et permanence ?

§3. Les phénomènes si évidens de l'âme, leur parfaite correspondance avec les phénomènes matériels de l'automate, laissent entrevoir la possibilité d'une existence de quelque chose de supérieur à la matière, qui imprime à la matière cet ordre, qui seul en constitue l'excellence. Il me semble que c'est dans le moi infaillible, et dans le sanctuaire de l'âme, qu'il m'est donné d'entrevoir et de présager l'existence d'une intelligence ordonnatrice, suprême législatrice de l'univers.

Les mouvemens les plus savamment combinés sont-ils autre chose que des mouvemens simples, très-multipliés ? Et si le mouvement simple ne peut expliquer la pensée, le mouvement simple accumulé l'expliquera-t-il mieux?

§4. Il y a une erreur qui semble innée dans Phomme; celle de placer la sensation dans l'objet de la sensation. Qui, parmi le peuple a jamais douté que le feu ou le soleil ne fussent chauds, et que ce ne soit pas la glace qui est froide ? L'opinion de placer le sentiment et la pensée dans les organes qui nous donnent le

sentiment et la pensée, ne seroit-elle pas un reste de cette erreur populaire, souvent plus tenace chez le philosophe, qui raisonne, que chez le peuple, chez lequel les erreurs n'ont d'autres racines que l'habitude ?

J'aime à placer la sensibilité et la pensée au nombre des élémens de l'existence; et si le pays de l'ignorance est si vaste, pourquoi peupler ses ténèbres de phantômes funestes, que l'esprit désavoue et que le cœur rejette, plutôt que de l'embellir d'opinions conformes à la raison et au vœu universel de tout ce qui sent, de tout ce qui pense, et de tout ce qui désire?

Ne diroit-on pas que, ce que nous appelons matière, nous est parfaitement connu? Et parce que nous voyons des changemens autour de nous, s'ensuit-il que ce soit la mort et non la vie qui s'agite dans l'univers? s'ensuit-il que tout ce qui passe devant le champ étroit de quelques organes, soit pour ainsi dire, sur la route du passé plutôt que sur celle de l'avenir? Les hommes de tous les systèmes conviennent du moins de l'ignorance de l'homme, et de la nullité de ce qu'on connoît auprès l'immensité de la nature. Je ne sais pourquoi l'on se plaît quelquefois à ne placer que la mort derrière

la toile abaissée devant l'inconnu, et à ne voir que lenéant dans l'univers de l'existence.

CHAPITRE VII.

Influence de la raison sur le bonheur.

S1. Nécessité de la raison. § 2. Ses ava: ges. $ 3. Elle calme les mouvemens de la sensibilité. § 4. Avantage des idées générales. § 5. Les principes seuls donnent de l'unité à la vie. $6. Harmonie dans le monde moral. § 7. Harmonie universelle.

§ 1. On sent combien il est nécessaire que,

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parmi tant de mouvemens opposés de l'âme il y ait quelque part un régulateur et un principe d'ordre, qui guérisse de ce roulis continuel de l'imagination, qui nous rend incapables d'aucune jouissance réelle. Le gouvernail du navire quel seroit-il si ce n'est la raison?

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Si la vie de chaque individu formoit un système isolé, si chaque être suivoit toutes ses lois, et pouvoit ne suivre que ses lois particulières, sans doute que sa vie seroit heureuse; mais l'homme, toujours entraîné hors de sa carrière, et jeté dans le vaste torrent de la vie

universelle, froissé à la fois par tout ce qui l'entoure, l'homme a besoin de prendre un mouvement combiné avec tous les mouvemens qui l'entraînent en avant. Or, il ne peut arriver à ce mouvement que par un mouvement différent de celui de la sensibilité. C'est ce mouvement qui, combiné avec la sensibilité, lui fait prendre quelqu'autre direction que celle de l'imagination pure. Ce mouvement oppose à la sensibilité est celui de la raison.

§ 2. La raison est la faculté de l'homme 'd'agir d'après des idées générales qui, appliquées à la conduite de la vie, prennent le nom de loi ou de règle. La raison, avons-nous dit, arrête ou retarde la première impulsion de la sensibilité. Elle fait plus encore; elle en change la direction, et l'homme vertueux n'arrive pas aux mêmes résultats que l'homme livré à ses appétits et à toutes ses passions. C'est par la généralisation des idées que l'intelligence parvient à changer la direction des mouvemens de l'être -sensible. L'homme éclairé a devant lui les chances nombreuses des événemens probables, tandis que l'homme passionné n'a qu'un choix à faire, qui est toujours celui de son cœur. § 3. Mais la raison donne plus que de la lumière, elle contribue directement au bon

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