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vement ses moyens en buts et ses buts en moyens, en faisant successivement d'une idée subordonnée une idée centrale, et d'une idée centrale une idée subordonnée. Il suffit que l'idée du moyen prenne le mouvement du désir dominant, pour devenir but à son

tour.

Quand je dis, que les passions secondaires ont pour principe moteur les idées bien plus que la sensibilité motrice , j'ai l'air de me contredire, et cependant il n'en est rien.

Les idées agissent sur l'automate par le moyen de leurs organes: or l'organe conserve toujours plus ou moins sa tendance au mouvement qu'on lui a fait faire, au point que tel organe peut devenir une détente, qu'une légère impulsion de sensibilité peut faire partir. Ces organes de détente n'agissent encore que par la sensibilité; mais la sensibilité, qui les fait jouer, n'est pas la sensibilité du moment, c'est la sensibilité accumulée de mille momens précédens, ou plutôt c'est l'effet accumulé de mille sentimens qui ont précédé et qui tous ont agi dans le même

sens.

II

peut y avoir encore telle disposition organique qui donne au mouvement de tel organe,

une force très-grande, et en apparence hors de mesure avec la cause motrice.

Voyez le ravage que tel mot prononcé peut faire sur tel fou lorsque ce mot touche à son organe de détente. Il en est de même de tel mot dit à un homme irrascible; mais le fou et l'homme irrascible, ont l'un et l'autre été préparés à l'explosion, l'un par un organe dérangé par la maladie, l'autre par des mouvemens de colère fréquemment répétés.

Les passions secondaires sont lentes à se développer; la raison en est qu'étant toutes factices, il faut que les organes aient le temps de se préparer au jeu de ces passions.

Les passions sont ce qu'il y a de plus contagieux représentées sur la toile ou sur le théâtre elle sont déjà capables d'entraîner, combien ne sont-elles pas plus entraînantes encore dans la réalité? De là les passions nationales comment dans une ville de commerce, ou chez une nation toute commer

çante échapperoit-on à l'amour du gain, et au respect pour les richesses? Comment dans une armée, pleine de héros, seroit-on privé de courage? Mais ce qui exerce le plus infaillible empire sur les nations, c'est l'esprit de leurs lois. Si la justice règne dans les lois,

on en retrouve le sentiment dans les moeurs; est-ce l'injustice qui domine? chaque nuance de la passion, ou de l'ignorance du législateur laisse son empreinte quelque part. Est-ce la terreur qui règue? alors les âmes avilies ne se demandent plus ce qui est juste ou injuste, ce qui fait le bien ou le mal, mais ce qu'on ose,. ou qu'on n'ose pas faire, dire, penser, ou

sentir.

§ 3. L'amour de la patrie peut être rangé parmi les passions secondaires. Chez les nations non civilisées l'amour de la patrie n'est que l'amour de ses habitudes.

Plus les habitudes d'une nation s'éloignent des habitudes des autres nations plus cette nation y est attachée. Sous ce rapport personne n'aime plus, fortement sa patrie que les Lappons et les Groenlandois, qui ne peuvent vivre ailleurs que dans leur pays. Le grand attachement des Suisses à leur patrie a moins tenu à la bonté de leurs gouvernemens, qu'à l'habitude de passer les étés sur les montagnes. Il n'y a guères que les Suisses, qui ont pris les habitudes que l'on contracte dans la vie libre. et solitaire des Alpes, (où l'homme placé entre le ciel et les fleurs, jouit au-dessus des nuages, d'une indépendance et d'un calme qu'il ne

retrouvé jamais dans le monde, ) il n'y a dis-je que ces Suisses-là qui sont sujets à ce qu'on appelle le mal du pays.

Lorsque cet amour inné de son pays vient à s'allier dans la suite avec des motifs raisonnés d'attachement, vous en voyez naître, ce qui seul mérite le nom d'amour de la patrie, l'amour d'une constitution protectrice, dans laquelle la liberté unie à l'ordre, produit à la fois le mouvement de la vie et la règle de ce mouvement.

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CHAPITRE V.

Des passions de circonstance ou d'accident.

S 1. Caractère des passions de circonstance. § 2. Analise de la conscience morale,

§ 1. ont leur route toute tracée, soit dans la nature primitive de l'organisation de l'automate, soit dans la nature factice de cette organisation. L'amour et l'amitié ont leur marche, et l'ambition et l'avarice ont leur allure, leur point de départ et leur route tracée,

Les passions primitives et secondaires

Cette route, cette marche sont des images qui expriment le mouvement du désir tracé dans les organes. Ce désir peut n'être qu'une légère émotion, mais ce même désir prolongé peut ébranler tout le système de l'organisation. Si ce système se trouvoit placé au foyer d'une nation; si cette nation elle-même étoit le foyer de tout le système politique, on verroit les mouvemens d'une âme ébranler la terre " et une pensée faire le destin des peuples et des rois.

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