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CHAPITRE XI.

§ 1. Quel ordre la nature observe dans les mouvemens passionnés. § 2. Les moyens développent sans cesse des buts nouveaux. § 3. Comment les passions se développent. § 4. Chaque passion forme un tout, chacune a son roman § 5. Origine des sentimens agréables ou désagréables. § 6. Rapport du sentiment avec les opinions. $ 7. Le trouble des passions natt du désaccord des idées avec le sentiment moteur. $ 8. Chaque opinion tient du caractère du sentiment associateur des idées. S9. Le mouvement de l'imagination tend essentiellement au bonheur.

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DANS

ANS l'histoire des passions humaines, où tout devient successivement but et moyen, voici l'ordre de nos mouvemens. Le motif marche en avant, il éveille l'idée du but, et celui-ci produit l'idée des moyens (1). Le motif est un désir né d'un certain état des organes appelé besoin; le but est le vou

(1) Un prisonnier veut sortir de son cachot; il prépare uue corde pour se sauver. La peur du supplice est le motif, l'action de se sauver est le but, la corde est le moyen.

émané de ce désir, c'est l'état que l'organe affecté par le désir préfère et recherche. Le but fait naître l'idée des moyens, qui se trouvent ensuite placée entre le motif et le but, entre le désir et la jouissance (1).

L'observateur vulgaire n'aperçoit jamais le motif toujours moins apparent que le but et les moyens; le motif tient à un état de l'organe le plus souvent caché à nous-mêmes et couvert, pour ainsi dire, par la chose même que

le motif désire.

Il suffit qu'une passion primitive ait donné l'initiative au mouvement des organes pour faire aller l'âme d'émotion en émotion, et pour mettre en jeu toutes les puissances de l'imagination. Le mouvement d'un organe se communique d'organe à organe, et la première impulsion une fois donnée, le mouvement se

(1) Jouissance dans le sens le plus étendu du mot, est tout ee qui éteint le besoin moteur du désir. Cette définition s'adapte aux sentimens donloureux comme aux sentimens agréables; tous ont leur væu, et un désir qui tend toujours à éteindre le sentiment excitateur dans le besoin même dont il est émané. Le besoin de ne plus souffrir a son désir, qui tend à la jouissance d'être délivré de la douleur. Tous les mouvemens de sensibilité soit agréables, soit désagréables appelés besoins, s'annoncent par une sensation appelée désir, et ont une tendance vers un mouvement ultérieur appelé jouissance, émané du premier mouvement du besoin, et fait pour éteindre ce besoin.

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combine tellement avec l'impulsion du dehors appelée circonstances, et s'augmente tellement par les passions secondaires, qu'un seul mouvement de passion primitive peut suffire au mouvement de la vie entière.

§ 2. Partout où il y a un désir nouveau, né d'un organe plus ou moins frappé, il se forme un but nouveau, et comme le mouvement de l'organe se communique à d'autres organes, de manière à y produire aussi le désir, il en arrive que tous ces mouvemens accidentels qui surviennent sur la route du but principal, ou plutôt primitif, deviennent but à leur tour. Comme l'activité de l'âme est bornée, l'âme se concentre toute entière dans les désirs secondaires, qui lui arrivent sur la route principale, et souvent elle oublie dans la carrière des moyens le premier but qu'elle s'étoit proposé.

De là l'inquiétude perpétuelle des âmes foibles, qui dans la vie cheminent sans un but assez élevé pour être aperçu de toutes parts, comme un étendard de ralliement, et qui marchant sans principes, errent de passion en passion sur des abîmes toujours ouverts.

§3. Le développement des sociétés en multipliant nos idées et nos besoins, multiplie

indéfiniment nos points de contact et nos agitations réciproques. Plus les points de contact sont nombreux et rapprochés, plus les passions secondaires se multiplient et se renforcent, et plus aussi les passions primitives s'ennoblissent, c'est-à-dire s'enrichissent d'idées qui les rapprochent de l'intelligence et de la raison. De cette marche de l'esprit humain, qui ne parvient à raisonner que par les passions, il arrive souvent que les plus nobles efforts de l'intelligence se dépensent pour des buts que la raison désavoue. Que de sublimes œuvres du génie et des passions n'ont servi qu'à faire le malheur de l'humanité.

Dans l'origine des sociétés on se battoit pour du gibier, ou pour quelque Hélène, c'està-dire que les passions primitives y jouoient le premier rôle. Aujourd'hui on se bat pour des systèmes de commerce, de gouvernement ou de géographie, et chez l'espèce humaine comme chez l'individu le bien de l'espèce est perdu dans les moyens; et rien ne ressemble plus à l'histoire de l'individu que l'histoire des nations.

Cest le besoin indispensable des choses qui ne sont pas nous, c'est la mobilité et l'industrie des cinq sens destinés au service du

dehors, qui engagent le désir excitateur des idées à traverser les régions de l'âme pour aller trouver l'accomplissement du désir dans ce qu'on appelle jouissance. C'est dans ce passage du désir à travers les idées, que le mouvement électrique de la sensibilité donne l'éveil à toutes les facultés, en sillonnant pour ainsi dire le terrein de la pensée pour y verser partout la vie et la fécondité.

Et comme dans l'univers des objets extérieurs à l'homme, les jouissances sont éloignées, placées à de grandes distances l'une de l'autre, et bien souvent trompeuses, il en arrive que le désir se décompose sur la longue route qu'il a à parcourir l'imagination ne pouvant embrasser à la fois qu'un certain nombre de sentimens et d'idées, ce qui dans le lointain n'étoit pour elle que moyen, devient but, lorsqu'on en est plus près: il en résulte les passions secondaires, et sur la route de ces passions surviennent les passions de circonstances, qui prolongent un premier mouvement sur une grande étendue de la vie. L'amour du plaisir peut sur sa route se changer en ambition, et l'ambition amener l'amour du repos. Tel arrive à Dieu par l'agitation de la vie; le voluptueux finit quelquefois par de

d

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