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mouvemens si souvent irréguliers et tumultueux, la raison ne laisse pas que de conserver son empire partout où elle se montre. Car, quoique la sensibilité soit le grand ressort des actions humaines, toutes les fois qu'un sentiment vient à agir sur des idées réfléchies bien combinées, les mouvemens qui en résultent deviennent réguliers, comme ceux d'une montre, dont tous les rouages ont été construits et adaptés au but qu'on s'étoit proposé.

§ 2. Ces observations à la main, j'ai parcouru l'empire de l'imagination, et j'ai vu partout un sentiment moteur des idées, et des idées mues par ce sentiment. J'en ai conclu, que l'imagination étoit le mouvement des idées produit par l'action de la sensibilité.

§ 3. Il faut au premier pas s'arrêter à l'idée de sensibilité, en apparence motrice des idées, et prévenir les conséquences que des esprits irréfléchis pourroient tirer du mouvement appliqué aux idées. La sensibilité a sans doute son origine dans les organes; mais attribuer de la sensibilité aux organes mêmes, est une erreur semblable à celle de croire le feu chaud et la glace froide.

Certaines affections des organes produisent constamment certaines sensations dans l'âme; mais cette correspondance des phénomènes ne me permet point de les confondre; et, quelque constante que puisse être l'harmonie qui se trouve entre les mouvemens des organes et les sentimens correspondans dans l'âme, il faudra toujours placer le mouvement dans les organes, et le sentiment dans ce moi simple et mystérieux, où tout le multiple de l'âme va se réunir comme dans un point unique, sans néanmoins s'y confondre jamais.

Qu'on me permette donc d'avoir une âme, et de l'appeler immatérielle, jusqu'à ce qu'on m'ait fait voir l'identité de la matière connue avec la pensée qui réside dans ce moi, dont émanent les seules vérités évidentes et irrefragables.

Il y a des erreurs populaires qu'on a sans le savoir. On place sans difficulté les idées dans l'âme, mais les sentimens, surtout ceux qui tiennent immédiatement aux sens, on est tenté de les placer dans les sens mêmes, et l'on a tort la sensation la plus sensuelle est aussi bien logée dans l'àme que l'idée la plus réfléchie.

§ 4. Je puis néanmoins distinguer nettement tout ce que j'appelle sentiment (c'est-à-dire tout ce qui me donne l'idée de plaisir ou de déplaisir), de ce que j'aperçois froidement comme une chose que je puis simplement distinguer d'une autre chose, et que j'appelle idée.

Cette distinction entre sentiment et idée sera mieux développée dans la suite de cet ouvrage, et l'on et l'on ne pourra méconnoître dans - l'âme deux points de développement parfaitement distincts., observés depuis long-tems sous les noms d'imagination et d'intelligence.

§ 5. Distinguer plusieurs facultés dans l'être simple, c'est distinguer dans l'âme plusieurs classes de phénomènes réunies sous l'idée commune d'activité. C'est sous ce rapport que j'appelle l'imagination et l'intelligence des facultés actives. Leur activité appartient toute entière à l'âme. Voilà pourquoi Mallebranche et Leibnitz ont nié l'influence réelle de la matière sur la pensée. En effet, si la sensation est l'effet de l'activité de l'âme, que reste-t-il à faire à l'organe de la sensation? Je touche ici à une de ces questions insolubles, qui n'admettent des hypothèses que parce que leur véritable

explication est hors de la portée de nos connoissances. Convenons que nous ignorons absolument l'action du corps sur l'âme, et de l'âme sur les organes. Savons-nous mieux comment le mouvement se communique d'un corps à l'autre ? Savons-nous si cette communication est une transmission réelle ? Il est bon de se dire quelquefois, qu'à telle et telle question on n'a pas de réponse à donner , parce qu'il n'arrive que trop souvent qu'on fait reposer des assertions positives sur des faits qu'on ignore, ou sur des suppositions. arbitraires.

CHAPITRE III.

Ce qu'il faut entendre par imagination.

$ 1. La bonne analise résulte de la grande abondance des faits. § 2. La connoissance de l'imagination devoit échapper aux analises prématurées. § 5. Définition de l'imagination. § 4. Sur quoi elle est fondée, § 5. L'imagination réside dans la faculté de sentir. § 6. L'imagination et l'intelligence ne peuvent étre entièrement séparées que par abstraction,

Un grand défaut des modernes qui

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$ 1. ont écrit sur la psychologie, est d'avoir isolé des faits qu'il falloit observer dans leur composition. L'on n'a pas toujours assez senti que la connoissance des rapports se dénature par la décomposition de ces rapports, comme la musique se dénature se dénature par l'isolement des sons. Il faut étudier la vie dans la vie même,

loin de se servir du scalpel, il faut, dans l'étude de l'homme, lui laisser la plus grande aisance dans tous les mouvemens qu'on se propose d'observer. Ce n'est qu'après avoir recueilli une foule de faits, que l'on voit ces

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