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CHAPITRE XI.

Effets de l'harmonie sur l'âme.

§ 1. L'harmonie produit quatre effets sur
l'âme. § 2. Comment Aristote définit l'unité.
$ 3. Différences entre l'unité des idées de
l'imagination, et leur unité dans l'intelligence.
S 4. On retrouve cette distinction dans les
caricatures des deux facultés. § 5. L'har-
monie donne du plaisir et excite l'activité de
l'âme. § 6. C'est par l'harmonie que se
se fait
le développement de l'imagination. §7. L'har-
monie prévient les passions en portant l'acti-
vité du sentiment sur les rapports du senti-
ment. § 8. La variété ne plaît qu'en raison
de l'harmonie qu'on y trouve. § 9. Le plaisir
que donnent les beaux-arts est en raison
de la perfection de l'unité et de la variété du
multiple. § 10. L'harmonie développe l'ima
gination, et, par elle, l'homme tout entier.
Vérité prouvée par l'exemple des Grecs.

§ 1.

L'HARMONIE produit quatre effets sur

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l'âme : 1.° elle lui fait sentir le multiple dans l'unité; 2. elle produit un sentiment de plaisir; 3. elle excite l'activité de l'âme ;

1

4.° elle développe l'imagination, comme la réflexion développe l'intelligence.

2. « Il faut, dit Aristote (Poétique, >> ch. 8), que dans la fable d'un poëme, >> l'action soit une et entière; que ses parties >> soient tellement liées entr'elles, qu'une >> seule transposée ou retranchée, ce ne soit » plus un tout, ou un même tout. Car tout » ce qui peut être dans un tout, ou n'y pas » être sans qu'il y paroisse, n'est pas partie

>> de ce tout. >>>

La définition d'Aristote comprend à la fois l'unité propre à l'imagination, et l'unité propre à l'intelligence. Tâchons de les distinguer. Remarquons d'abord, qu'il est donné, et à l'imagination et à l'intelligence, d'éprouver la présence simultanée de plusieurs idées. En effet, l'intelligence ne sauroit comparer sans éprouver cette présence simultanée, et l'imagination ne sauroit sentir le multiple dans l'unité, si le multiple n'alloit pas se réunir dans l'unité.

et

§ 3. J'écarte ici toute controverse, je suppose cette présence simultanée, que ne peut point méconnoître quiconque a l'habitude de s'observer soi-même. Mais il y a cette grande différence entre l'unité de

l'intelligence et l'unité de l'imagination, que la première n'aperçoit que les idées dont elle s'occupe, tandis que l'imagination ne fait que sentir, non les idées mémes, mais ce que les idées lui font éprouver. Par exemple, plus je suis entraîné par le charme de la musique, et moins je connois ce que je sens. Je puis même perdre tout-à-fait le sentiment de mon moi; je puis, comme on dit, étre hors de moi, c'est-à-dire, perdre la conscience de mon moi, ce qui est le caractère de l'imagination exaltée, et l'action pure de la faculté de sentir totalement privée de réflexion. Je puis de même avoir à la fois la présence de plusieurs idées, comme de plusieurs figures de géométrie, et dans cette concentration de l'attention ignorer, que j'existe. Dans le premier cas, mon âme est harmonie; dans le second, elle est ces figures de géométrie; elle est cercle ou parabole. Il est important de bien saisir cette différence, puisqu'elle constitue la différence essentielle entre l'intelligence et l'imagination.

Dans l'imagination, l'action du multiple se concentre dans l'unité, et jamais je ne sens mieux l'accord d'une belle métaphore avec l'idée qu'elle doit éclaircir, que lorsque je

suis charmé, entraîné, ravi par la lecture d'une Ode d'Horace.

Dans l'intelligence, au contraire, il semble que l'action parte de l'unité pour aller se répandre dans le multiple. En effet, l'intelligence commence toujours par comparer, c'est-à-dire par unir, et finit toujours par abstraire, c'est-à-dire par séparer, tandis que le résultat de l'imagination est au contraire de produire cet ensemble qui laisse l'âme remplie d'harmonie.

§ IV. On a fait autrefois aux pédans le reproche de placer partout leur distingo, et tous les jours le bon sens reproche aux imaginations vulgaires la confusion de leurs idées. Ne semble-t-il pas que l'on reconnoisse, dans ces caricatures, l'instinct et l'allure de l'imagination et de l'intelligence? Le pédant distingue sans cesse et mal à propos, tandis que l'imagination foible et avortée rapproche des idées hétérogènes, sans avoir le talent de les réunir par l'harmonie. L'un distingue ce qu'il ne doit pas distinguer; l'autre rassemble ce qui ne peut être réuni que par l'harmonie, qu'il ne possède pas, ou qu'il n'a pas le talent de rendre sensible aux autres.

Ces unités des deux facultés actives renferment de grands mystères. Ne cherchons point à les sonder, et tenons-nous aux faits les plus évidens.

§ 5. La condition de l'unité de l'intelligence est la convenance des idées; tout ce qui convient à l'idée du cercle appartient au cercle. La condition de l'unité de l'imagination c'est l'harmonie; tout ce qui la produit convient à l'imagination. L'harmonie a de plus pour caractère constant, d'exciter dans l'âme un sentiment de plaisir. Je connois le plaisir d'abord par le sentiment que j'en ai, mais, pour le bien définir et le distinguer de ce qui n'est pas lui, il faut lui trouver un caractère, pour ainsi dire, extérieur à lui-même. Ce caractère, je le reconnois dans l'activité que tout plaisir excite dans l'âme.

§ 6. Mais, en faisant un pas de plus, j'observe que la douleur peut aussi avoir son activité, et que le mouvement est également inséparable et du plaisir et de la douleur. Je vais plus loin, et je vois, que le plaisir tend essentiellement au développement de l'étre mixte, tandis que la douleur est toujours stérile. Dans les cas même où elle ne l'est pas, elle

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