Page images
PDF
EPUB

Mais si l'imagination, guidée par le goût, s'énonce avec grâce et justesse, elle n'est plus qu'une douce et continuelle harmonie d'idées, de langage et de sentimens, et devient par là le charme de la vie. Auprès des personnes douées de ces heureuses qualités, l'esprit est sans cesse renouvelé par les sources toujours renaissantes d'idées variées qui viennent multiplier l'existence; on se sent pour ainsi dire caressé par de douces images qui viennent de toutes parts ranimer l'esprit et le cœur, et vivifier à la fois le sentiment et la pensée.

Il faut, pour être juste, juger l'imagination par la sensibilité, et voir les idées qu'elle présente dans leurs rapports avec le sentiment qui les inspire. Tout autre manière de juger seroit fausse ou cruelle.

§ 7. L'imagination est toujours plus ou moins exagérée aux yeux de la raison. Voilà pourquoi tout ce qui dépasse le sentiment qu'on éprouve, ou tout ce qui feint un sentiment qu'on n'a pas, est insupportable. Aller audelà de son sentiment paroît aux yeux de l'indifférence, l'exagération de l'exageration. On ne peut rien imaginer de plus dégoûtant.

Il est bon que les personnes à imagination, restent en deça de leur sentiment plutôt que

1

de le dépasser il y a d'ailleurs une grâce singulière à bien exprimer une partie de ce qu'on sent, tout en laissant deviner ce qu'on n'a pas dit, et l'art des reticences fait pour le moins autant d'effet que l'art de la parole.

§ 8. Il faudroit s'occuper moins à parler bien, qu'à parler à propos. Čet à propos se lit dans le sentiment de la personne avec qui on parle, et pour peu qu'on y veuille réfléchir, on s'apercevra si le sentiment qui nous anime peut être mis en harmonie avec celui de la personne qui écoute.

L'on peut avec quelque habitude de s'observer, distinguer son sentiment des idées. qu'il inspire. Il y a un point qu'il est facile d'apercevoir, où la sensibilité s'épuise ; c'est à ce point qu'il faut s'arrêter, pour ne pas ressembler à ces gens qui ne savent pas finir une conversation sans vous avoir versé, pour ainsi dire, la lie de leur inspiration. C'est dans ce sens que Voltaire a dit, le secret d'ennuyer est celui de tout dire.

§ 9. L'habitude de distinguer du sentiment qu'on éprouve les idées qu'il a fait naître, est d'un avantage inappréciable, en nous apprenant à faire peu de cas de toutes les opinions inspirées par la sensibilité du moment,

par conséquent à nous défier de l'humeur que nous avons, et de toutes les idées noires inspirées par quelque sentiment pénible; car se défier d'une idée, c'est lui ôter la moitié de sa force, et il est bon d'apprendre à jouer avec son imagination, afin de (1) n'être pas joué par elle.

(1) H est de la plus grande importance de faire connoissance avec son imagination. Pour y parvenir, il faut savoir fixer son attention sur les deux foyers de son activité, le sentiment et les idées. Sitôt que j'éprouve quelqu'émotion je me place, pour ainsi dire, à l'écart, et je me dis: mes idées vont jouer, voyons le drame que j'aurois. Ai-je été froissé dans mon amour-propre, je

reconnois aussitôt mon sentiment à la livrée des idées en service auprès de lui. Le sentiment une fois connu, je passe aux idées qu'il met en jeu pour y découvrir les détails de sensibilité qui se manifestent toujours par les idées qui jouent.

Il y a tels sentimens qui ont leur source dans l'organisation. Que d'idées nées de la faim! Que de pensées noires inspirées par quelqu'indigestion, qu'ils faut détruire par le régime, par le jeûne et l'exercice, plutôt que par le raisonnement.

A-tyon l'imagination vive? Rien ne guérit des petits maux de la vie comme la solitude. Pourquoi? C'est que l'instinct de l'imagination saine est de trouver par elle-même les idées qu'il faut dans chaqu'instant au sentiment qu'on éprouve. L'imagination isolée gravite sans cesse vers le bonheur, et la laitière de la Fontaine est l'image naïve et vraie de l'homme de la nature dont l'âme n'a été froissée par rien.

Etes-vous saus imagination, la solitude sera toute employée par la mémoire, et vous serez encore en souvenir ce que vous avez déjà été en réalité. Dans ces tems de malheurs et de bouleversemens que d'inutiles et d'ennuyeux rabachages sur ce qu'on auroit dù faire ou ne pas faire. Dans les petites villes surtout

CHAPITRE V.

Quelle espèce de foi on peut ajouter aux idées de l'imagination.

§ 1. La vérité des idées nées de l'imagination est dans leurs rapports avec la sensibilité. § 2. La vérité des idées de l'intelligence est dans leurs rapports avec les objets extérieurs.

§ 1.

Il y a ici une remarque bien impor

L

tante à faire sur l'espèce de confiance qu'il faut donner aux idées nées de l'imagination. Reid (1) a raison de dire qu'elle n'en méritent aucune, mais il faut savoir dans quel sens il faut entendre ce mot de Reid. Dans le domaine de l'imagination les idées ne sont

l'on tourne sans cesse le même fil d'idées autour de quelque petit principe sans sortir jamais du même cercle, et sans s'apercevoir de l'ennui que l'on prend et que l'on donne.

J'ajouterai une remarque importante; c'est que l'habitude de s'observer n'est agréable que pour les personnes heureuses. Quand l'imagination est souffrante, il faut lui faire chercher au-dehors quelques idées nouvelles ; ou si l'on veut guérir par la pensée, c'est à la réflexion et surtout aux principes et non à l'imagination qu'il faut s'adresser.

(1) Dans ses recherches sur l'esprit humain. Inquiry into human mind,

[ocr errors]

que les signes naturels de la sensibilité mo-
trice,
la vérité de ces idées est dans leurs
rapports avec cette sensibilité, elle est toute
intérieure; leur vérité extérieure née de leur
rapport avec la nature externe n'est qu'acci-
dentelle et ne peut jamais appartenir qu'à
l'intelligence.

§ 2. La vérité de l'intelligence est dans le rapport des idées avec la nature, c'est-àdire avec les choses extérieures, qui sont les objets de ces idées; la vérité de l'imagination est dans le rapport des idées avec la sensibilité motrice, c'est une vérité toute intérieure et pour ainsi dire poetique : l'une est dans le rapport des idées avec ce qui, en dehors de l'homme, fait l'objet des sensations des cinq sens; l'autre est dans le rapport des idées avec ce qui se passe au-dedans de lui dans sa propre sensibilité. Les idées sont donc des miroirs à deux faces dont l'extérieure représente la nature extérieure à l'homme, et l'intérieure l'état de sa sensibilité; l'une contient le portrait de la nature, l'autre celui de l'homme qui sent et qui parle. Pour bien saisir ce qu'on nous dit, il faut regarder les deux côtés du miroir, et voir les motifs qui font parler, aussi bien que les choses qu'on nous dit.

« PreviousContinue »