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CHAPITRE PREMIER.

Les lois de l'imagination ne sont point connues encore. Premier aperçu sur la nature de cette faculté.

S

S 1. Les philosophes modernes ne séparent pas nettement l'imagination de la mémoire. § 2. La psychologie n'est point encore arrivée à la connoissance du cœur humain. § 3. Il faut qu'une théorie de l'imagination embrasse tous les nombreux phénomènes de cette faculté.

LA

A théorie de l'imagination est si peu connue, que la plupart des modernes ne voient dans cette faculté que le pouvoir de se représenter les objets absens ; et l'admirable naturaliste Bonnet (1) ne voit de

(1) Essai analitique, § 785. Haller, dans ses Élémens de physiologie (ch. 19, § 548), dit : « L'imagination a lieu chaque >> fois qu'à l'occasion de quelque image qui est en dépôt dans » le cerveau, il s'excite dans l'âme les mêmes pensées que celles >> qui seroient produites si le nerf lui-même souffroit le chan»gement que cette image a fait naître. Et, § 549: On appelle » mémoire cette faculté de l'âme par laquelle quelque pensée » ou quelque image de l'objet extérieur, conservée dans cette » partie du cerveau qui sert à la sensation, excite quelque

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différence entre l'imagination et la mémoire, que dans une plus grande intensité qu'il attribue à l'imagination.

Si les idées que je vais donner sont justes, on cessera de confondre deux facultés absolument distinctes, et aussi différentes entre · elles que l'or et l'argent contenus dans un coffre le sont de l'usage qu'on en peut faire.

§ 2. Il faut distinguer les auteurs qui recueillent les faits, de ceux qui ne font que les analiser. Les premiers nous donnent les fruits précieux de l'expérience, tandis que les autres ne nous fournissent que les résultats de leur analise. Ouvrez l'admirable recueil des observations de La Bruyère : à chaque page il parle du cœur humain, que toujours il distingue de l'esprit. Lisez ensuite les livres

» perception dans l'âme. Cette perception est d'ordinaire plus » foible que l'imagination, et paroît simplement dépendre de » certains signes arbitraires que l'âme a unis avec cette idée dans » la première perception; car à peine la mémoire représente-t> elle à l'âme les portraits des choses, mais à peu près les mots, » quelques attributs et le gros des idées. » Cette définition ne rend aucune raison des mouvemens de l'imagination. Bacon n'a pas tort de dire: Confutationum nullus est usus, ubi de principiis et ipsis notionibus dissentimus. J'observerai, qu'en accusant la mémoire de foiblesse et d'infidélité, il faut ne pas oublier que l'imagination ajoute réellement aux impressions des sens, de manière que les impressions réelles sont toujours moindres que ce que nous redemandons à la mémoire.

de psychologie, et vous verrez que les nombreux phénomènes attribués au cœur ont partout échappé à leurs auteurs. Vous retrouvez dans leur creuset quelques analises des idées; mais le mouvement qui compose la vie semble leur échapper de partout,

à

peu près comme ces gaz, qui font l'âme de la chimie moderne, avoient échappé aux maîtres de l'ancienne chimie.

§ 3. Il faut que la théorie des passions, et tous les phénomènes de la faculté de sentir soient compris dans la doctrine de l'imagination. Il n'y a pas jusqu'à la manie qui ne doive trouver sa place dans le domaine varié de cette faculté, qui embrasse l'homme actif tout entier. Enfin le singulier et brillant phénomène des beaux-arts s'y montre dans le lointain, comme une terre promise, où la beauté réunie à la vérité semblent annoncer à l'homme de plus hautes destinées.

L'analise que je vais donner n'a jamais été faite. Loin de prescrire mes principes à qui que ce soit, j'invoque toutes les critiques, dictées par l'amour de la vérité, et fondées` sur quelques connoissances réelles de l'imagination dont tout le monde parle, mais qui, vivant au milieu de nous, ne se montre jamais que voilé.

C'est

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par la connoissance des effets de la sensibilité qu'on arrive à la connoissance de l'imagination.

1. La mémoire de l'imagination est différente de la mémoire de l'intelligence. S 2. Un sentiment moteur des idées est le grand mobile de l'imagination. § 3. Le sentiment ne doit pas être confondu avec le mouvement. § 4. Le sentiment est différent de l'idée. § 5. Ce qu'il faut entendre par les différentes facultés de l'âme.

§ 1. Il y a long-tems que j'avois remarqué

que l'imagination avoit une mémoire capricieuse et inconstante. En effet, se rappellet-on les cent mille rêves que l'on a faits tout éveillé, tandis que les pensées réfléchies de l'intelligence paroissent acquérir une permanence qui, déjà, annonce un autre ordre d'idées. J'ai cherché les lois de l'inégalité de la mémoire des différentes facultés de notre être et j'ai aperçu que les souvenirs de l'imagination tenoient tous à

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quelque sentiment. J'ai fait un pas de plus, et j'ai vu que le même sentiment qui conserve les images avoit fait naître ces images, et qu'un sentiment éteint semble congédier les idées qu'il avoit mises en mouvement, comme un Général d'armée congédie, après la victoire, les soldats rassemblés pour le combat.

Il y a donc, me suis-je dit, une liaison entre les sentimens et les idées. En effet, un homme en colère ne parle pas comme un ami paisible. L'amour a son langage; l'avarice a le sien; chaque appétit, chaque passion a son assortiment d'idées, son rhythme, sa marche, son mouvement, son allure, enfin ses images favorites. Changez de sentiment, vous aurez un air différent, une musique différente des idées et des mouvemens différens,

Ce qui est très évident dans les passions est encore apercevable dans les plus petits mouvemens de la sensibilité; et s'il est vrai que l'homme ne puisse agir que par un motif, ce motif, ne pouvant être que senti, toutes les actions humaines se trouvent dès lors soumises aux lois de l'imagination.

Chose admirable au milieu de tous ces

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