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des fibres supposées. D'autres plus modernes ont voulu abstraire, classer et faire des nomenclatures avant d'avoir observé. Les ténèbres de la philosophie Allemande semblent avoir fait préférer aux penseurs les explications mécaniques. Des hommes, plus exercés dans les sciences physiques et physiologiques que dans l'art de s'observer soi-même, se flattent de trouver quelque lumière dans un matérialisme positif, plus obscur qu'aucune philosophie de Kant; et faisant de l'homme un automate, ils expliquent tout par les lois de la matière, tout, excepté la pensée. Que s'ils viennent à s'apercevoir de ce défaut, ils supposent quelque qualité occulte de la matière, qui leur suffit pour prendre tous les phénomènes de l'âme et de l'esprit comme en croupe de leurs hypothèses.

12. Les idées semblent aussi être le sujet et pour ainsi dire la matière des beaux-arts. Mais l'expression des idées, l'imitation pure, ne suffit pas; les beaux-arts, étant le langage de l'imagination, doivent exprimer tout ce qui appartient à l'imagination, et ne pas oublier l'harmonie qui est l'âme de cette faculté.

L'âme des beaux-arts réside toute entière dans la sensibilité, et c'est à exprimer le sen

timent et non (1) les idées, que tendent tous les efforts de l'art. Dans les beaux-arts, les idées doivent être subordonnées au sentiment, tandis que dans le domaine de l'intelligence les sentimens sont subordonnés aux idées.

Tout ce qui sert à peindre le sentiment, tout ce qui est d'accord avec la sensibilité motrice, est vrai dans les beaux-arts. C'est par la vérité de l'expression du sentiment moteur que tous les cœurs sont émus, et de cette douce émotion de la sensibilité naît l'harmonie, qui est l'âme de la beauté.

L'on voit encore ici la grande distinction entre l'imagination et l'intelligence. L'imagination dans les beaux-arts ne s'attache qu'à peindre le sentiment, tandis que l'intelligence toujours étrangère à la sensibilité, ne s'attache qu'aux idées. L'une de ces facultés s'occupe de ce qui est beau, et l'autre de ce qui est vrai.

13. Un autre caractère qui marque la différence des sentimens d'avec les idées, c'est que les sentimens se manifestent presque toujours par quelque mouvement lié aux besoins

(1) Un des caractères de la mauvaise musique est de vouloir tout peindre et de s'attacher anx idées, plutôt qu'au sentiment. La bonne musique au contraire en uous faisant tout sentir, est bien sûre de nous faire tout penser.

de l'organisation, tandis que la marche des idées est plus indépendante des besoins, et peut s'élever d'idée en idée par les lois qui ne sont propres qu'à l'intelligence.

CHAPITRE II.

Ce que c'est que

le sentiment moteur.

Sr. Les sentimens sont des sensations très-composées. § 2. Il y a des rapports naturels entre les idées et les sentimens. § 3. Il y a de plus des rapports acquis par les lois de l'association des idées. § 4. Les idées sont mues par des sentimens assez distincts pour étre aperçus comme sensations de plaisir ou de douleur. § 5. Les idées paroissent avoir entr'elles des rap or's en vertu desquels l'une s'associe mieux avec telle idée qu'avec tout autre. § 6. Le désir excite les idées parce que son objet est au dehors de l'homme. $7. Les désirs ne s'éteignent qu'avec S la sensibilité. § 8. Naissance et développement complet du sentiment moteur. § 9. Cause finale de l'imagination. § 10. Importance de l'idée dirigeante.

Il est de la plus grande importance dans

1. L

la théorie de l'imagination, de se faire une

idée juste du sentiment moteur. Maintenant que l'analise de l'imagination a été poussée au point de distinguer nettement les idées des sentimens, je vais donner le développement complet de ce que j'appelle sentiment moteur.

Le premier élément du sentiment moteur est une sensation de l'organe si varié de la sensibilité. Ces sensations élémentaires portent plus ou moins avec elles ce que nous appelons plaisir ou douleur. L'âme n'ayant connoissance de ces sensations que par le plaisir ou la la douleur on conçoit que les sensations indifférentes, privées de ce caractère, ne peuvent point exister pour elle, ou, du moins, n'arrivent pas à sa connoissance.

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Sans doute que les sensations de la sensibilité ou du sixième sens, aperçues par l'âme, sont elles-mêmes très-composées; l'extrême finesse, que nous pouvons supposer aux élémens nerveux le feroit Nous soupçonner. pouvons encore le supposer d'après ce que nous savons des cinq sens. Que de rayons de lumière ne faut-il pas pour produire une sensation de lumière ? Et l'on sait qu'il faut un grand nombre de vibrations pour produire la sensation d'un son. Il faut de plus qu'une sensation ait ane certaine durée pour devenir une perception.

Ces sensations élémentaires ont des rapports avec les idées. Ces rapports sont naturels ou acquis.

2. Il est à croire qu'il existe des rapports naturels entre nos appétits et les idées propres à faire connoître, et à procurer réellement ce que ces appétits exigent. Il y a sans doute des rapports préordonnés entre le sentiment de la faim et l'idée des alimens, entre le sentiment de l'amour et l'idée d'une femme. L'enfant nouveau ne trouve tout seul le sein de sa mère, et le jeune homme distingueroit une femme parmi tous les êtres de la création (1).

3. Il y a de plus des rapports acquis

(1) Pourquoi chaque sentiment auroit-il ses idées de préférence, s'il n'y avoit pas des rapports ( à la vérité bien mystérieux ) entre le sentiment et les idées. Qui n'a pas senti le besoin de dire ce qu'aucune parole du langage ne pouvoit exprimer. Ce besoin n'indique-t-il pas, un rapport non développé du sentiment avec des idées qui ne sont pas nées encore? Le premier des orateurs, Cicéron, n'a-t-il pas dit, qu'il n'avoit jamais atteint cette perfec tion de l'éloquence qu'il sentoit exister au-dedans de lui? Quel est le sens de cet aveu ? si ce n'est qu'il sentoit au-dedans de luimême des rapports non développés, mais réellement existans, entre le sentiment et la pensée ?

Ces rapports préexistent donc dans l'homme, ils se développent à mesure que les sensations et les sentimens viennent à naître, tous ont, pour ainsi dire, la forme de l'espèce, mais avec des variétés presqu'infinies. De là vient que le développement du genre humain se fait à peu près sur une même ligne, dont les déviam tions ne dépassent jamais certaines limites.

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