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§ 2. L'intensité, imprimée aux idées par l'imagination, n'a rien de commun avec cette autre intensité imprimée aux idées par l'intelligence, que nous appelons attention. Plus l'homme ému sent vivement, moins il fait d'effort pour sentir, et moins il a la conscience de ce qu'il éprouve; au lieu qu'il est de la nature de l'attention d'avoir éminemment la conscience des idées dont elle s'occupe. Dans l'imagination, le siége de l'activité est dans le sentiment moteur, tandis que l'intelligence

se concentre toute entière dans l'idée même qu'elle fixe. Voilà pourquoi l'imagination, toute employée à sentir, est toujours stérile en connoissances, tandis que l'intelligence en est la source unique et intarissable. L'imagination crée, invente; l'intelligence dispose, ordonne la première féconde notre être l'autre le développe. La perfection de l'homme est dans l'heureux mélange de ces deux facultés.

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» dans la lanterne magique qui fait paroître des figures sur les » murailles à mesure qu'on tourne quelque chose au dedans. »

Ce quelque chose qu'on peut tourner au dedans, c'est le sentiment moteur qui fait paroître et disparoître les idées, et donne de la régularité à leurs formes, selon l'intensité et la permanence de l'agent qui les anime, et selon la richesse et la mobilité que cet agent trouve dans la mémoire,

§ 3. La première loi de l'imagination est la source de l'invention, la seconde est la source de la disposition des idées trouvées

par

la loi première. On conçoit que les idées se rangent d'après leur rapport avec le sentiment moteur; que les premières en intensité se placent à la tête des autres, de manière que l'ordre naturel des idées exprime exactement l'ordre de leurs intensités réciproques. Quand l'expression du sentiment fut devenu un art, le poëte et l'orateur eurent égard, non-seulement aux besoins de leur propre sentiment, mais plus encore aux besoins de celui des personnes qu'ils cher

choient à émouvoir.

§ 4. On distingue deux sortes d'imagination, l'une vive, l'autre forte. L'imagination est vive lorsqu'un léger degré de sensibilité excite un grand nombre d'idées; l'imaginationforte, au contraire, moins riche et moins mobile en idées, mais plus profonde en sensibilité, semble prendre ses conceptions plus. avant dans l'âme, et leur imprimer une plus forte intensité. La première tient un peu de l'intelligence, l'autre est l'imagination par excellence. L'imagination vive vaut mieux pour le bonheur de qui la possède; mais

l'imagination forte fait plus infailliblement le bonheur ou le malheur des autres. La perfection de cette faculté est dans le juste milieu entre ces deux points extrêmes.

La loi des intensités, correspondantes à chaque degré de sentiment, est bien évidente dans la inusique et dans la déclamation; mais cette loi existe dans tout le domaine de l'imagination. Si dans la conversation on s'arrête trop long-tems sur un même sujet, si l'on appuie trop sur une idée, on devient lourd, parce que, supposant aux autres le même sentiment qui nous anime, nous donnons aux idées que nous leurs présentons, une importance qu'elles ne peuvent avoir pour qui ne sent pas comme nous. Les intensites déplacées font de nos idées des caricatures.

§ 6. Ce que nous appelons le tact dans la société (bien différent du goût qui ne fait qu'apprécier ce qui est beau) nous enseigne à deviner dans chaque moment, non les idées qui occupent les autres, mais les sentimens qui, dans chaque instant, dominent ceux avec qui nous avons à vivre.

Le tact est le premier élément d'harmonie dans la société, et, sous ce rapport, il s'élève presqu'au rang des vertus sociales qui font

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le charme de la vie. On ne fait pas assez attention, que la connoissance des sentimens d'autrui tend à rapprocher l'homme de l'homme, et à aplanir la route aux vertus plus importantes de la société. Il y a d'ailleurs dans l'harmonie de nos sentimens avec la sensibilité de ceux avec qui nous avons à vivre, un charme qui tient de l'harmonie musicale. On trouve dans cette douce correspondance un développement d'idées qui, comme nous verrons, est inhérente à toutes les harmonies. C'est dans ce développement, dû au tact, que consiste l'esprit de société, qui nous enseigne à donner à chaque chose l'importance qu'exige le sentiment qui domine les hommes avec qui nous avons à vivre, et à nous tenir, lorsque nous le voulons, en harmonie avec leur sensibilité.

La loi de l'intensité, imprimée par le sentiment aux idées ou aux images, règne dans tout l'empire de l'imagination. La peinture, l'architecture, la sculpture, la pantonime, la danse, la poésie, surtout la musique, tous les beaux-arts, en un mot, fout ressortir telle image, tandis qu'elles ne font qu'en indiquer légèrement telle autre. La raison de toutes ces convenances le

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motif de toutes ces intensités, n'existent que dans le sentiment moteur, et dans les rapports intimes que la nature a fixés entre la sensibilité motrice et l'intensité des idées.

CHAPITRE VI.

La loi des idées successives, ou des transitions d'une idée à une autre: troisième loi de l'imagination.

S1. La succession des idées se fait d'après les règles de l'imagination. § 2. Du principe de l'invention en poésie. § 3. Les idées successives sont réglées par le sentiment moteur. S 4. Importance de l'ordre dans les occupations. § 5. Le sentiment du tems a sa source dans l'imagination.

§ 1.

Je passe au troisième phénomène de

E

l'imagination, et j'observe que chaque sentiment moteur préfère telle série d'idées à telle autre série. Les rapports du sentiment moteur aux idées successives ne sont pas moins réels que les rapports du même sentiment avec les idées coexistantes.

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