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qu'on aura su lui plaire ou lui déplaire. Il sera parfaitement bon tant qu'on ne s'opposera à aucune de ses volontés, mais il sera terrible ou perfide aussitôt qu'on l'aura choqué dans ses passions. Il aimera avec excès sa liberté personnelle, parce que, n'agissant jamais que par la sensibilité, tout ce qui chez lui attente au sentiment lui semble anéantir la vie même. Moins il a d'idées, plus ses passions seront courtes et terribles, et néanmoins ce même homme porte dans soi le germe de la raison, des sciences et de toutes les vertus sociales: tant l'être sensible et pensant renferme dans les profondeurs de son âme de choses non développées!

CHAPITRE XI1.

Comment le sentiment vient à s'éteindre.

S1. Le sentiment s'éteint de quatre manières. § 2. Par la jouissance, il s'éteint avec le besoin qu'il avoit fait naître. § 3. Il s'éteint par la réflexion. § 4. Il se perd dans les passions secondaires. § 5. Il se perpétue en s'alliant à l'harmonie et aux idées morales.

1.

Nous avons suivi le sentiment dans

sa naissance, c'est-à-dire dans son état de sensation. Nous l'avons ensuite observé comme cause motrice des idées, et dans ses développemens nous l'avons vu produire les passions et la folie. Pour achever son histoire, nous allons faire celle de sa mort.

Le sentiment s'éteint de quatre manières. 1. Par la jouissance complète, qui éteint le désir.

2. Par la cessation du besoin qui fait naître le désir.

3. Par la réflexion.

4. Le plus souvent les passions primitives se perdent dans les passions secondaires.

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2. Je l'ai déjà indiqué, et l'on verra plus bas, que le mot sentiment est synonyme de désir; le désir, placé entre le besoin excitateur, et la jouissance, parcourt tous les points intermédiaires entre ces deux points extrêmes. Le premier éveil du désir est dans l'espérance, c'est-à-dire dans la jouissance imaginaire, qui sans cesse anime et excite le désir. Aux jouissances imaginaires succèdent les jouissances réelles, qui finissent le drame dans la jouissance complète, où tout s'éteint. La passion qui s'éteint dans la jouissance complète, s'éteint réellement dans le besoin qui l'avoit fait naître c'est ainsi que la faim et la soif s'éteignent après avoir produit le désir de boire et de manger, et avoir obtenu la jouissance complète, laquelle fait taire le besoin excitateur.

Le sentiment peut s'éteindre dans le besoin qui l'avoit fait naître sans avoir jamais passé par la jouissance. Un long amour peut être atteint par la vieillesse et mourir en deça comme au delà de la jouissance.

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§ 3. La réflexion est assez mal famée dans son office d'arrêter les passions; mais c'est

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à tort; elle est presque toujours victorieuse lorsqu'on l'emploie à propos, et l'adage de principiis obsta est aussi vrai qu'il est vulgaire. Lorsque la théorie des passions sera mieux connue il sera plus aisé de les dompter, puisqu'instruit de leurs véritables symptômes, on saura y appliquer les remèdes aussitôt qu'on en aura la volonté. Je sais qu'il y a tel période d'une passion où l'on ne veut plus être guéri: alors rien ne guérit que la jouissance complète, mais plus souvent encore le malheur extrême.

§ 4. Nous verrons dans la suite que les passions primitives émanées des premiers besoins, dans l'état de société, se changent en passions secondaires ; c'est-à-dire en passions pour les moyens, qui, le plus souvent absorbent la vie entière de l'homme; de manière que la passion primitive finit enfin comme le Rhin dans les sables de ses rivages.

5. L'éternité du sentiment est dans les idées morales, qui loin d'éteindre la sensibilité, l'élèvent, l'anoblissent, et la font participer au don de l'immortalité.

L'harmonie née de la beauté, l'harmonie placée, pour ainsi dire, entre l'intelligence

et la sensibilité, semble donner de l'âme aux sens mêmes; et Mozart, Raphaël, Phidias et Homère ont su immortaliser l'idée si fugitive de la grâce et de la beauté, l'associant à l'harmonie, qui semble destinée à être la compagne inséparable de l'intelligence et de la perfectibilité de l'homme.

en

CHAPITRE XIII.

S1. Si les idées morales sont susceptibles de démonstration. § 2. Développement prodigieux de quelques idées. § 5. Il laisse entrevoir la possibilité du développement des autres idées. § 4. Ce que nous ne savons pas prend la forme et les prétentions d'une vérité, aussitôt que l'énoncé de l'ignorance a pris la forme d'une proposition,

1.

AVANT d'achever ces dévelopemens, je dirai un mot sur la question: si les idées morales sont susceptibles de démonstration.

Toutes les idées sont susceptibles de formes logiques; on peut tout réduire en syllogismes, et prouver tout ce qu'on veut d'après les formes et sur des données admises. Mais est-ce là ce qu'on doit entendre par démonstration? Je ne le crois pas.

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