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C'est que

dans quelques âmes le mouvement

qui ne peut être représenté que par lui-même, c'est-à-dire, par le mouvement. Ces souvenirs de sensibilité sont là, ou tous vivans, ou bien ils n'existent point du tout. Nous pouvons retrouver leur dernière trace, et voir la dernière heure de l'horloge arrêtée, mais le mouvement une fois éteint, le senti· ment cesse d'exister avec le mouvement. Tout ceci est vrai abstraitement, mais comme il y a des nuances infinies de mouvement, il y a dans ce sens des souvenirs infinis de sensibilité.

Cette mémoire placée dans les organes, ou dans le mouvement des organes n'exclut point la possibilité d'une mémoire placée dans l'organe spirituel. Les organes matériels, qui dans certain cas donnent des souvenirs, sont ce qui nous en prive dans d'autres, et l'on conçoit que l'âme, délivrée de l'organe extérieur peut, par là même, acquérir une mémoire plus parfaite, où tout ce que l'âme a jamais éprouvé se retrouve. Cette mémoire, appropriée à des organes plus déliés et à des rapports plus étendus, produiroit de nouveaux développemens et feroit naître de nouvelles harmonies et des vérités nouvelles. On conçoit que cette seconde vie seroit la révélation complète du passé, et par-là même une révélation de l'avenir, qui ne peut se lire que dans le passé. Cette hypothèse donneroit la plus grande unité à la vie, en donnant à l'âme le plus vif sentiment de reminiscence. Dans cette renaissance l'âme se trouveroit tout-à-coup ravivée par la résurrection de tous les souvenirs et de toutes les pensées; elle revivroit encore dans tout ce qu'elle a senti et pensé.

On me demandera ce que c'est qu'un organe spirituel; je réponds que c'est cet ensemble de rapports, intermédiaire entre le mouvement de l'organe et la sensation placée dans l'âme. Sans ces rapports préétablis, je ne saurois comprendre que tel mouvement peut produire dans l'àme précisément telle modification. En effet, comment concevoir une telle sensation sans des rapports préétablis entre l'objet et l'organe, et sans un second système de rapports préétablis entre l'organe et l'âme ?

de la sensibilité paroît ne point s'éteindre. Dans les âmes féroces, chez tous les peuples sauvages, chez toutes les nations où la réflexion n'est point encore née, la soif de la vengeance paroît éternelle. Dans toutes les passions, le sentiment dominant monte l'organe de manière à produire des intensités croissantes. Mais si la sensibilité s'allie au sentiment du beau et du vrai, il sort du domaine des sens, et semble par son alliance avec l'harmonie et l'intelligence s'associer en quelque sorte à l'immortalité même.

La mémoire des idées paroît tenir à l'attention (1), qui est un mouvement émané de l'intelligence, et la raison pourquoi le sentiment n'a pas de mémoire, c'est que l'attention ne peut se fixer sur lui sans le dénaturer, comme le repos ne peut se fixer sur le mouvement sans l'anéantir.

§ 13. Les véritables traces de la sensibilité se lisent dans l'ordre des idées associées tou

(1) Viæ quasi quædam sunt ad oculos, ad aures, ad nares, a sede animi perforatœ; itaque sæpe aut cogitatione aut aliqua vi morbi impediti, apertis atque integris at oculis et auribus, nec videmus, nec audimus, ut facile intelligi possit, animum et videre et audire, non eas partes, quæ quasi fenestræ sunt animi; quibus tamen sentire nihil queat mens, nisi id agat, et adsit. Cicer. Tuscul. L. I. Chap. 20.

jours rangées selon l'ordre des intensités émanées de la sensibilité. Car, dans l'intérieur de l'âme, comme dans l'extérieur de l'homme, le sentiment range tout selon l'ordre, je dirai presque selon l'étiquette du cœur. Nous verrons en parlant des passions que chaque sentiment, qui arrive, tend à désassocier les idées liées des sentimens antérieurs, pour former des associations qui soient en rapport avec lui-même (1). Ce sont toutes ces in

par

(1) Je conçois deux principes de l'association des idées, l'un provenant de la sensibilité. Dans l'esprit du système de Leibnitz, la sensibilite demeureroit continuellement active jusqu'à ce qu'une force contraire vienne à changer cette activité. Cette hypothèse seroit conforme aux faits qui prouvent que chaque sentiment nouveau altère plus ou moins les associations précédentes, en modifiant le sentiment associateur, soit en désunissant les idées, soit en rendant leur association plus forte, ce qui arrive lorsque le sentiment nouveau est dans le sens du sentiment qui a formé les associations déjà établies.

La seconde force associatrice des idées est dans l'intelligence, qui lie les idées, non par des sentimens, mais par des rapports inhérens aux idées mêmes. Leibnitz di: que « les principes » généraux lient nos pensées, ils y sont nécessaires comme les » muscles et les tendons sont nécessaires pour marcher quoi» qu'on n'y pense point. L'esprit s'appuie sur ces principes à » tout moment, mais il ne vient pas aisément à se les repré» senter distinctement.» Suivant d'autres principes, les idées abstraites tiennent à toutes les idées individuelles, comme le centre d'une toile d'araignée tient à tous les rayons, et par eux à tous les polygones concentriques qui composent cette toile, On sent assez distinctement que le rappel des idées raisonnées est plus réfléchi, plus spontané, que le rappel des idées de l’imagination, qui ne tiennent ensemble que par le sentiment moteur,

fluences de la sensibilité sur les idées, et des idées sur la sensibilité, qui constituent le jeu et la nature de l'imagination.

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Rapport des sentimens avec les idées.

1. Quelquefois c'est l'idée qui domine sur le sentiment, quelquefois c'est le sentiment qui domine sur les idées. § 2. Quand les idées se suivent d'après une association ancienne, c'est de la mémoire ; quand elles se suivent d'après l'influence d'un sentiment présent, c'est de l'imagination. § 5. Le sentiment ajoute à la mémoire lorsqu'il est dans le sens du sentiment qui a formé l'association rappelée. § 4. L'áme pense toujours parce que la sensibilité ne peut pas cesser d'agir.

§ 1. LE sentiment

E sentiment, considéré dans ses rapports avec les idées, présente plusieurs phénomènes remarquables. Quelquefois c'est l'idée qui domine sur le sentiment associé, alors tous les mouvemens de l'âme sont calmes. D'autres fois c'est le sentiment qui domine, alors l'association se fait en raison de l'im

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portance de chaque idée, c'est-à-dire en raison de l'ordre de ses rapports avec le sentiment moteur, de manière que l'idée qui touche le sentiment de plus près sera première en date et première en intensité. De là l'origine des inversions (1), où la sen

(1) Voyez comme, dans les bonnes poésies, les mots vont se placer d'après l'ordre assigné par la sensibilité. J'ouvre Horace au hasard, et dans sa treizième Ode du troisième livre sur la fontaine de Blandusie, j'observe que les adjectifs, qui expriment ce que le poëte sent vivement, sont placés avant leurs substantifs.

Dulci digna mero - gelidos rivos, - flagrantes caniculœatrox hora-frigus est placé avant amabile, parce qu'ici le substantif exprime le sentiment même, fessis tauris-nobilium fontium-loquaces lympho.- Le sentiment dominant dans cette ode semble être le sentiment de fraîcheur que cette fontaine fait éprouver au poëte. Mais lorsqu'Horace est peintre, c'est-à-dire, lorsque c'est à l'œil qu'il parle, il sait très-bien placer l'objet avant ce qui n'est qu'accessoire à l'objet.

Frons turgida, cornibus primis - pecori vago - fons splendidior vitro.

C'est par ces inversions que le poëte est vraiment peintre, c'est-à-dire, , que c'est l'ordre dans lequel les mots sont placés, qui produit le clair-obscur, sans lequel il n'y a pas d'effet. Il est naturel que les idées, qui ne sont là, que par le sentiment qui les a fait naître, soient placées après le sentiment; il est naturel encore, que lorsque le poëte est peintre, il commence par le sujet du tableau, et non par quelque détail de ce sujet. Co n'est qu'au sentiment qu'il peut appartenir de placer par fois quelque détail en avant de l'objet niême comme le peintre place la lumière sur telle ou telle partie du tableau pour faire ressortir cette partie.

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