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§3. Le sixième sens ne nous donne pas mieux la connoissance réelle des objets qui agissent sur lui, que le sens de la vue ne nous instruit de la réalité de l'objet que nous voyons. Il nous donne aussi peu la connoissance de lui-même; car toute sensation n'étant que l'âme même, modifiée en sensation, ce n'est jamais qu'elle-même qu'elle peut apercevoir.

§ 4. Nous avons dit: que l'âme ne pouvoit rappeler ses idées, puisqu'elle ne pouvoit vouloir une idée qui n'existoit pas pour elle. Il faut donc chercher ailleurs que dans la volonté la cause du rappel des idées. Nous la trouverons dans la sensibilité, et comme ce sens, qui nous transmet l'action des organes, est durant la vie dans un mouvement non interrompu, c'est dans ce sixième sens que nous trouverons la source du réveil des idées.

Les idées, une fois éveillées par la sensibilité, l'âme peut les employer; l'attention peut leur donner une intensité, un développement, qui les rend dominantes dans la série de leurs associées; mais la volonté même ne peut réveiller aucune idée, puisque la volonté ne peut agir sur ce qui n'existe pas pour elle.

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CHAPITRE V.

Du sentiment associé avec les idées.

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§ 1. On ne doit pas expliquer les idées par le mouvement, mais observer leur correspondance avec le mouvement des organes. $ 2. Toute sensation suppose un sens. § 3. Les sensations de plaisir et de douleur sont distinctes des sensations des cinq sens. § 4. Les sensations de plaisir et de douleur se séparent de la sensation associée. § 5. Comment il arrive que les sensations des cinq sens sont presque toujours associées avec quelque sentiment de plaisir ou de douleur. § 6. L'inconstance en amour est une désassociation d'idées.

§ 1.

EN parlant sans cesse d'organes, de

mouvemens et d'idées, il faut ne pas confondre ces choses, et ne pas perdre de vue que toutes les idées, toutes les sensations ne sont jamais que dans l'âme, et tous les mouvemens, tous les organes hors de l'âme. Jamais la science de l'homme ne fera de progrès, tant qu'on ne séparera pas ces deux grandes classes des phénomènes spirituels et

matériels,

matériels, dont la distinction fait la partie la plus essentielle de la connoissance de l'homme.

§ 2. Si les corps ne peuvent agir sur l'âme il faut donc un

que par

le

moyen

des sens,

sens particulier pour transmettre à l'âme les sensations de plaisir ou de douleur. Mais, dira-t-on, le plaisir ou la douleur physique ne sont que des modifications des sensations appelées agréables ou désagréables. Je vais hasarder une opinion de la plus haute importance dans la théorie de l'homme, opinion qui me paroît avoir une grande probabilité; c'est que les sensations des cinq sens ne sont agréables ou désagréables que par leur association intime avec le sixième sens, destiné à produire, à lui seul, les sensations de plaisir ou de douleur.

Il ne faut pas oublier que je ne parle ici que des sensations, et que je laisse de côté les sources morales et spirituelles de peine ou de plaisir, placées dans l'harmonie et dans l'intelligence.

§3. Je commence par observer, que je puis distinguer une odeur, une couleur, une saveur de la sensation de plaisir que me donne cette saveur, cette odeur ou cette

couleur. Si la distinction que j'en fais n'est pas toujours très-saillante, c'est que l'esprit étant plus accoutumé à sentir le plaisir ou la douleur, qu'à le connoître, les sensations de plaisir et de peine sont restées sans nom propre et sans caractère distinctif, tandis que les autres sensations ont conservé un grand éclat dans l'esprit. On a bien raison de dire qu'il ne faut pas disputer des goûts; c'est que, pour disserter sur les goûts, il faudroit avoir un langage qui sût en exprimer les differences, et ce langage nous manque

encore.

§ 4. Il y a plus: les goûts peuvent changer, et la sensation rester la même. Le plaisir donne telle couleur à un enfant, peut que ne plus exister pour l'homme fait; et néanmoins, dans les deux cas, la sensation de la couleur est restée la même. Il en est ainsi du toucher et de l'odorat, que l'homme froid ou l'homme épris d'amour peuvent sentir si diversement. Et les sensations du sens du goût ne changent-elles pas avec chaque nuance de santé? Je ne parle pas des sons, parce que le plaisir des sons isolés est peu remar¬ qué, et que celui des sons multiples tient toujours au plaisir de l'harmonie, dont il

faut chercher la source, non dans les sens, mais dans l'âme même. Si le plaisir et la douleur faisoient partie de toutes ces sensations, comment pourroient-ils en être séparés, et comment se feroit-il que des sensations si diversement senties, que celles d'une couleur et d'un plaisir, n'eussent pas des organes divers? N'est-ce pas contredire la grande loi de la correspondance des phénomènes physiques et spirituels, que de supposer

que

le même mouvement dans les organes puisse produire des sensations si différentes; ou que des sensations d'un genre aussi différent qu'un plaisir est différent d'une couleur, fussent le résultat de mouvemens semblables ou identiques?

Je ne puis admettre le principe qui fait dépendre le plaisir ou la douleur de l'intensité de l'action de l'organe. Le chatouillement n'est pas un coup léger, non plus, que le coup léger est un coup fort; ces sensations ne sont pas différentes d'intensité seulement, mais elles sont réellement d'espèces différentes. L'action renforcée met en mouvement des organes, ou des parties d'organes, que l'action foible ne peut atteindre. Le sentiment du coup fort n'est pas la sen

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