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de certains agents sans scrupules des exigences intolérables, même criminelles.

Tout cela est vrai!

Peut-on, avec ces éléments, justifier toutes les attaques dont l'Etat et ses fonctionnaires sont l'objet ? L'Etat Indépendant a-t-il été l'ogre insatiable que l'on dépeint; ses agents sont-ils les avides jouisseurs que l'on prétend?

Nous allons répondre à ces questions après avoir formulé sur le caractère indépendant que peut revêtir notre écrit, quelques considérations nécessaires.

* **

Officiers au service de l'Etat, sommes-nous indépendants, c'est-à-dire pouvons-nous émettre par écrit, par paroles, nos appréciations sur les événements qui se sont déroulés sous nos yeux, sur ceux qui nous ont été rapportés, ou dont nous avons eu connaissance de par l'exercice de notre profession?

En général, les Etats entendent que leurs fonctionnaires ne se mêlent pas directement aux discussions politiques ou sociales. Cette exigence, plus ou moins déguisée, se justifie par la nécessité de garder secrets certains actes gouvernementaux et, surtout, par le fait que les fonctionnaires ne connaissent pas toujours les mobiles véritables des gouvernants dont ils reçoivent les ordres, qu'ils peuvent n'avoir qu'une vue imparfaite sur l'ensemble des événements, qu'ils ne sont pas responsables de l'orientation donnée à la politique intérieure et extérieure de leur pays, puisqu'elle n'émane pas d'eux; enfin, cette exigence dérive aussi de l'esprit de parti.

Cela ne signifie pas que le fonctionnaire a nécessairement la bouche close, quoi qu'il puisse arriver. La dépendance qui résulte de ces différents motifs implique le sacrifice de conserver son opinion pour soi, aussi longtemps que les actes exigés ne froissent pas les sentiments moraux ni le droit.

Nous considérons comme une règle générale la possibilité pour les fonctionnaires d'un pays libre

comme la Belgique, de livrer à l'opinion publique les actes gouvernementaux qui auraient pour conséquence de leur imposer une mission contraire à l'honneur, contraire à la morale, avec la certitude de trouver dans cette opinion l'appui nécessaire pour les mettre à l'abri d'un coup de force.

Mais il faut, pour cela, qu'ils soient exclusivement guidés par les sentiments les plus élevés, tels le souci des intérêts généraux du pays, le respect de la morale et du droit. Il faut surtout que l'intérêt personnel n'y ai aucune part.

Les fonctionnaires congolais ne jouissent-ils pas d'une indépendance analogue? Sont-ils réellement muselés comme l'affirment certains polémistes?

Dans cet ordre d'idées, l'Etat Indépendant n'a édicté que la prescription suivante :

Par le seul fait de leur acceptation, les fonctionnaires et agents de tout rang s'engagent:

50 A ne pas communiquer à des personnes étrangères à l'administration et à ne pas publier, sans autorisation spéciale, des renseignements relatifs à des affaires de l'Etat ou à des affaires de particuliers dont ils auraient connaissance en raison de leurs fonctions officielles. Les agents correspondant entre eux, sauf pour affaires de service, doivent s'abstenir. de s'occuper des affaires intéressant l'Etat.

L'obligation de garder le secret professionnel subsiste comme engagement d'honneur, même après que les agents ont quitté le service de l'Etat Indépendant.

Cette prescription, lorsqu'on y regarde de près, n'a pas le caractère restrictif qu'elle semble posséder au premier abord.

Les mots « en raison de leurs fonctions officielles », que nous avons soulignés à dessein, montrent clairement la limite que l'Etat a voulu donner à l'indépendance de ses fonctionnaires. Ils séparent nettement les actes généraux de l'Etat de ses actes privés.

En d'autres termes, l'Etat veut empêcher qu'un officier chargé d'une mission politique, par exemple, puisse divulguer les ordres secrets qu'il peut rece

voir de ce chef; il veut empêcher qu'un substitut puisse publier, en tout ou en partie, les dossiers qu'il constitue ou dont il a la garde en vertu de ses fonctions; il veut empêcher qu'un officier de l'état-civil puisse rendre publics les actes qu'il établit; il veut empêcher qu'un agent d'administration puisse divulguer les notes biographiques qu'il est chargé de classer.

Tout cela est parfaitement légitime!

L'Etat ne peut faire dépendre de l'humeur d'un agent le succès de ses pourparlers diplomatiques, l'aplanissement des incidents de frontières; il ne peut livrer à la curiosité publique les actes des malheureux que le pouvoir judiciaire ou administratif a dû frapper!

Mais lorsqu'il s'agit des principes directeurs de la politique sociale, administrative ou financière, l'indépendance des fonctionnaires doit être complète, et nous pensons que l'Etat Indépendant n'a jamais cherché à la limiter.

Nous n'en voulons pour preuve que les nombreux écrits qui existent sur le Congo, émanant de fonctionnaires, sans compter les innombrables conférences auxquelles ils ont participé.

D'ailleurs, l'Etat congolais est le plus mal partagé sous le rapport de la dépendance du personnel vis-à-vis du pouvoir. Quand une administration possède, sur un effectif de moins de 1,400 agents, une centaine d'officiers belges qui se renouvellent sans cesse, soixante-dix officiers italiens (jusqu'en 1906), quarante officiers scandinaves, tous en activité de service, c'est-à-dire pouvant rentrer à toute heure dans les rangs militaires de leur pays, et ne pouvant par conséquent être atteints dans leur gagne-pain; quand cette administration est surveillée, guettée par certains consuls étrangers et par un service d'espionnage déguisé sous les couleurs évangéliques c'est-à-dire par autant d'oreilles prêtes à écouter les plaintes, c'està-dire par autant d'habiletés toujours à l'affût des incidents, toujours prêtes à les propager et à en faire des armes contre l'Etat, on est peu fondé à prétendre à une dépendance absolue du personnel.

Nous n'ignorons pas qu'à côté de ces deux cents officiers, complétés par les docteurs en droit de toutes nationalités qui peuplent les cadres judiciaires, il y a encore mille agents dont le pain journalier dépend de leur emploi colonial dans une mesure plus ou moins grande; nous n'ignorons pas que les engagements sont de trois ans et que l'Etat peut toujours ne pas consentir un nouveau contrat à ceux qui lui déplaisent; nous n'ignorons pas que l'Etat peut même atteindre ses agents dans leur allocation de retraite, attendu que celle-ci a le défaut de ne pas être fixe.

Mais ces docteurs en droit, mais ces deux cents officiers, qui fournissent à l'Etat ses gouverneurs, ses commissaires de district, ses magistrats, ses chefs de zones et de secteurs, ses commandants de troupes, ne dépendent pas exclusivement de l'Etat Indépendant.

Si le gouvernement congolais a été le criminel exportateur de caoutchouc et d'ivoire que l'on dit, il faudrait donc admettre qu'il a pu se faire des complices de la partie la plus élevée et la moins. besogneuse de son personnel.

C'est bien cela que l'on veut faire accroire, lorsqu'on présente les instructions de l'Etat comme étant à double entente, comme étant de véritables jeux de mots, déguisant sous des principes humanitaires des ordres de massacres.

Nous nous révoltons contre ces insinuations, et en ce faisant nous ne défendons pas l'Etat, mais l'honneur de nos chefs, de nos collègues et de nos sousordres; nous n'admettons pas que ces hommes qui possèdent des emplois enviés en Europe, soient devenus, par le seul espoir d'une récompense pécuniaire, aussi grande que l'on veuille l'imaginer, d'affreux gredins, traînant dans les sentiers africains des théories de moricauds affamés et enchaînés, saccageant systématiquement les villages, ne laissant à la population que l'alternative de fournir du caoutchouc ou de mourir.

Mais les fonctionnaires congolais sont mal payés! Si l'on en avait fait de criminels exportateurs

d'ivoire, jouissant de riches prébendes, ils auraient bientôt tous des hôtels à l'avenue Louise, et des villas à la mer.

Et puis, il ne s'en serait pas trouvé un seul pour élever la voix, pour protester contre de pareils ordres? Nul d'entre eux n'aurait placé sa conscience au-dessus de l'argent?

Ah, pardon! Ils sont quelques-uns qui fulminèrent, réclamant l'excommunication du gouvernement congolais du concert des nations et et de ses fonctionnaires du cercle des honnêtes gens.

Sans doute, ces rares champions de la moralité publique se sont-ils élevés contre des ordres infâmes, ont-ils courageusement jeté leur démission à la tête des gouvernants qui en étaient les auteurs, ont-ils sacrifié tout un avenir de gloire et de profits pour la défense d'une race opprimée?

Allons donc! Ces vicaires de la morale ont servi l'Etat pendant huit, dix et quinze ans, au cours desquels ils ont accumulé des petits papiers, soigneusement annoté les fautes, les errements qui découlent nécessairement de toute œuvre humaine, pour en faire un réquisitoire le jour où l'Etat n'a plus satisfait à leur ambition.

Si le gouvernement congolais est tel qu'ils le dépeignent maintenant, ils n'auraient pas dû le servir pendant des années, ni accepter les émoluments, les grades et les croix qui seraient, dans cette éventualité, comme autant de marques de leur propre déshon

neur.

L'un d'entre eux s'appuie, notamment, sur quelques lettres de missionnaires catholiques pour lancer ses sanglantes accusations.

En l'absence de signature et du texte complet des lettres, l'opinion peut difficilement se rendre compte de leur portée réelle.

Mais les missionnaires sont les seuls Européens qui jouissent d'une indépendance absolue, puisqu'ils ne relèvent que de Dieu. Ils ont pour porte-voix des hommes de bien et de talent qui, comme le R. P. Vermeersch, ont écrit sur la question congolaise avec autorité. Nous ne pouvons donc admettre qu'ils se

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