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M. Dwelshauvers reconnaît pour les inventeurs de l'idée de synthèse mentale les grands rationalistes, Platon, Leibniz et Kant. Chez ces penseurs, l'acte de conscience qui est la même chose pour eux que l'acte de connaissance, est définie comme l'unité d'une multiplicité de termes. Ces termes que la perception unifie, c'est déjà, chez eux, des éléments logiques des idées chez Platon, des connaissances confuses chez Leibniz, des sensations ou des concepts chez Kant. La synthèse de ces éléments, l'acte de connaissance est également un acte purement ou avant tout logique : autrement dit, ces philosophes définissent l'acte psychologique fondamental comme connaissance pure.

Tel n'est pas le cas de la synthèse mentale comme la conçoit M. Dwelshauvers. Ce n'est pas un acte logique, mais « prélogique ». Il n'unit pas des éléments de connaissance, idées, concepts ou connaissances confuses, il est hétérogène aux éléments qu'il implique, lesquels ne sont, en dernière analyse, que des mouvements. Il n'est pas un pur jugement, mais il comporte, inséparablement unis, interpénétrés, du sentiment, des tendances et de la conscience (cet acte est pensée confuse, sentiment de lui-même). « Nous avons le sentiment confus d'un effort qui se dessine et qui va se traduire au dehors », où la connaissance claire n'est encore qu'« en puissance ». Cette activité en laquelle consiste la synthèse mentale, c'est ce que M. Dwelshauvers appelle l'intuition.

C'est l'acte primordial, le fait psychologique essentiel. De l'intuition, qui est tendance accompagnée d'un état affectif, résulte, comme un second moment, la pensée discursive, l'enchainement de concepts distincts. La pensée claire n'est donc pas l'essence de l'esprit, elle n'en est que « la plus proche manifestation ». Selon la jolie expression de M. Dwelshauvers (page 40), la conscience, qui cherche la clarté, «< passe outre à l'intuition, sans se douter qu'elle reçoit d'elle la vie ».

La pensée claire n'est qu'un des phénomènes spirituels qui découlent de l'intuition; en découlent aussi l'affirmation de l'existence d'objets, en particulier du monde extérieur, la conscience de notre moi, et enfin toutes nos déterminations volontaires. Les concepts généraux, domaine de la logique, ne sont que les conditions communes de toute intuition, les règles de l'activité de l'esprit Les idées générales ne sont pas antérieures à la conscience, elles ne suffisent pas à la définir. On les trouve par une méthode psychologique spéciale, la méthode réflexive (Appendice).

Si les éléments de la pensée claire ne sont pas le tout de la

pensée, si notre conscience dépasse de beaucoup la pensée claire que nous avons à un moment donné, et si cette pensée claire n'est qu'une conséquence d'une activité préalable, il est nécessaire qu'il y ait dans l'esprit autre chose que le conscient proprement dit : il y a de l'inconscient, auquel M. Dwelshauvers consacre un chapitre de son livre (chap. II). L'inconscient nécessairement impliqué dans tout acte de l'esprit, n'est pour chacun de nous que l'acquis de notre activité antérieure et de celle de nos ascendants, mémoire, prédispositions, tendances naturelles.

La synthèse mentale n'unifie pas seulement ce qui lui est donné du dehors, elle unit ce donné à l'inconscient qui est déjà dans l'esprit. C'est pourquoi l'être conscient ne saurait être considéré comme un mécanisme, qu'une impression donnée doit déterminer d'une manière invariable: cette impression n'est pas seule à agir en nous; nous la combinons avec l'acquis toujours très considérable de notre conscience, différent selon les individus et jamais identique à deux moments différents, puisque chaque impression nouvelle le modifie.

Plus riche est la somme des éléments acquis que nous faisons intervenir dans l'acte de synthèse spirituelle d'où résulte notre conduite, plus complet est notre affranchissement par rapport aux pressions venues du dehors, plus nous sommes libres; et notre personnalité sera d'autant plus considérable qu'elle sera définie par des synthèses plus parfaites d'éléments plus nombreux et plus variés.

Telle est la manière dont M. Dwelshauvers se représente l'activité spirituelle. La théorie qu'il nous propose est un intuitionnisme comme celle de Bergson; mais M. Dwelshauvers a entrepris de définir l'intuition, ce que Bergson ne peut ni ne veut faire, et il définit l'intuition par la notion de synthèse mentale, de passage du multiple à l'un. Par là M. Dwelshauvers éclaircit la notion d'intuition par une notion dont l'origine et la nature sont d'ordre rationaliste,

Au reste, tout le mérite de ce livre ne consiste pas uniquement dans l'importance du sujet traité et dans la valeur de la solution proposée; les détails intéressants y abondent, corollaires indiqués, problèmes signalés, allusions à des solutions étrangères, tout cela servi par une grande érudition philosophique et exprimé avec cette vivacité et cette fraîcheur qui n'accompagnent que la pensée qui cherche et qui trouve.

Pour relever quelque sujet de critique, peut-être est-ce à cette abondance du détail qu'il faut s'en prendre. L'auteur ne peut

renfermer tant d'idées dans ces 274 pages sans supposer parfois chez le lecteur des connaissances et des lectures que le lecteur a un peu le droit de n'avoir pas. Peut-être aussi y a-t-il de l'inéga lité dans la mise au point de certaines parties du système et de leur expression: Le chapitre III qui traite des catégories et des rapports de la raison avec la vie de l'esprit ne paraît pas aussi bien venu que les autres chapitres, et le style semble y perdre un peu de ses qualités.

Il y a chez M. Dwelshauvers une remarquable correspondance entre le fond et la forme de la pensée. Les plus belles pages de son livre sont de loin celles où il exprime les idées qui sont le mieux à lui. Il faut les chercher dans le chapitre Ier, celles qui traitent de l'acte de l'esprit, et dans le chapitre IV, celles où il est parlé de la personnalité et de la liberté. E. DUPRÉL.

Georges WILLAME : LE PUISON

(1 vol. in-18 à fr. 3.50. Éditions de la Belgique artistique et littéraire.)

Ce roman se rattache à la déjà longue série des romans à thèse, sur la dépopulation des campagnes et le retour à la terre maternelle.

Octave Lison, frais émoulu du Collège de Nivelles, où il a conquis le prix d'excellence dans toutes ses classes, abandonne la ferme du Puison, à Moustreux, où son père a peiné, où son grand-père a vécu, et qui, depuis plus d'un siècle fut occupée par sa famille. Il sera fonctionnaire dans une quelconque administration, à Bruxelles. Et comme un arrière petit-cousin de la famille a des influences au Ministère des finances, c'est dans cette galère qu'Octave s'embarque avec toute l'ardeur de ses ambitions. Pauvres ambitions! Les espoirs s'effeuillent vite au contact de la vie. Les déboires dessèchent les belles illusions d'Octave. A la mort de son père, il décide de rester à la ferme, de rentrer dans la tradition, d'être un homme libre au milieu de ses champs, et le sourire d'une jeune fille aimée le guide vers un meilleur avenir.

On le voit, ce livre touche aux grandes questions sociales. Il dénonce le péril du fonctionnarisme. Il peint avec une verve satirique fort mordante ces milieux artificiels d'intellectualité si pauvre et de misère que sont les milieux des petits fonctionnaires. Il y a des types bien compris dans ces figures de polichinelles. Il y a l'employé Pillemans qui considère son bureau comme une geôle et récrimine sans cesse contre le sort. Il y a

l'employé élégant, qui est du monde, ne fait rien et avance par ses relations. Il y a Framont, fils de paysans lui aussi, que de lointaines hérédités ramèneraient vers la terre, s'il n'était pas pris dans l'engrenage où il étouffe.

A côté de ce milieu de misère dorée et d'esclavage en chapeau haut de forme, M. Willame nous peint le milieu campagnard, avec sa bonne jovialité, le travail dur mais accompli en plein air, la belle liberté; somme toute c'est un bon livre dans son esprit. Et la forme n'en est pas négligée : ce qui ne gâte rien.

Hubert KRAINS: FIGURES DU PAYS

(1 vol. in-18 à fr. 3.50. Édition de l'Association, Bruxelles, Dechenne.)

J'aime beaucoup M. Hubert Krains. Ses Amours rustiques, son Pain noir, que le Mercure de France édita jadis, sont comptées parmi les meilleures œuvres de notre littérature. Les Figures du Pays se placeront avec honneur à côté des œuvres précédentes.

M. Hubert Krains est Wallon, et ce sont des figures wallonnes dont nous admirons, dans ses livres, le jeu harmonieux et subtil; figures paysannes pour la plupart, mais sous les masques simples et rudes s'agitent des âmes passionnées. M. Hubert Krains analyse leurs colères et leurs joies, leurs jalousies et leurs sympathies, leurs douleurs profondes et leurs rires clairs avec un art incomparable.

Examinons l'une après l'autre, quelques-unes de ces longues nouvelles, où palpite si violemment le vieux cœur humain. Le Phosphate nous raconte l'histoire de deux voisins, unis jusque là d'une amitié tendre et qui avaient mis en commun leurs intérêts. On découvre dans le village des gisements de phosphate. François Berger en trouve dans ses propriétés; Pierre Pirson n'a pas le même bonheur, et voilà l'envie qui pénètre dans le cœur de ce dernier. Sa femme a beau lui rappeler la longue intimité et que leur fils Emile aime Pauline Berger. Rien n'y fait. Par suite d'altercations et de procès, les deux vieux amis se changent en ennemis. M. Hubert Krains analyse dans tous ses détails cette révolution, si fréquente hélas ! il marque d'un ongle incisif les divers traits des caractères, il écoute et reproduit toutes les vibrations des âmes. La mort de Victoire, la femme de Pierre, amène une détente, une réconciliation. Les enfants qui n'ont cessé de s'aimer renoueront les liens des deux familles et le bon

heur apparaît à la fin de ce petit roman comme une aube claire après la nuit noire.

L'Eillet rouge, Cornélie, sont des histoires douloureuses et cruelles. Amour, amour, quand tu nous tiens...

La Planète, c'est le petit billet imprimé qui, pour cinq centimes, vous prédit l'avenir. Avenir souriant, avenir heureux; pensez donc, l'homme en veut pour son argent et cinq centimes de bonheur, çà ne se trouve pas tous les jours. La planète a donc prédit à Lucien Falize que « tout lui sourira ». Or. Lucien Falize aime une jeune fille, Alice Chabeau. Mais le vieux Chabeau ne donnera pas sa fille à un gueux et Falize est un gueux. Il tentera donc la fortune, il imitera Michel Delmotte qui, aux fêtes des villages, tient un jeu de dés, une banque disent les paysans, où l'on joue parfois gros jeu. Pour se procurer de l'argent, il volera à ses vieux parents les trois cents francs, produit de la vente d'une vache. Oh! l'affreuse scène où ce fils lutte contre son père, sous les yeux d'une mère angoissée, vole et s'enfuit. C'est je crois, dans cette nouvelle, que M. Hubert Krains a atteint davantage l'émotion poignante.

Avec des moyens d'une simplicité déconcertante, il émeut, il secoue, il étreint. C'est là vraiment qu'on reconnaît la patte d'un artiste, pour emprunter un terme pittoresque au vocabulaire des sculpteurs. La scène de la fête, où Falize et Delmotte luttent à coups de pièces d'or, tandis que le vieux père Falize apparait effarouché et angoissé, désireux de reprendre son fils; l'autre scène, la nuit, où les deux vieux, épouvantés d'une longue attente, s'effondrent en leurs pleurs à la pensée que le fils prodigue ne reviendra plus, sont d'une intensité remarquable de vision et d'émotion.

Enfin, l'Etranger, le Condruzien, qui a épousé une fille du hameau de Broux et qui joue dans son cornet à piston la toujours même polka, amène un peu de gaîté dans ce livre triste. Il est triste, en effet, ce livre, comme le Pain noir. Il est triste comme la vie; la douleur est notre hôte décidément bien plus souvent que la joie.

Je ne saurais trop louer M. Hubert Krains. Il est parmi nos écrivains d'aujourd'hui un des premiers.

Sa prose est limpide et sans recherche comme celle des maîtres. C'est un classique, dont l'art probe et sûr s'impose à l'ad miration.

E. NED.

Victor CLAIRVAUX. - LA BARQUE AMARRÉE. (1 vol. à fr. 3.50. Édit. de La Belgique artistique et littéraire.) La Tourmente, par laquelle Victor Clairvaux débuta dans les

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