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chette, les mamelles toujours roses et pleines, était l'objet de leurs soins les plus attendris.

Parfois, par-dessus la haie, la voix joviale du boucher s'élevait :

Hé, là! Pierre, je me recommande!

Et de la main il désignait la vache indolente dans l'herbage. Le vieux tournait le dos, furieux, et ne répondait pas.

Cependant, il n'était pas tranquille; mais il ne disait rien de sa crainte à sa femme. Il n'allait que très rarement au village, afin d'éviter d'y entendre tout le monde s'inquiéter comme lui au sujet des affaires de la Banque, discuter les dangers et les chances, les transes et les espoirs.

Il fallut bien pourtant parler enfin le jour où le facteur apporta un pli semblable à celui qui avait jeté une première fois les pauvres gens dans l'angoisse.

C'était encore mille francs que la société réclamait, et qu'il fallait verser avant la fin du mois.

Mille francs!

Il était à peine entré quarante écus de cent sous dans la cassette depuis qu'elle avait été vidée.

Pierre et Gertrude connurent alors non plus seulement le chagrin de se séparer de quelques économies chèrement amassées; mais surtout l'angoisse de la dette impossible à liquider.

Impossible?...

Aucun des deux n'osait, le premier, formuler sa pensée et proposer le seul moyen de se procurer la somme urgente.

Ils jetaient à la dérobée des yeux mouillés de larmes sur Blanchette. Ils évitaient de parler d'elle, de peur de confesser ce qu'ils comprenaient bien qu'il faudrait cependant finir par dire.

Et cependant non. L'arrêt fatal ne fut pas prononcé. Pierre rentra c'était un des derniers jours avant l'échéance tout triomphant. Il avait trouvé un prêteur. Ils auraient la somme. Ils enverraient les mille francs.

Gertrude ne songea pas une minute à objecter que l'intérêt était lourd, que cette charge serait difficile à supporter, que l'avenir s'annonçait très sombre. De

quoi se plaindre ou s'alarmer, - puisque Blanchette était sauvée ?

Et le soir, dans l'étable, la vieille pleura en embrassant les naseaux tièdes de la bonne bête!

L'hiver n'était pas fini et déjà l'alarme revint assaillir le pauvre ménage.

La société n'avait plus fait d'appel de fonds; mais elle ne laissait prévoir aucun espoir de dividende. Toutefois c'était la paix.

En revanche, à la maison c'était, soudain, l'angoisse devant l'état inquiétant de Blanchette. Les mamelles, épuisées, se tarissaient. Les vieux étaient. atteints dans leur véritable amour pour la bonne compagne de toutes leurs heures d'existence, comme dans la principale source de leurs profits.

C'est au moment où ils envisageaient avec inquiétude ce nouveau malheur, qu'éclata dans le village le coup de foudre du désastre : la Banque avait suspendu ses payements. Jean Gérôme était en fuite. Les actions étaient des papiers désormais sans valeur...

Le prêteur n'attendit pas une heure avant de prévenir Pierre qu'il exigerait le remboursement de ses fonds sans espoir de renouvellement. L'échéance était toute proche. A quoi bon lutter encore? Les vieux s'abandonnèrent au destin. Leur énergie semblait avoir sombré dans le malheur, et, désespérés, ils sacrifièrent Blanchette, puisque Blanchette était tout leur bien. Mais ils imposèrent comme condition qu'ils pourraient conduire eux-mêmes la bête jusqu'à la ville.

Ce fut par une froide matinée grise que le morne pèlerinage s'accomplit.

Blanchette s'inquiétait de cette étrange promenade loin de l'étable familière. Ses beuglements déchiraient le cœur des vieux qui, se tenant par la main, fer

maient le cortège qui mena leur amie fidèle à la mort. Arrivé à la ville, ce groupe attira l'attention des passants, provoqua les rires des enfants. Un homme s'arrêta un instant pour le voir passer et dit tout haut sa pensée :

Pauvres gens!

Il avait compris.

Quand ils arrivèrent devant l'abattoir, la femme posa la main sur le bras de son homme :

Reste là, lui dit-elle, je reviens!

Puis elle pénétra seule avec Blanchette et son conducteur.

Un homme, le tablier sanglant, le couteau au côté, se tenait au fond de la cour. Gertrude marcha droit sur lui et lui dit, en tremblant, quelques mots qu'il ne comprit guère :

Blanchette... compagne... bonne... aimions... promettre... pas trop de mal...

Ayant glissé une pièce d'argent, une toute petite pièce d'argent, dans la main de l'abatteur, elle mit un baiser sur les naseaux de Blanchette, puis rejoignit son mari.

-

Viens! dit-elle... c'est fini.

Et les pauvres gens, les épaules secouées de sanglots, les jambes brisées, s'en allèrent, la main dans la main, vers la misère peut-être... vers l'inconnu! PAUL GREYSON.

ÉVOLUTIONNISME

ET OCCULTISME

(Suite) (1)

On a déjà réfuté la théorie de la descendance simiesque en objectant avec logique « qu'un être organisé comme l'homme ne peut descendre d'un autre être dont le développement suit une marche inverse de la sienne propre». Ceci n'atteint d'aucune manière la théorie de la sélection naturelle dont se réclament tous les matérialistes athées. Seulement, il ne peut exister d'équivoque. Sélection naturelle doit sous-entendre, pour beaucoup, la négation d'un pouvoir intelligent. Or, la raison nous oblige à penser que, logiquement, ce n'est pas le phénomène sélectif qui produit le pouvoir de la sélection, mais bien le pouvoir qui produit la sélection. Parler de sélection naturelle sans croire au pouvoir qui donne l'impulsion, c'est mettre le phénomène sur le compte du hasard. La « cause mécanique » et la « loi de substance » de Hæckel sont des subtilités, car l'auteur des Enigmes de l'Univers déclare formellement que « le hasard, en ce sens moniste, joue le plus grand rôle dans la vie de l'homme comme dans celle de tous les autres corps de la nature. »

Mais comme le dit fort justement H.-P. Blavatsky, l'auteur de la Doctrine Secrète « c'est outra

(1) Voir La Belgique, du 1er juillet 1998.

ger l'intelligence du lecteur que de parler, comme le fait Haeckel, de cellules différentes et aveugles « qui s'arrangent elles-mêmes en organes ».

En effet, la raison de l'homme ne peut admettre, quelle que soit l'épaisseur de la couche de « monisme» avec laquelle on cherche à le badigeonner, que le hasard préside aux nécessités de la Nature. Les tendances à la perfectibilité dérivent d'un principe qui n'a rien de physique en soi, l'évolution étant l'adaptation graduelle de la conscience à la nature physique. Beaucoup de savants éminents ont compris que l'on pouvait parfaitement admettre la double évolution spirituelle et physique sans devoir prétendre, comme le fait Haeckel, qu'il n'y a que deux possibilités et qu'il faut nécessairement choisir entre

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le développement naturel » ou « la création surnaturelle des espèces ». Cette antithèse, présentée de la sorte, prête évidemment à confusion. Elle est d'ailleurs trop tendancieuse et beaucoup s'y laissent prendre. Il s'agit de ne pas oublier que Haeckel argumente toujours contre la théologie orthodoxe, contre le spiritualisme conventionnel de la vieille scolastique. C'est un système d'argumentation facile qui donne à son concept l'apparence d'une irréfutable logique. C'est une manière comme une autre d'avoir aisément raison.

Mais l'Occultisme, qui, de tous temps, opposa l'évolutionnisme au surnaturalisme théologique, déclare qu'il existe aucune incompatibilité réelle entre l'évolution naturelle celle qui s'accomplit dans les royaumes de la matière et de la forme

et l'évolution spirituelle celle qui est l'impulsion interne de l'évolution organique. L'Occultisme connaît les rapports de l'esprit et de la matière, mais jamais il ne commettra l'illusion de les identifier d'une manière absolue, la connaissance pratique de la vie invisible ne permettant pas à l'occultiste de tomber dans cette grossière erreur. Pour Haeckel et ses partisans l'évolution de l'âme est inhérente à celle du corps; elle ne peut être séparée de l'organe; l'àme pensée, sentiment. volonté, personnalité, individualité n'est, d'après lui, que l'ensemble des fonc

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