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VIEILLES CITÉS FLAMANDES

Pauvres vieilles cités par les plaines perdues,
Dites, de quel grand plan de gloire

Vers la vie humble et dérisoire,

Toutes, vous voilà descendues?

Vous ne comprenez plus vos hauts beffrois en deuil

Ni ce que

disent aux nuées

Tant de pierres destituées

De leur ancien et bel orgueil.

Vos carrefours, vos grand places et votre port

Tout est muet et léthargique;

Tout semble aller, à pas logiques,

Vers l'horizon où luit la mort.

Seule, quand le marché aligne, au jour levé,

Sur le trottoir, ses éventaires,

Un peu de vie hebdomadaire

Se cabre, aux joints de vos pavés.

Ou bien, quand la kermesse et ses cortèges d'or

Mènent leur ronde autour des rues,

L'émoi des foules accourues

Vous fait revivre une heure encor.

Vos mœurs sont pareilles à vos petits jardins.
Buissons corrects, calmes verdures·

Mais une odeur de moisissure

Séjourne, en leurs recoins malsains :

Vos gestes sont prudents, mesquins et routiniers:
Vous ne penchez sur vos négoces
Que des yeux mornes ou féroces

Qui ne comptent que par deniers.

Vos cerveaux sans révolte et vos cœurs sans fierté Se complaisent aux moindres choses;

Et de pauvres apothéoses

Font tressaillir vos vanités.

Vous ne produisez plus ni communiers, ni gueux,

Et vivez, à la dérobée,

Des miettes d'ombre et d'or, tombées

Du festin rouge des aïeux.

Pourtant, si triste et long que soit votre déclin,

Notre rêve ne veut pas croire

Que plus jamais la belle gloire
Ne bondira de vos tremplins

Vous vous armez encor de trop d'entêtement,
Damme, Courtrai, Ypres, Termonde,
Pour n'être plus au vent du monde
Que des tombeaux d'orgueil flamand

Et n'avoir plus aucun remords, aucun sursaut,

En ces heures de somnolence

Où le visage du silence

Se mire seul en vos canaux.

LES PINSONS

Même quand le vent meugle

Et fait grosse sa voix

Ils s'exaltent, en leur cage de bois,

Les doux pinsons aveugles.

On a tué, dans leurs yeux clairs,
Toute la vie ;

Mais depuis lors,
Ardente, inassouvie,

Plus violente encor
Vibre, dans l'air,

Leur chanson d'or.

Ils ne voient plus, mais ils s'écoutent :
Leur voix s'affine et se veloute

Et met un peu d'allégresse et d'amour,
Au cœur des pauvres gens des cours
Et des impasses.

Dès qu'arrive novembre et ses vents fous,
Solidement, on pend au clou,

Près des fenêtres basses,

Leur cage étroite

Comme une boîte;

Et l'on n'entend plus rien, sinon près du plafond, Leur petit bec qui gratte

Ou bien leurs sauts légers de bâton en bâton

Et le bruit sec de leurs pattes.

Or, voici Mai et les concours
Entre ville, village et bourg;
Et désormais la vie

Des doux pinsons est asservie
Au dominical branle-bas
Des angoissants combats.

Sur le marché, où se dressent des tentes,
Assis à l'ombre et pipe aux dents,

Les solennels experts ornés d'un président
Large et fondamental, attendent.

Et s'alignent les petites cages en bois
Devant sa massive prestance,

Et s'entétent et s'effilent les voix,

Sur un signal de son omnipotence.

Mousses de chant qui s'échappent, dans l'air,

De la coupe d'un gosier frêle,

Bulles, perles, miroitements, éclairs,

Sans nul effort, qu'un battement des ailes,
Frétillements de cris, fourmillements de sons,

Trilles en fleur, trilles en fête,
Oh! les naïfs et doux pinsons,
Comme ils s'entétent.

Le président rougeaud et gros
Fume toujours, et ne dit mot;

Mais son oreille ardente écoute

L'autre après l'un, chaque pinson
Tresser les brins de sa chanson.
Tous s'acharnent, aucun ne doute,

Car, c'est à ceux qui, de leur cœur battant,
Ont, en un même temps

Tiré le plus souvent, les mêmes notes

Qu'on adjuge - parfois l'on vote —

Le prix dont sera fier, pendant un jour,

Tel quartier de la ville ou tel hameau d'un bourg.

O les petites voix lasses, mais obstinées!

O la fragile et babillante claironnée,

Ici, là-bas, toujours, encor!

Jusques à l'heure où le plus fort,

Dans le disloquement et dans la débandade
De l'unanime sérénade,

Impose à tous son survivant effort

Et dans l'entier silence et la cruelle attente

Regonfle une dernière fois sa gorge et chante!

Et le vainqueur et son pinson

Avec, au treillis de la cage

Un rameau clair de fleurs sauvages,

Rentrent à la maison,

Où, dans l'angoisse et dans la fièvre,
Leur nom vole, de lèvre en lèvre,
Tandis qu'assises, sur leur seuil,
Les commères lourdes et grasses
Se rengorgent d'orgueil
A voir la gloire et la victoire
Se rencontrer en leur impasse.

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