Page images
PDF
EPUB

terrasse, devant l'habitation, et ce qui mettait le comble à mon ravissement, c'était, au bout de cette terrasse, au delà de la vaste étendue des plaines, des champs, des prés, l'horizon sans limites, reculé dans l'infini et qui permettait au rêve un essort sans

entrave.

Je respirais largement, pleinement..., et j'étais comme une exilée qui retrouve sa patrie, avec une sensation de vie tellement forte, tellement intense que toutes mes facultés en étaient accrues et comme décuplées.

Lina, vous avez pu vous en convaincre, me dit Jacques, qui m'observait depuis un bon moment, le foyer est bien près d'être reconstruit...

Mais il est reconstruit tout à fait, mon ami, répliquais-je.

Non, pas tout à fait..., pas encore. Mais il s'en faut de bien peu de temps qu'il ne le soit.

C'était au crépuscule, un peu avant notre départ pour la station de Vichte où nous devions, mon oncle et moi, prendre le train pour Anvers; les cloches, au loin, sonnaient l'Angelus. J'étais seule dans le jardin avec Jacques qui cherchait pour moi les premières violettes sous la mousse. Il les réunit en bouquet et, me les offrant :

- Voulez-vous me promettre que vous reviendrez aux Tilleuls avec votre pauvre mère aussitôt que le professeur Oppelt aura jugé ce voyage sans danger pour sa pensionnaire et que, moi-même, j'aurai jugé le logis digne de vous abriter toutes les deux? fit-il.

Quelle voix secrète et impérieuse dicta ma réponse, à cette minute? Celle-ci fut si prompte, si nette, si décisive que je n'ai jamais voulu admettre qu'elle pût venir de moi seule ni qu'aucune force occulte n'eût surgi, soudain, pour me la souffler :

- Oui, prononçai-je, avec une énergie que je ne me connaissais pas, oui, Jacques, je vous le promets. Et je lui 'tendis ma main qu'il serra dans les siennes, longuement, sans rien dire.

Nous comprenions fort bien, tous les deux, qu'un engagement beaucoup plus sérieux que celui-là était

dans nos paroles et qu'elles avaient un sens d'une grande solennité.

Le même soir, rentrée à Anvers, dans mon coquet appartement de laqué blanc à filets vert d'eau, décoré de tous les objets compliqués, fragiles et superflus de mes habitudes, ce milieu me parut décidément factice, absurde, ridicule. Jamais je n'avais mieux compris qu'il ne me convenait pas plus que je ne lui convenais.

Et, ma pensée retournant vers Vichte, vers la métairie des Tilleuls, vers Jacques, je sentis absolument, je sus, à n'en pouvoir douter, que là, parmi ces choses de la nature saine et vivace, contre ce cœur simple et droit, avec la tâche sacrée de soigner ma mère, que là était ma place. La place désignée par le devoir filial et celle aussi que j'eusse choisie de préférence, qui seule séduisait mon âme car..., oui, en vérité, j'aimais Jacques!

XXIII

Voilà trois ans que nous sommes mariés, Jacques et moi. Nous habitons les Tilleuls, et je vais clore définitivement ce journal intime car les gens heureux sont comme les peuples heureux ils n'ont pas d'histoire et notre ménage se compose d'un homme et d'une femme de cette catégorie privilégiée.

Ma mère demeure avec nous depuis le jour de notre mariage.

Elle eut, d'abord, quelque peine à s'accoutumer au milieu nouveau où on l'installait. Cependant, ma présence continuelle aida beaucoup à l'acclimater. Mais le miracle attendu, l'étincelle qui devait, soudain, illuminer son cerveau et lui rendre la raison, ne se manifesta point tout de suite. Affectueuse avec moi, sensible au charme de la musique, aux grâces de la nature, à la coquetterie des vêtements dont on l'habillait, tout le reste paraissait lui être profondément indifférent et, longtemps, elle sembla ne pas s'apercevoir de l'existence de mon mari.

Il en fut ainsi jusqu'au jour où l'arrivée d'un hôte nouveau, d'une petite fille blonde aux yeux bleus, mit la résidence des Tilleuls en joie.

L'aïeule, conduite devant le berceau, eut alors un mouvement inspiré, adorable, divin : elle tendit les bras vers le bébé qui s'éveillait et, comme celui-ci levait les paupières, montrant l'azur de ses prunelles, elle s'écria, le prenant, le serrant contre elle, et le berçant avec des précautions et des délicatesses infinies :

- Lina, ma petite, mon enfant !

Ma mère venait de me reconnaître dans ma fille.

Elle a gardé cette illusion. Avec notre petite Evangéline, elle est une maman intelligente, attentive, passionnément aimante et d'une jeunesse que rien, semble-t-il, n'altèrera jamais. Elle se conduit avec cette enfant comme j'imagine qu'elle dut le faire avec moi quand j'avais le même âge, et elles ont ensemble des dialogues, des jeux dont tout le monde est exclu, qu'elles comprennent seules et qui font sortir de leurs lèvres sereines des éclats de rire délicieusement puérils.

Ces scènes, dans le somptueux décor de la campagne flamande, n'ont, pour nous, rien de pénible; elles sont, au contraire, pacifiantes et, en quelque sorte, consolantes. Me Veydt n'est pas guérie; elle ne guérira jamais, sans doute, mais elle est, comme tous les autres habitants des Tilleuls, heureuse d'aimer et d'être aimée. Qui oserait en demander davantage à la vie terrestre!

MARGUERITE Van de Wiele.

LES LIVRES

Marcel Angenot.

LE SOUFFLEUR DE BULLES

(1 vol.: Lacomblez.)

Cette exquise Malines endormie aux bords de la Dyle paisible et de la silencieuse Mélane où s'éternisent entre les filets des pêcheurs, les reflets ennuyés de couvents, de casernes et de collèges, cette Malines ombreuse, petite ville de cloches et de béguines, qu'aima Rodenbach et où Huysmans rêva d'achever ses jours, berça les premières pensées de M. Angenot qui, depuis, las des carillons désuets et des mélancoliques promenades à travers les ruelles dont les humbles maisons semblent exhaler un perpétuel parfum d'encens, s'enfuit, à la poursuite de la gloire, vers les capitales plus clémentes. Il sut s'y faire remarquer on entendit naguère sur une scène indulgente une de ses comédies, Baiser de Reine, jeune et gentille. Un académicien d'hier, heureux de saluer en lui la succursale des poètes lui donna l'accolade sur une autre scène plus indulgente encore; le Salon des violons d'Ingres consacra son talent de peintre et voici qu'un gros volume sorti des presses de l'averti Lacomblez signale à nouveau M. Angenot à l'attention du public.

Un romantique portrait l'historie: Toutes les dames s'en réjouirontah, qu'il est joli, ma chère! - de même que les lettrés, surtout si les poèmes auxquels cette gracieuse effigie sert de favorable réclame, ne démentent point les enthousiasmes féminins.

En ce qui me concerne, j'ai quelque peu hésité. Les vers de M. Angenot sont à la vérité des plus séduisants, mais son chapeau est bien remarquable aussi et je n'étonnerai pas le dandy poète, si, Lavater des couvre-chefs, je lui déclare avoir découvert entre son haut de forme en bataille et ses poèmes une occulte parenté.

J'ai parlé de romantisme. Le tendre et doux Musset ne revit-il point doublement dans cette silhouette et dans ces strophes gracieuses? L'ombre étrange qui lui ressemblait comme un frère s'est incarnée en M. Angenot de qui le Souffleur de bulles, aventureux et téméraire, ne s'en tient pas toujours cependant et l'on peut à la fois s'en réjouir et le déplorer aux leçons déréglées de Rolla.

-

Au reste, depuis la Ballade à la lune, nous avons connu les Complaintes, la Flûte à Siebel et même la Chanson des trains et des gares, toutes œuvres d'une même lignée, et, lorsque M. Angenot allume sa lampe qui

cingle

de sa lumière éblouissante,

la page blanche où, frissonnante,
saute sa plume
qui gratte,

Musset, Laforgue, Waller et Franc Nohain, quatuor déconcertant et goguenard, frappent à la porte et viennent se chauffer autour de

son joli poële or et faïence.

Je sais aussi qu'aux jours de kermesse, Verhaeren et Elskamp s'acheminent en sa compagnie vers les tirs à l'arc des campagnes.

Ce sont là d'excellents amis que tous ne peuvent se flatter de traiter avec la grâce de M. Angenot.

De Saint-Rombaud, de la Dyle et de la Mélane, le Souffleur de bulles n'a gardé aucun souvenir. Leur mystérieuse attirance ne l'émeut point et c'est grand dommage. Il n'est rien de précieux, rien de divin comme les songes d'enfance.

Mais allez parler de charme conventuel et d'atmosphère mystique à un jeune homme épris de la vie et qui a l'audace de s'en émerveiller!

Donc, Messieurs, voici des images pas toujours très neuves, des guirlandes quelquefois défraichies et de vieilles étoiles depuis longtemps échevelées en comètes falotes... Mesdames, voilà un joli cœur de vingt ans avec beaucoup d'amour autour, du savon parfumé à l'iris et à l'héliotrope, de l'eau de Lubin et une paille d'or... Soufflez des bulles, Mesdames, en l'honneur de ce joli cœur fleuri de tendresses et d'aveux...

Et toi, poète, si ce jeu puéril te plaît, souffle des bulles aussi,

« PreviousContinue »