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On sourit du novice et d'autres, plus verbeux,
d'un art sûr, abondant, donnèrent la mesure.
Quand il fallut élire un discoureur pompeux,
l'adorable Princesse, oubliant la censure,

dit le nom de ce preux qui, par de simples mots,
avait de tout langage épuisé la richesse...
Hélas, les soupirants, vains comme des grimauds,
rompirent par leurs cris le choix de la tendresse!
Et le Prince-régnant, arbitre solennel,
désigna pour son gendre un sire de faconde...
La douce enfant pálit sous l'ordre paternel
et son Amant s'en fut à l'autre bout du monde!

Dolente fiancée au funeste languir,

tu sombres dans l'humeur où s'abîme une veuve...
Nul déduit, désormais, n'a l'heur de te blandir,
et Dame-la-Mort vient, sans que son pas t'émeuve!

Or, comme la Princesse à tous fait ses adieux, sentant se retirer la chaleur de la vie,

le bruit vibrant d'un vol, qui passe dans les cieux, se rapproche soudain et, de clameurs suivie,

une troupe d'oiseaux entre dans le Palais...

Et c'est, avec l'Avril, les arondes fidèles,

ayant peine à trisser, pour avoir, sans délais,

maints jours et maintes nuits, battu l'air de leurs ailes !...

Ramenant une Soeur au large éploi doré,

l'essaim fait quelques tours devant la moribonde,

puis, dans un dernier vol, lent, muet, éploré,

laisse choir un cimier figurant une aronde...

C'était bien là ton signe, ô tendre Disparu!

Le fol-d'amour, chercheur de guerre et de querelle, par cette gent constante à sa fin secouru,

à sa Dame apprenait qu'il était mort pour elle...

La Princesse baisa le saint emblème d'or.
Puis, regardant au ciel s'enfuir les messagères,
vierge-veuve, elle dit les suprêmes prières,

et, dans un long soupir, mourut comme on s'endort... GEORGES RENS.

Avril 1908.

UN POÈTE FLAMAND

L'an prochain on inaugurera à Roulers, avec grand éclat, la statue d'Albert Rodenbach, œuvre de J. Lagae. Tous les Flamands le considèrent comme la plus grande personnalité littéraire qui se soit levée en Flandre à côté de Gezelle, et il conviendrait que son art, sa personne, ses actions soient connus un peu plus au delà des limites du pays flamand et du pays néerlandais, avant tout par les Belges qui s'occupent de littérature belge, d'expression française.

Le jeune poète, né à Roulers le 27 octobre 1856, y reçut sa première instruction à l'école communale. Dès sa tendre jeunesse ses compagnons, ses frères, ses maîtres, ses parents même étaient saisis de respect devant la personnalité qui commençait à se révéler dans ce corps fragile; déjà, alors, il dominait sans le vouloir par la fermeté de sa volonté et par son esprit

pétillant.

Déjà, pendant son enfance, il éprouve le besoin de donner une forme sensible aux fantaisies de son imagination primesautière : n'étant pas encore initié à l'art d'écrire, il le fit par des compositions graphiques, croquis, dessins à la plume, peintures. Il continua à le faire : presque jamais il ne se mit à écrire un récit, une description sans avoir, au préalable, dessiné le sujet (1).

(1) Quelques-unes de ces compositions furent publiées dans De Vlaamsche School, le précurseur de Onze Kunst, 1896, P. 59-71, et dans Leo Van Puyvelde: Aelbrecht Rodenbach, Amsterdam. L.-J. Veen, 1908.

Aussi, plus tard, lorsqu'au petit séminaire de sa ville natale, il a appris à connaître la littérature et qu'il s'est mis à écrire, ses premières compositions littéraires sont-elles avant tout des descriptions plastiques, et c'est encore le plus souvent d'une manière avant tout plastique que dans ses poésies lyriques ses sentiments sont exprimés.

Lorsqu'il modèle le verbe dans ses poésies, tout comme lorsqu'il manie le crayon ou le fusain dans ses dessins, ce qu'il produit est vif, pressé, mais toujours d'une précision absolue: d'un trait il trace la ligne pittoresque, celle vers laquelle convergent en notre esprit toutes les autres lignes de l'image qu'il veut évoquer et le personnage est là, complet devant nous, la scène se déroule entière à nos yeux.

Toutes les poésies d'avant 1876-hormis les chansons estudiantines- portent ce signe caractéristique de la première époque de son activité prématurée. La plupart n'ont qu'une valeur toute documentaire, mais les poésies de 1875, 1876 qu'il recueillit dans ses Eerste Gedichten (1), telles que Op het Slagveld, Stoet, Zondag, l'harmonieuse description lyrique Minnezingers Meilied, Die Beke, De laatste Storm, l'homérique Na den Slag, Mozes verlost, Weelde, Fierheid, comptent encore aujourd'hui parmi les meilleures productions de notre littérature.

Toutes ces poésies sont des représentations éminemment plastiques de l'imagination créatrice du jeune poète et se distinguent de ce qui fut produit de son temps par une sobre concentration,- don qui lui était inné, par la pondération et l'équilibre dans le style.

Pendant les quelques années de vie paisible et régulière qu'il passa au petit séminaire, son esprit et son cœur se développèrent au contact des grands classiques grecs, italiens, français et néerlandais. De sa propre initiative, il entreprit, en dehors des cours, l'étude des langues et des littératures anglaise, allemande et italienne. Tout ce qu'il pouvait amener à sa portée, il s'empressait de se l'assimiler.

(1) Roulers, J. de Meester, 1878, in-16, 104 p.

Un événement inattendu arrivé au collège de Roulers, alors que Rodenbach y faisait sa poésie sous la direction bienfaisante de Hugo Verriest, fit sourdre et jaillir la source, encore latente chez lui, de la poésie lyrique. L'esprit de Guido Gezelle avait continué à planer au-dessus du petit séminaire de Roulers, pendant les quinze années qui suivirent son départ. De jeunes professeurs, qui avaient jadis subi son influence, persistaient à inciter les jeunes gens à être avant tout Flamands. Mais, à la rentrée d'octobre 1874, ce « mouvement flamand » fut brusquement frappé d'ostracisme par l'autorité supérieure.

Cette mesure fit fermenter les esprits et la révolte bien anodine il est vrai contre la francisation, éclata pendant l'été de l'année 1875, à l'occasion de la fête du Supérieur. Cette sédition amena la consécration de Rodenbach comme poète des étudiants flamands.

C'est alors qu'il eut conscience de sa vocation. Vivant en contact immédiat avec le peuple flamand, parlant la même langue, souffrant de la déchéance de ce peuple, lui qui se sentit s'élever au-dessus du niveau de ses compatriotes, lui dont l'horizon s'étendit de plus en plus, il sentit les aspirations de son peuple incarnées en lui et, à cette occasion, il découvrit le but à atteindre, la voie à suivre : il s'appliquerait à relever sa race déchue, par sa parole, par

son art.

Il composa son Blauwvoet (Het Lied der Vlaamsche Zonen), s'affirma, du coup, le chantre de la jeunesse de Flandre et l'est resté. D'un souffle, il composa quantité de chants dont la fougue impétueuse excite encore toujours l'enthousiasme des étudiants flamands qui se proposent de devenir des hommes flamands.

En 1876, Rodenbach fit son entrée à l'université de Louvain. Dans ce milieu plus libre, son horizon devint plus vaste encore. Il était enfin débarrassé de toute attache; il pouvait maintenant imprimer à sa volonté et à son esprit la direction qui lui plaisait ; il avait l'occasion dans son entourage si varié, d'acquérir une ample expérience des hommes ; il pouvait donner libre cours à son goût pour la lecture et pour

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