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traint de fe vendre (o) : ce qui suppose du côté des grands, modération de bien & de crédit, & du côté des petits modération d'avarice & de convoitise.

Cette égalité, difent-ils, eft une chimere de fpéculation qui ne peut exifter dans la pratique. Mais fi l'abus eft inévitable, s'enfuit-il qu'il ne faille pas au moins le régler ? C'eft précisément parce que la force des chofes tend toujours à détruire l'égalité, que la force de la Législation doit toujours tendre à la maintenir.

Mais ces objets généraux de toute bonne inftitution, doivent être modifiés en chaque pays, par les rapports qui naiffent tant de la fituation locale, que du caractere des habitans; & c'eft fur ces rapports qu'il faut affi

(0) Voulez-vous donc donner à l'État de la confiftance? Rapprochez les degrés extrêmes autant qu'il eft poffible; ne souffrez ni des gens opulens ni des gueux. Ces deux états, naturellement inféparables, font également funeftes au bien commun; de l'un fortent les fauteurs de la tyranie, & de l'autre les tyrans; c'est toujours entre eux que fe fait le trafic de la liberté publique; l'un l'achete & l'autre la vend.

gner à chaque peuple un fyftême particulier d'inftitution, qui foit le meilleur, non peut-être en lui-même, mais pour l'Etat auquel il est destiné. Par exemple, le fol est-il ingrat & ftérile, ou le pays trop ferré pour les habitans? Tournez-vous du côté de l'induftrie & des arts, dont vous échangerez les productions contre les denrées qui vous manquent. Au contraire, occupez-vous des riches plaines & des côteaux fertiles? Dans un bon terrain manquez-vous d'habitans? Donnez tous vos foins à l'agriculture qui multiplie les hommes, & chaffez les arts qui ne feroient qu'achever de dépeupler le pays, en attroupant fur quelques points du territoire le peu d'habitans qu'il a (p). Occupez-vous des rivages étendus & commodes? Couvrez la mer de vaiffeaux, cultivez le commerce & la navigation, vous aurez une existence brillante & courte. La mer

(p) Quelque branche de commerce extérieur, dit le M. d'A., ne répand guere qu'une fauffe utilité pour un royaume en général; elle peut enrichir quelques particuliers, même quelques villes, mais Ja nation entiere n'y gagne rien, & le Peuple n'en est pas mieux.

ne baigne-t-elle fur vos côtes que des ro chers prefqu'inacceffibles? Reftez barbares & ichthyophages, vous en vivrez plus tranquilles, meilleurs peut-être, & sûrement plus heureux. En un mot, outre les maximes communes à tous, chaque peuple renferme en lui quelque caufe qui les ordonne d'une maniere particuliere, & rend fa Législation propre à lui feul. C'est ainsi qu'autrefois les Hébreux, & récemment les Arabes, ont eu pour principal objet la religion, les Athéniens les lettres, Carthage & Tyr le commerce, Rhodes la marine, Sparte la guerre, & Rome la vertu. L'Auteur de l'Esprit des Lois a montré dans des foules d'exemples par quel art le Légiflateur dirige l'inftitution vers chacun de ces objets.

Ce qui rend la conftitution d'un Etat véritablement folide & durable, c'est quand les convenances font tellement observées, que les rapports naturels & les lois tombent toujours de concert fur les points, & que celles-ci ne font, pour ainfi dire, qu'af furer, accompagner, rectifier les autres. Mais fi le Légiflateur fe trompant dans fon objet, prend un principe différent de celui

qui naît de la nature des choses; que l'un tende å la fervitude, & l'autre à la liberté ; P'un aux richeffes, l'autre à la population; l'un à la paix, l'autre aux conquêtes; on verra les lois s'affoiblir infenfiblement, la conftitution s'altérer, & l'Etat ne ceffera d'être agité jusqu'à ce qu'il soit détruit ou changé, & que l'invincible nature ait repris fon empire.

CHAPITRE XI I.

Divifions des Lois.

POUR ordonner le tout, ou donner la

meilleure forme poffible à la chose publique, il y a diverses relations à confidérer. Premiérement l'action du corps entier agiffant fur lui-même, c'eft-à-dire, le rapport du tout au tout, ou du Souverain à l'Etat ; & ce rapport eft compofé de celui des termes intermédiaires, comme nous le verrons ciaprès.

Les lois qui reglent ce rapport, portent le nom de lois politiques, & s'appellent auffi lois fondamentales, non fans quelque raifon, fi ces lois font fages. Car, s'il n'y a dans chaque Etat qu'une bonne maniere de Pordonner,le Peuple qui 'a trouvée doit s'y tenir mais fi l'ordre établi eft mauvais, pourquoi prendroit-on pour fondamentales des lois qui l'empêchent d'être bon? D'ailleurs, en tout état de caufe, un peuple est toujours le maître de changer fes lois,

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