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plus ou moins, il eft vrai, felon la forme du Gouvernement.

Ajoutons qu'il n'y a pas de Gouvernement fi fujet aux guerres civiles & aux agitations inteftines que le démocratique ou populaire, parce qu'il n'y en a aucun qui tende fi fortement & fi continuellement à changer de forme, ni qui demande plus de vigilance & de courage pour être maintenu dans la fienne. C'eft fur-tout dans cette conftitution que le citoyen doit s'armer de force & de conftance, & dire chaque jour de fa vie, au fond de fon cœur ce que difoit un vertueux Palatin (r) dans la diete de Pologne : Malo periculofam libertatem quàm quietum fervitium.

S'il y avoit un peuple de Dieux, il se gouverneroit démocratiquement. Un Gouvernement fi parfait ne convient pas à des hommes.

(r) Le Palatin de Pofnanie, pere du roi de Pologne, duc de Lorraine.

CHAP. V.

CHAPITRE V.

De l'Ariftocratie.

Nous avons ici deux personnes morales

très-diftinctes; favoir, le Gouvernement & le Souverain, & par conféquent deux volontés générales, l'une par rapport à tous les citoyens, l'autre feulement pour les membres de l'adminiftration. Ainfi, bien que le Gouvernement puiffe régler fa police intérieure comme il lui plaît, il ne peut jamais parler au peuple qu'au nom du Souverain, c'est-à-dire, au nom du peuple même; ce qu'il ne faut jamais oublier.

Les premieres fociétés fe gouvernerent ariftocratiquement. Les chefs des familles délibéroient entr'eux des affaires publiques; les jeunes gens cédoient fans peine à l'autorité de l'expérience. De-là les noms de Prêtres, d'Ancien, de Sénat, de Gérontes. Les Sauvages de l'Amérique feptentrionale fe gouvernent encore ainfi de nos jours, & font très-bien gouvernés.

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Mais, à mesure que l'inégalité d'inftitution l'emporta fur l'inégalité naturelle, la richeffe ou la puiffance (s) fut préférée à l'âge, & l'aristocratie devint élective. Enfin la puiffance tranfmife avec les biens du pere aux enfans, rendant les familles patriciennes rendit le Gouvernement héréditaire, & l'on vit des Sénateurs de vingt ans.

Il y a donc trois fortes d'ariftocratie: naturelle, élective, héréditaire. La premiere ne convient qu'à des peuples fimples; la troifieme eft le pire de tous les Gouvernemens. La deuxieme eft le meilleur : c'est l'aristocratie proprement dite.

Outre l'avantage de la distinction des deux pouvoirs, elle a celui du choix de fes membres; car dans le Gouvernement populaire tous les citoyens naiffent magiftrats; mais celui-ci les borne à un petit nombre, & ils ne le devienne que par élection (t); moyen

(s) Il eft clair que le mot Optimates chez les anciens ne veut pas dire les meilleurs, mais les plus puiffans.

(t) I importe beaucoup de régler par des lois la forme de l'élection des magiftrats: car en l'abandonnant à la volonté du prince, on ne peut

par lequel la probité, les lumieres, l'expérience, & toutes les autres raisons de préférence & d'eftime publique, font autant de nouveaux garans qu'on fera fagement gouverné.

De plus, les affemblées fe font plus commodément; les affaires fe discutent mieux, s'expédient avec plus d'ordre & de diligence; le crédit de l'Etat eft mieux foutenu chez l'étranger par de vénérables Sénateurs, que par une multitude inconnue ou méprifée.

En un mot, c'eft l'ordre le meilleur & le plus naturel que les plus fages gouver nent la multitude, quand on est sûr qu'ils la gouverneront pour fon profit & non pour le leur; il ne faut point multiplier en vain les refforts, ni faire avec vingt mille hommes ce que cent hommes choifis peuvent faire encore mieux. Mais il faut remarquer

éviter de tomber dans l'ariftocratie héréditaire, comme il eft arrivé aux Républiques de Venife & de Berne. Auffi la premiere eft-elle depuis longtemps un Etat diffout, mais la feconde fe maintient par l'extrême fageffe de fon fénat; c'est une excep→ sion bien honorable & hien dangereuse.

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que l'intérêt de Corps commence à moins diriger ici la force publique fur la regle de la volonté générale, & qu'une autre pente inévitable enleve aux lois une partie de la puiffance exécutive.

A l'égard des conyenances particulieres, il ne faut ni un Etat fi petit ni un Peuple fi fimple & fi droit, que l'exécution des lois fuive immédiatement de la volonté publique, comme dans une bonne démocratie. Il ne faut pas non plus une fi grande nation, que les chefs épars pour la gouverner puiffent trancher du Souverain chacun dans fon département, & commencer par fe rendre indépendans pour devenir enfin les maîtres.

Mais fi l'aristocratie exige quelques vertus de moins que le Gouvernement populaire, elle en exige auffi d'autres qui lui font propres, comme la modération dans les riches & le contentement dans les pauvres ; car il femble qu'une égalité rigoureufe y feroit déplacée : elle ne fut pas même obfervée à Sparte.

Au refte, fi cette forme comporte une certaine inégalité de fortune, c'est bien pour

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