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gentilhomme, parlant d'une dame ou damoiselle, dit Je la veux saluer, on entend, Je la veux baiser. Pareillement s'il dit, Je l'ay saluee: c'est autant que s'il diset Je l'ay baisee. Et toutesfois le mot Baiser n'est pas du tout hors d'usage. Mais qu'on se sert bien souvent de Saluer, cela vient (comme je croy) de ce que la salutation Francese d'un gentilhomme à une dame ou damoiselle, ne seret pas légitimement faicte sans un baiser, ains y auret de l'incongruité. CELT. Je ne trouve pas le changement de ceste parole mauvais. Toutesfois je desirerois sçavoir qui en a esté la cause. PHIL. Je croy que

Quinault, la Mère coquette (1664), I, 3. « C'est une desplaisante coustume, dit Montaigne, et injurieuse aux dames d'avoir à prester leurs lèvres à quiconque a trois valets à sa suite, pour mal plaisant qu'il soit; et nous mesmes n'y gaignons gueres, car comme le monde se voit party, pour trois belles il nous en fait baiser cinquante laides. » III, 5. « Il alla à lui, il l'embrassa comme s'il avoit été le meilleur de ses amis, il lui fit cent caresses. Mais on ne doit pas s'étonner de cela, c'est la manière des grands seigneurs de la Galatie et surtout des courtisans. Ils étouffent les gens à force de les embrasser, ils leur serrent la main et puis ils les reprennent encore entre leurs bras... Et puis quand vous leur demandez qui sont ces personnes, ils vous répondent froidement qu'ils ne les connoissent pas. » Barclay, Av. d'Euphormion, trad. 1709, p. 5, 6. « Moins encore faut-il saluer dans l'Eglise quelqu'un que l'on n'auroit jamais vu depuis longtemps, ni se faire des embrassades et des compliments: la sainteté du lieu ne le permet point et ceux qui les voyent s'en scandalisent. » Courtin, Nouveau traité de civilité, 1675. Cf. Jac. Herrenschmidt, Osculologia, Wittebergae, 1630, in-12; Mart. Kemp, Opus polyhistoricum de osculis, Francof., 1680, in-4°; Fred. Heckel, De osculis discursus philologicus, Chemnitz, 1675; Dresde, 1682; Leipzig, 1689, in-12, tr. en allemand par Stassel, 1727, in-8°.

les femmes en soyent cause plustost que les hommes. CELT. Pourquoi ? PHIL. Pource qu'elles parlent plus hardiment de saluer que de baiser. CEL. Je pense neantmoins qu'il y a peu de pays où le baiser soit si commun qu'il est en France1: mesmement quant au baiser qui se fait avant que congnoistre. PHIL. Comment entendez-vous, Avant que congnoistre? CEL. J'enten de celuy qui rencontrant une grande assemblee de dames ou damoiselles, ou entrant en un lieu où elles sont, ne baise pas seulement celle ou celles qu'il congnoist, mais par compagnie toutes les autres aussi, lesquelles peut estre que jamais il n'aura veues, ni n'aura sceu si elles sont nees. Et si d'avanture en un grand nombre il en a oublié quelcune, il est en tresgrand danger d'estre declaré sot par arrest de toutes les autres. Encore n'est ce pas tout. car souvent elles sont baisees encores autrement par compagnie, comme vous sçavez (au moins si ceste coustume aussi demeure tousjours) c'est, que les gentils-hommes qui font compagnie à celuy qui en congnoist quelcune, font puis apres leur tour par ordre quant

I «< Nos dames ont été un peu déconcertées par l'excès d'amabilité que vous leur prodiguiez. Quand votre illustre et vénérable chef embrassait les belles jeunes femmes qui étaient heureuses de lui offrir des fleurs, la chose paraissait naturelle et touchante, mais ceux qui voulaient suivre consciencieusement son exemple surprirent beaucoup, par cette familiarité inattendue, les jeunes dames qui, dans leur trouble, ne savaient comment se défendre. » Dr Sonnenfeld, Lettre de Hongrie (Revue politique et littéraire du 12 sept. 1885).

à ces baisements. PHIL. Ces façons demeurent tousjours et je sçay bien que plusieurs autres nations trouvent estrange cela particulierement, de baiser celles aussi qu'on ne cognoist point. Dequoy ils ne s'esbahissent sans cause : et mesme je pense que nostre baiser ne vint pas si avant du premier coup: mais au reste je ne doute pas qu'il ne soit ancien. Et comme les autres nations trouvent estrange que nous baisons les femmes, ainsi trouvons-nous estrange la façon de quelques pays, où les hommes s'entrebaisent et mesmement à Venise 1 les gentilshommes qui sont appelez les magnifiques messers 2. CEL. La coustume estoit telle entre les Perses aussi (comme nous congnoissons par quelques auteurs Grecs, et nommément par Xenophon 3) entre ceux d'une mesme parenté. Car au premier livre de la Cyropedie, Cyrus dit luy mesme, que la façon des Perses est de baiser

A Venise. « Marin Sanudo (1330) raconte, avec une briéveté terrible, que Ser André Morosini était avogador et que son fils, pour avoir embrassé une femme et lui avoir pris un joyau, avait été conduit en Pregadi et le père disait publiquement pendez-le, coupez-lui la tête, et ainsi il fut condamné. » Molmenti.

2 Magnifiques messers. « Tout homme qui n'en usera ainsi, quoyqu'il contreface de l'ingenieus ou du magnifique Messer de Venise, si ne sera il jamais entre personnes de bon esprit. » Tahureau, Dial.', I. « Messer de Venise, dit Lacurne, est une périphrase pour doge. » Lors de l'élection du doge Ziani, 1173, il fut décidé que le nouveau doge serait présenté à la multitude par ces paroles : questo xe missier lo doxe, se vi piaxe (celui-ci est mêssire le doge, s'il vous plaît).

3 Xénophon, Cyrop., I, 4.

l'un l'autre, ou quand ils s'entrevoyent apres quelque espace de temps, ou quand ils se separent. Et là est le mot Grec Philein, qui signifie generalement Baiser: mais un peu au paravant parlant des parens de Cyrus qui le baisoyent en prenant congé de luy alors qu'il alloit faire quelque voyage, il adjouste to stomati: c'est à dire A la bouche. Or qu'entre les Grecs aussi le baiser ait esté en usage de toute ancienneté, nous en avons certains tesmoignages d'Homere1. Toutesfois je n'ay souvenance qu'il parle de baiser la bouche, mais bien de baiser la teste et les espaules, ou la teste et les yeux. Mais on a remarqué sur ses livres, que baiser la teste et

• Homère. « Frequens, dit le Thesaurus, est apud Homerum istud verbum in hac signif. Animadvertendum est autem interdum ab eo corripi priorem syllabam in xúca, interdum produci sed tum geminario, non in omnibus tamen exemplaribus. Ex locis in quibus corripitur sunt hi: Il., Q, 477, Od., Y, 87... Producitur in his, Od., Q, 235; Il., O, 371. Interim observandus est nobis mos osculandi manus, item genua, nec non caput et peculiariter etiam oculos, Manús certè osculationem habemus et in Apoll. Rh., I, 313. » « Piλéw, dit encore le Thes., osculor, apud scriptores post Homerum, nam hic xúcsai dicere solet, vid. Esch., Ag., 1560; Soph., d. C., 1131; Aristoph.; Aves, 671; Plut., De garrulitate, 33; Theocr., XX, 1. Apud Herod., I, 134, legimus φιλέουσι τοῖσι στόμασι εἰ τὰς παρειὰς piλéovtal, ubi disces quod inter hæc oscula discrimen fuerit. Cf. Aristot., Probl., 102. » Quant aux serfs, on lit dans J. Lipse, Elect., lib. II, cap. 6: « ...Manuum osculum propriè servorum Arrianus me docet lib. II, cap. 20: Tribunatum adeptus est? Ecce obvii omnes gratulantur. Alius oculos osculatur, alius collum, servi manus. Quinetiam Homerus jam olim Eumæum osculantem facit Telemachi heri sui manus Od. XVI. Hoc posterioris avi scriptores, sua et peculiari phrasi, dixerunt Ad manum accedere. Doceo id ex Vopisci Aureliano... ex Capitolini Maximino. »

les espaules, c'estoit la façon des serfs. et faut noter qu'il use du mot Kynein, pour signifier Baiser duquel mot Kynein fut faict depuis Prosxynein, qui signifie Adorer. Et toutesfois Kynein (non plus que Kyein) n'est pas dict seulement des serfs. Quant aux Romains, nous lisons en Plutarque1 et en celuy qui s'appeloit Aulus Gellius, et maintenant par quelques uns est nommé Agellius, la coustume avoir esté mise, que les femmes estoyent baisees par leurs parens, expressément pour sentir si elles avoyent point beu de vin. Il est vrai que Plutarque dispute si ceste façon de faire seroit point procedee d'ailleurs. PHIL. Si ainsi estet que ce baiser se fist pour congnoistre si elles avoyent beu du vin, il falet bien qu'il se fist en la bouche. CELT. Il le faut ainsi inferer. veu mesmement que Plutarque avec Philein adjouste ces mots que j'ay tantost alleguez de Xenophon, to stomati. Quant à l'autre, il se contente de dire osculari. PHIL. Celles toutesfois qui avoyent envie de boire du vin, encores le pouvoyent-elles faire certains jours que ce baiser n'estet pas à craindre. CELT. Je croy qu'il n'y avoit point de distinction des

Plutarque, Quest. rom., VI; A. Gelle, X, 23. « Non recte, dit Schaber, hunc morem intellexerunt aliquot veteres et recentiores, putantes uxores a propinquis basiatas esse tentandi causa num vinum bibissent necne vinum enim bibere antiquis temporibus feminis non licuit. Cf. Plin., Hist. Nat., 14, 13; Polyb., 6, 2; Dorrow, Opferstätte und Grabhügel der Germanen und Ramer am Rhein, 1819, t. I, p. 23. » De ritibus, vocibus et symbolis salutandi ap. populos antiquorum temporum partem tertiam, etc. Rastadii, 1858.

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