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estre monarque, il faut estre seigneur de tout le monde, voire du ciel aussi bien que de la terre. Ainsi n'y a point de monarque autre que Dieu, ni aussi de monarchie que la sienne : si on veut (comme j'ay dict) user de ces mots sans adjouster quelque queuë. PHIL. Diriez vous donc que ce docteur qui se nommet Juris utriusque monarcha, avet oublié son De verborum significatione? CELT. Vous ne considerez pas bien ce que je di ne nous desplaise. car il y a ici une queuë: d'autant qu'il ne se nomme pas absoluement monarcha, mais adjouste juris utriusque. PHIL. Vous avez raison. CEL. Mais voyci où est le mal c'est qu'il y a eu plusieurs docteurs, dont chacun s'est nommé Juris utriusque monarcha : qui est comme si la France estet soubs la domination de quatre ou cinq (ce qu'à Dieu ne plaise) et que chacun prist le titre de Monarque de France, ou d'un autre pays. car comment pourroit chacun estre Monarque,.c'est à dire seul dominateur, quand la domination seret à plusieurs? PHIL. Je ne sçay pas s'il y a eu plusieurs docteurs dont chacun ait esté appelé Monarcha juris quant à un j'en asseure bien. car il me souvient qu'on a imprimé long temps y a un livre de Guido Papa ou Guido Papæ2

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De verborum et rerum significatione, libri quatuor, in : Alciati op. Basileæ, 1558, in-fol.

2 Guido Papa. Guy Pape ou de la Pape naquit au commencement du xve siècle à Saint-Symphorien-d'Ozon (Isère), et mourut vers 1475. Il étudia le droit en Italie, à Pavie, sous Pierre de Bezuccio et Jean de Gambarano, à

(car on l'appelle en toutes ces deux sortes) le titre duquel est, Decisiones parlamenti Delphinatis Gratianopolitani, per excellentissimum juris utriusque monarcham D. Guidonem Papam, in curia ejusdem civitatis senatorem, æditæ. CEL. Je vous asseure de cela, qu'il n'est pas seul qui a eu ce titre mais lequel d'entr'eux a esté plus sot ou moins sot de le se donner, de cela je ne vous puis asseurer. PHIL. Peut estre qu'on leur a donné sans qu'ils le demandassent: et que ceux qui leur ont donné, n'ont pas bien entendu que c'estet. CELT. Je m'en rapporte à ce qui en est. mais quant à n'avoir entendu la vraye signification de ce mot, je ne m'en esbahirois pas autrement: veu le privilege qu'avoyent les jurisconsultes d'alors, d'estre du tout ignorans du Grec : jusques à dire, Græcum est non legitur1. PHIL. Il

Turin, sous Jean de Grassis, puis exerça la profession d'avocat à Lyon et à Grenoble. Dans cette dernière ville, il épousa Louise Guillon, fille d'un conseiller du conseil delphinal. « Il rendit par son peu de complaisance, dit Niceron, sa femme moins raisonnable, son jugement s'affaiblit et se troubla. » Il fut chargé par le dauphin Louis de plusieurs affaires importantes. Son principal ouvrage est les Decisiones, Grenoble, 1490, in-fol.; Lyon, 1554, in-8°; 1593, in-4o; Francf., 1609, et Genève, 1624, in-fol., tr. en fr. par Chorier, Lyon, 1694, in-4o.

1 Græcum est non legitur. Cf. Apol., II, 146. « On a accusé, dit De Méry, avec quelque fondement, le jurisconsulte Accursi, non seulement d'avoir mis en usage cette espèce de maxime pour esquiver les difficultés, mais d'en avoir assez largement profité. » Il faut remonter aux textes. Sichard, in Dedic. ad Codicem Theodosianum, Basileæ, 1528, in-fol., dit : « Cujusmodi sunt, cedo, voces a Decumanis illis, si diis placet, doctoribus prolata: ha sunt litera quæ legi non possunt, cum videlicet in Græca incidunt. Aut, dic ego nescio.

valet mieux qu'ils confessassent ne leur estre permis de manier le langage Grec, que non pas qu'ils l'accoustrassent de la façon qu'aucuns de leur robbe l'ont accoustré depuis. Car avant Budee et Alciat1, Dieu sçait comment on l'accoustret. Et de ceux mesmement qui aujourd'huy

Ut reliqua taceam quæ sunt sane plurima, an non inscitiæ plenissima? Attamen ne nihil dicant, in hunc se modum ridendos ultro propinant. » Gentilis, De juris interpretibus dialogi sex, Lond., 1582, in-4o, réimprimé dans Panziroli, De claris legum interpretibus, Lipsia, 1721, dit, p. 588: «Quinctilius. At quid etiam hanc linguam Accursio notam? an suo probabis testimonio, qui dicere solitus est. Hæ sunt litteræ, quæ legi non possunt, quum videlicet in Græca incidit; Græcum est, non potest legi. Stultas interpretationes pene infinitas quid recenseam, quas aiunt Alciatum et alios detexisse. Omnino perridiculum est quum Græca quæ sunt, exponit ille tuus tanquam Latina... In proverbium abiit illud: Græcum est, non potest legi; illud personant Bartholorum et Baldorum schola. » Bayle dit que la maxime en question a été reprochée à Accurse par Sichard et Alciat. Nous venons de voir que Sichard ne désigne personne; quant à Alciat, on trouve simplement au ch. x (non xvi) du liv. II des Dispunctiones, 1517, qu'Accurse interprétait pos éños, ad verbum, par le latin pro se pos (cit).

1 Budee et Alciat. Budée (1467-1540) débuta dans la carrière des lettres par des traductions latines de quelques traités de Plutarque. Il publia, en 1502, Des opinions des philosophes; en 1503, De la fortune des Romains; en 1505, De la tranquillité de l'âme. « Ces traductions furent si estimées, dit Le Roy, qu'on aurait eu peine à croire que B. en fût l'auteur, s'il n'eût donné dans la suite d'autres preuves plus considérables de son génie. » Elles ont trouvé des juges plus sévères en Borremans, Nannius, Huet. « Alciat commença ses essais par un petit livre qu'il fit pour rétablir et expliquer tous les termes grecs qui se trouvent dans le Digeste. Ce livre, qui parut d'abord en Italie et quelques années après à Strasbourg en 1515, fut trouvé fort utile pour les temps et les lieux où l'on n'avoit rien de meilleur et si le célèbre Budé n'eût point été au monde, il auroit eu plus d'éclat. » Baillet, Enfans celebres.

font profession d'interpreter les livres Grecs en Latin, ne voit on pas plusieurs par leur ignorance mettre les lecteurs en toutes les peines du monde? CELT. J'en sçay bien un qui a mis un grand nombre de personnes en une grand' peine : en laquelle il y a danger qu'elles ne demeurent tout le temps de leur vie. PHIL. Mon Dieu, vela pas grand' pitié! Mais dite moy un peu quelle est cette peine en laquelle il les a mis. CELT. C'est de cercher le pays de Myrmece. PHIL. Le pays de Myrmece! CELT. Ouy, le pays de Myrmece, ou Myrmecie. PHIL. Je m'asseure qu'il n'y a point de mappe monde où soit ce pays. CELT. C'est ce qui les met encores en plus grand' peine, qu'ils ne sont conduits ni par aucune mappemonde, ni par aucun cosmographe, ou historiographe, pour trouver ce pays de Myrmece. PHIL. Mais de la part de qui cest interprete leur fait il commandement de cercher le pays de Myrmece? CEL. De la part de Plutarque1. PHIL. C'est de la

1 Plutarque. On lit dans Plut., Op. moralia, Basil. ap. Mich. Isingrinium, 1541, in-fol., avec dédicace de Hier. Gemusæus à l'évêque Phil. de Gundelsheim: De industria animantium, Grynæo interprete, p. 245 : « Cum cæpit nausea, myrmeciam adiens assidensque linguam humore dulci ftuentem exertam leviter tendiu tenet dum scatere formicis videat, eas deglutit postea vehementerque juvatur. » Cruserius, en revanche, Opera que extant omnia Plut. ethica, Francof., 1550, in-fol., De animantium comparatione, p. 407, traduit : « Fastidiosus pergat ad formicarum cuniculos ibique assidens succo dulci madentem exerat linguam dum formicis scatent: quæ devorata ei prosunt. » Et Amyot : « Quand il se treuve languissant et degousté pour estre trop gras, il s'en va chercher des formillieres et s'assiet auprès, tirant une langue molle et grasse

part d'un grand personnage. Et en la fin, si vous ne me parlez plus ouvertement, vous me mettrez en aussi grand' peine que cest interprete a mis ses lecteurs. CELT. J'aurai pitié de vous, et vous conteray toute la farce. Je fi dernierement cest honneur à quelcun de lire un livre de Plutarque par luy traduict, au lieu que je le pouvois lire en sa langue : et en recompense de l'honneur que je lui faisois, il me fit faire bonne provision de ris. PHIL. Dites vous du ris que vendent les espiciers? car c'est bonne provision, principalement où on craind avoir faute de bled. CELT. Vous avez bien envie de mordre sur mon langage mais laissez moy parler à ma façon, pourveu que je n'escorche rien. PHIL. J'enten bien que vous me voulez taxer: mais vous voyez comment je m'accommode maintenant, et n'use plus de ces escorchemens que vous trouviez si goffes et si spurques1. CELT. Ce pendant que vous dites n'user plus de mots escorchez du langage Italien, vous usez de deux tout en un coup. Mais je ne m'y veux pas maintenant arrester. car j'ay haste de vous faire rire. PHIL. Je vous en sçay bon gré. CEL. J'avois deliberé de vous faire le récit bien au long: mais pour la mesme raison que je vien d'alleguer, je l'abbre

d'une liqueur doulce et gluante, jusques à ce qu'elle soit toute pleine de fourmis et de leurs œufs, puis la retirant il les avalle et s'en guarit. »>

1 Spurques, cf. I, 58. « Sporco, sozzo, lordo, immundus, spurcus, etc. » Venuti.

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