Page images
PDF
EPUB

pudicitia esse quæ stata forma sint. PHIL. Incolumi pudicitia, vela un grand mot. Si ceste regle se trouvet vraye, stata forma seret bien de requeste. Mais pour le jour d'huy celles-ci portent envie aux belles, quant à leur desbordement, et taschent de recompenser de quelque bonne grace (j'enten de quelques façons de faire qui ayent bonne grace, d'un entregent gracieux) ce que leur visage a de moins pour n'estre moins requises qu'elles. Vela comme il en va, pour vous confesser toute la verité. CELT. Vous souvient-il point de ce qui est racomté par Herodote1 touchant le moyen dont usoyent les Babyloniens pour marier toutes les filles, aussi bien les plus laides que les plus belles? car ceste parenthese ne sera pas mal seante ici. PHIL. Non. CELT. Il dit que premierement on crioit au plus offrant et dernier encherisseur les belles: tellement que chacune demeuroit à qui en donnoit plus. Quand on avoit vendu les belles, de l'argent provenant de ceste vendition on marioit les laides. car on presentoit avec chacune des laides une somme d'argent, pour recompenser ceste laideur et tant plus grande estoit la laideur, et conjoincte avec quelque grande imperfection de corps, tant plus on présentoit pour recompense. Mais si on eust presenté (pour exemple) la valeur de cent escus pour espouser une de ces laides, et ayant quelque imperfection, et quelcun eust dict qu'il

1 Hérodote, I, 196.

estoit content de l'espouser telle qu'elle estoit, ayant seulement quatre vints escus de recompense, on la luy bailloit: sinon qu'il vinst un autre qui se contentast encore de moindre recompense, à sçavoir de soixante ou cinquante escus. Mais voyci qui est bien à noter, touchant les laides aussi bien que les belles, c'est qu'on ne les bailloit pas sans que ceux qui les emmenoyent donnassent pleges qu'ils n'en abuseroyent point, mais les prendroyent à femmes. PHIL. Je feray rire à la cour plusieurs dames de ceste parenthese, car vous avez vous mesmes ainsi appelé ce recit. CELT. Les belles seront fieres d'ouir dire que la beauté avoit là tant de credit. PHIL. Si sont elles ja assez fieres: il n'est pas besoin de leur rien dire qui les puisse enfierir d'avantage. CEL. Mais il vous leur faut faire croire que la coustume estoit que les belles laissassent toute la bragardise aux laides, en recompense.

PHIL. Encore qu'elles le creussent, elles n'auroyent garde de suyvre leur exemple. Car (comme je vous ay dict parcidevant) les plus belles mesmement sont les plus curieuses de se bien parer,

1 Pleges ou pleiges, caution, est encore employé par Diderot. « Nous n'avons plus, dit Walckenaer, sur La Fontaine, VI, 67, ce mot de pleiger, qui était commode et expressif, ou si on l'emploie encore, c'est en terme de pratique. Les Anglais l'ont conservé et leur verbe to pledge est d'un usage fréquent. »

2 Enfierir. Rob. Estienne et Nicot ne donnent que le réfléchi; Godefroy fait comme eux. Cholieres a : s'enfierer (Matinées, p. 210, P. Lacroix).

pour adjouster beauté sur beauté et puis s'exposer aux hazards tels qu'il a esté dict. et ce n'est jamais sans que quelcune passe les piques. Mais on appelle cela S'accommoder : et principalement alors qu'on fait plaisir à un grand. Et celles qui s'accommodent ainsi, disent de quelque autre qui n'aura voulu faire de mesme, qu'elle a faict de la sotte. Notez que je vous descouvre maintenant le pot aux roses. CELT. Vous me dites une chose dont je m'estonne fort. car on souloit dire d'une qui s'estoit sagement et honnestement gouvernee, Elle ne fit jamais folie de son corps et vous dites qu'au contraire celles qui font profession de s'accommoder (car à la fin je m'accommoderay au mot Accommoder, aussi bien que les autres) se moquent d'une qui ne fait pas comme elles, disans qu'elle fait de la sotte. PHIL. Notez aussi qu'il y a grande difference entre folie et sottise: et (pour parler à bon escient) encore plus grande difference entre la façon qui estet de vostre temps, et celle qui est maintenant. Car au lieu qu'alors les personnes qui faisoyent de vice vertu estoyent remarquees, maintenant on remarque celles qui ne se veulent pas accommoder jusques la : comme si c'estet la moindre chouse qu'ils pourroyent et devroyent faire, en matiere d'accommodation. Notez que je

Folie, sottise. « La sottise est un travers qui se montre surtout dans le commerce de la société, le défaut du fou se rapporte à la raison uniquement. » Lafaye. Cf. Conf. p. 212; Apol., I, 64; Préc., p. 299.

di personnes, vous parlant de tous les deux sexes, vous laissant distinguer leurs diverses accommodations. Et quant au sexe feminin, je vous confesseray qu'il est bien peu de comtesses de Saleberi.

Toutesfois, afin qu'il ne semble, à cause de ce que j'ay dict parcidevant, de la bragardise des femmes, qui souloit tousjours estre plus excessive de beaucoup que celles des hommes (car si faut-il en la fin retourner à ce propos) que je vueille supporter mon sexe : je vous prie de noter bien ce que je vous diray maintenant. Je vous confesse que suivant ce qu'avez allegué de Juvenal, les femmes en leur endret ont esté de tout temps addonnees aux pompes et grandes superfluitez d'habits, et toutes sortes de desbordemens qui y peuvent estre, plus que les hommes (pour ne parler maintenant des autres somptuositez et excez dont ce mesme poete fait reproche aux femmes) et je ne veux pas et je ne veux pas nier que pareillement en nostre France les femmes n'eussent accoustumé de surpasser les hommes en bragardise quanto (pour user d'une comparaison de ce poete Juvenal1) delphinis balana Britannica major : mais maintenant quand on aura bien regardé plusieurs gentils-hommes et plusieurs dames, tout reluit si fort, tout est tant brodé, tant racamé, tant perlé, tant diapré, aussi bien d'une part que d'autre, qu'on ne sçait qui emporte le

I Juvénal, X, 14.

pris. CELT. Je crain aussi qu'il n'en faille venir là, qu'on die de la France ce que disoit de Romme un poete Rommain1. PHIL. Que disetil? CELT.

Proloquor, (atque utinam patriæ sim vanus aruspex)

Frangitur ipsa suis Roma superba bonis. Certa loquor, sed nulla fides.

Car je crain qu'il ne faille dire, en imitant le vers de ce poete,

Frangitur ipsa suis Gallia deliciis.

Et puis adjouster ce qu'il adjouste,
Certa loquor, sed nulla fides.

Quant à luy nous trouverons qu'il n'a pas esté vanus aruspex touchant Romme si nous considerons que bien tost apres son temps elle commencea à aller en décadence. Il est vray qu'auparavant il s'estoit plaint aussi de l'avarice qui estoit lors,

Aurum omnes victa jam pietate colunt Auro pulsa fides, auro venalia jura,

Aurum lex sequitur, mox sine lege pudor.

Or je ne doute pas que le mesme ne se puisse dire de la France autant ou plus que de Romme, quant à l'avarice. car desja il y en avoit beaucoup d'exemples avant que je partisse. PHIL. Aussi n'en devez-vous douter. Mais il y a ceste autre

Un poète Rommain, Properce, III, 13, 59.

« PreviousContinue »