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munément sont aussi appelez vilains1. car aucuns d'eux en somptuosité de façons d'habits passent de beaucoup non seulement les gentils hommes, mais aucuns des princes qui estoyent il-y-a trente ans, ou environ: et leur semble qu'ils font beaucoup pour les princes qui sont à present, quand entre les riches estoffes pour le moins ils leur en laissent une, asçavoir le drap d'or. CELT. Et à quoy servent donc leges sumptuaria? PHIL. A prouver le dire d'Ovide, Nitimur in vetitum. Toutesfois, pour vous dire la verité, ces loix ont long temps dormi (suivant ce qui a este dict jadis par Ciceron, Silent leges inter arma) mais depuis quelque temps elles se sont resveillees : je ne sçay qu'elles feront. CELT. Orça, quant à ces roturiers, ce qui les mene vous ne diriez pas que c'est le desir de devenir grands. car la grandeur est reservee à ceux qui pour le moins sont gentils-hommes. PHI. Je vous prie de me pardonner si je vous di que parler ainsi, ce n'est pas parler en courtisan, car il doit sçavoir par experience quotidiane qu'en la cour toutes sortes de gens sont avancez, et parviennent: c'est à dire, gens de toutes qualitez, voire de tous pays : pourveu seulement qu'ils soyent gens de service.

1 Vilains. « L'œuvre fait tel réprouver vilain qui gentil se faint. » Al. Chartier. « Il prend vilain pour roturier et l'oppose à gentilhomme. Auquel sens aussi le seigneur de Joinville appelle maistre Robert de Sorbon filz de vilain et de vilaine. » Annotations. Cf. Apol., I, 139; Préc., 110 et 210. Jean Marot offre l'ancienne acception dans le Voyage de Gênes et la nouvelle dans le XIXe Rondeau.

CEL. Qu'est-ce à dire Gens de service? PHI. Je le vous exposeray ci-apres. CEL. Or ça, ce que vous appelez grandeur, ne l'appelleriez vous pas dignitas en Latin, et axioma en Grec? PHIL. A parler proprement, ce qu'on appelle maintenant Grandeur, ce n'est pas simplement Dignitas, mais Altus dignitatis gradus, ou amplus: se'on mon jugement. CEL. Je m'esbahi si maintenant il n'advient pas à plusieurs de ce que dit Juvenal en sa dixième Satire1, de ceux qui voulans monter à ces grandeurs, se rompent le col : et principalement quand ils veulent monter aux hautes. Car ayant dict de Sejanus (à propos de ceux qui font des foles prieres aux dieux, demandans choses qui leur estans donnees sont cause de leur ruine et perdition)

Ergo quid optandum foret, ignorasse fateris
Sejanum. nam qui nimios optabat honores,
Et nimias poscebat opes, numerosa parabat

Excelsa turris tabulata: unde altior esset Casus, et impulsæ præceps immane ruinæ. il adjouste incontinent apres,

Quid Crassos, quid Pompeios evertit, et illum Ad sua qui domitos deduxit flagra Quirites? Summus nempe locus, nulla non arte petitus, Magnáque numinibus vota exaudita malignis. J'estime que qui voudroit exposer bien ces mots, Summus locus nulla non arte petitus, pourroit

Juvénal, Sat. X, v. 103.

dire, Une treshaute grandeur poursuivie par tous moyens. PHIL. Je suis bien de vostre opinion. Mais quant à ce que vous demandez si ce que dit ici Juvenal, que plusieurs se rompoyent le col en voulant monter à une haute grandeur, ou de grandeurs en grandeurs tousjours plus haut, je vous respon qu'aujourd'huy cela advient moins que le temps passé je di, il y a environ trente ans. Car on sçait aujourd'huy des tours merveilleux en cas de telle poursuyte, et se tient-on mieux sur ses gardes. CELT. Ne trouvez-vous pas en ce poète satyrique plusieurs autres remonstrances qui auroyent besoin d'estre faictes aux courtisans de ce temps? PHIL. Ouy et une notamment quant à la friandise, en la Satyre onzieme 1.

Nec mulum cupias, quum sit tibi gobio tantum In loculis. quis enim te, deficiente crumena, Et crescente gula, manet exitus? ære paterno Ac rebus mersis in ventrem, fœnoris atque Argenti gravis et pecorum agrorumque capacem? CEL. Il entend (comme je croy) le poisson qu'on appeloit mulus. PHIL. Ouy: lequel on apportet

1 Juvénal, Sat. XI, v. 37. Les éditions modernes portent: ne mullum. Cf. Sat. IV, 15; VI, 40; Martial, II, 43; VII, 77 ; XIII, 79; Varron, R. R. III, 17; Athen., IV, 15 et VII, 125. Mullus c'est le tpiyλa des Grecs, le triglia des Italiens modernes, le rouget des Provençaux, le mullus barbatus de Linné. Pline le caractérise par la double barbe qu'il porte sous le menton et par sa couleur rouge. Voy. PlinePanckoucke.

de loing, comme on voit par ce passage 1, Mulus erit domino, quem misit Corsica, vel quem Tauromitana rupes. Et tant plus il estet rapporté de loing, et par consequent estet cher, tant plus les frians le trouvoyent bon : comme aussi il leur en prenet quant aux autres viandes: ainsi que nous cognoissons par ce qu'il dit, se moquant entr'autres chouses de ce qu'ils cerchoyent de l'appetit par tous les elemens,

Interea (dit-il) gustus elementa per omnia quærunt,

Nunquam animo pratiis obstantibus. interius si Attendas, magis illa juvant quæ pluris emuntur. CEL. A propos de ceux qui cerchoyent appetit par tous les elemens, il me souvient qu'en quaresme en quelques hosteleries on demandoit à ceux qui arrivoyent, s'ils faisoyent quaresme par eau ou par terre. PHI. Je l'ay bien ouy demander aussi et quelques uns demandoyent si on le faiset par mer ou par terre. Mais si les anciens Romains eussent eu aussi un quaresme à faire, et que cette liberté leur eust esté laissee, lequel des deux elemens pensez vous qu'ils eussent choisi? CEL. L'eau. car je sçay que les anciens Rommains estoyent sans comparaison plus frians du poisson que de la chair. Et encore pour le jourd'huy tous ceux qui sont bien experts au mestier de friandise confesseront qu'un banquet de poisson, quand la mer y envoye de ses meil

I Juv., Sat. XI, v. 14.

leurs nourrissons, est plus delicieux sans comparaison qu'un banquet de chair comme aussi il couste le double, voir le triple, et quelquesfois le quadruple. Or que les anciens, et non seulement les Rommains, mais aussi les Grecs, estimassent qu'il y eust plus grande, friandise au poisson qu'à la chair, il appert par ce que quand les frians ont esté appelez par eux philopsoi et opsophagoi, il n'ont pas entendu le mot opson (qui est enclos en ces composez) touchant la chair. mais touchant le poisson: comme tesmoignent Athenee et Plutarque. PHI. Et toutesfois je croy que monsieur Quaresme se mettret en grand' cholere si on luy diset qu'il eust des supposts plus frians que ceux de monsieur Charnage. CEL. Mais encore s'en faut-il bien que la despense que font les plus grands frians en banquets de poisson approche de celle que faisoyent les Rommains. PHIL. Je le vous confesse. Car acheter une lamproye trente ou quarante escus, encore ne seret ce rien au pris de la despence qu'ont faict aucuns Rommains, et Apicius entre autres, en l'achet de quelques poissons. CELT. Ainsi les François cedent aux anciens Rommains en cette somptuo

1 Athénée, 1. VII, ch. 2; Plutarque, Symp., IV, 4. Le cuisinier du monastère lorrain de Sturzelbronn était si habile qu'il avait réussi à supprimer le maigre tout en respectant religieusement les prescriptions canoniques. Avec la chair de poisson affermie par un savant travail, concentrée par des procédés ingénieux, il créait des filets de bœuf, des longes de veau, des gigots de mouton, des rôtis de chevreuil, tout ce qu'on voulait. Voy. Gérard, l'Ancienne Alsace à table.

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