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d'huy. car cela est bien le principal: et n'est possible de faire bien la piafe, si on n'est bien en conche. Et notez que si vous estes brave en habits (car je me veux adresser à vous aussi bien en la fin de ma leçon, qu'en tout le precedent) il le faut estre encore plus en propos ; et vous meşler quelquesfois de discourir des chouses mesmement où vous n'entendez rien : pourveu que ce soit devant gens qui n'y peuvent entendre guere d'avantage : et jamais ne demeurer court

de

response, encore que vous sçachiez bien qu'il n'y a ni ryme ni raison en ce que vous respondez. Car pour le moins vous pourrez dire comme l'autre, O parlato pur. Et les auditeurs, encore qu'ils ne trouvent pas grande raison en vostre response, toutesfois à cause de leur insuffisance, n'en oseront pas faire jugement: et quelquesfois penseront ne vous avoir pas bien entendu. Mais

1 Piafe. Le songe de la Piaffe, par le seigneur de Boissereau, P., 1574, est une satire assez obscure dirigée contre les gens de guerre qui, à la faveur des troubles civils, se livraient partout au pillage. Les maraudeurs, ceux qui avaient «< picoré », qui avaient dévalisé le « gaffy » ou marchand, se croyaient le droit d'être insolents envers le pauvre peuple, tout en vivant grassement du produit de leurs rapines: c'est ce qu'on appelait faire la « piaffe ». Le poète met en scène un de ces soldats voleurs et fanfarons. Son opuscnle, dont la rareté est extrême, car Brunet ne le cite que d'après La Croix du Maine (art. Corbin) et du Verdier (art. Boissereau), paraît avoir fourni à Gabriel Bounyn l'idée de la tragédie intitulée: Tragédie sur la defaite et occision de la Piaffe et la Picquorée et bannissement de Mars, à l'introduction de Paix sainte et sainte Justice (Paris, Mestayer, 1579, in-4o). M. Lacroix (Recherches bibliographiques) cite le Songe de la Piaffe parmi les livres perdus. Voy. Cat. Rothschild, I, 503.

devant ceux que vous craindrez qu'ils ne soyent gens d'esprit et entendement, vous parlerez le moins que vous pourrez. Car je vous adverti que maintenant il y a des esprits merveilleux pour descouvrir un homme si tost qu'ils peuvent entrer en discours avec luy. CELT. Comment peut-on eviter cela? PHIL. Ce n'est pas vous qui devez demander cela, monsieur Celtophile. car jamais vous n'auriez peur de demeurer court. mais pour les autres qui ont un remords de conscience touchant leur insuffisance et incapacité, il y a de bons moyens. CELT. Quels? PHIL. Il faut prendre garde si quelque chouse surviendra point qui puisse faire changer de propos. Et à faute de cela, dire qu'on voit passer quelcun auquel on a à faire. Ou s'il advient alors que l'horloge sonne, dire Vous me pardonnerez : (ou, Vous me donnerez congé, s'il vous plaist) voyla l'heure qui m'appelle à une assignation. Ou bien (encore que l'horloge ne sonne point) vous excuser de ce que vous ne poursuyvez le propos, pource qu'il vous est souvenu subitement qu'il vous falet aller trouver un certain seigneur, auquel vous faut rendre response de quelque chouse qu'avez negotiee pour luy. Et si vous voulez alors italianizer gros comme le bras (si d'avanture vous prenez plus grand plaisir aux italianismes alors que maintenant) vous pourrez dire, Je dismentiguois d'aller en un tel lieu. il m'y faut aller en frette: ce sera avec licence de vostre sei

gneurie1. Or quand il advient qu'on vous fait seulement une question en passant, en passant, à laquelle vous voyez que ne pouvez respondre alors faut faire en sorte qu'on impute à modestie ce manquement de response. et dire que vous n'avez garde de respondre le premier là où vous cognoissez des autres plus suffisans. Et quand quelcun d'eux aura respondu, alors il faudra dire Ad idem. CELT. Mais si la question se fait de seul à seul? PHIL. Encores y-a-il quelque moyen de destourner un tel coup. car vous pouvez dire que c'est de luy que vous voudriez apprendre la raison qu'il vous demande : et si quelcun survenet, il se moqueret, et diret, Sus Minervam 2. Ou bien si vous pouvez vous adviser de quelque raison, quelle qu'elle soit, encore qu'elle n'eut aucune apparence, la pourrez proposer sous le nom d'un autre : et dire, Il me souvient qu'un jour quelcun me rendit une telle raison mais je

1 Je dismentiguois... J'oubliais d'aller en un tel lieu, il m'y faut aller en hate, etc.

2 Sus Minervam. « Comme un jour que Demades luy dit : << Demosthenes me veult enseigner : c'est bien ce que l'on dit en commun proverbe « la truye veult enseigner Minerve >> il luy respondit soudainement: Ceste Minerve là fut nagueres en la rue de Collytus surprise en adultère. » Plut., Demosth., XVII. « Etsi non sus Minervam, ut aiunt, tamen inepte quisquis Minervam docet. » Cic., Academ., I, 4. « Sus Minervam. » Cic., Ep. ad Fam., IX, 18. Cf. Cic., De Orat., II. « Sus Minervam in proverbio est. Ubi quis id docet alterum cujus ipse inscius est: quam rem in medio, quod aiunt, positam Varro et Eubemerus ineptis mythis involvere maluerunt quam simpliciter referre. » Festus. Voy. Erasm., Ad. Chil. I, cent. I, XL.

luy fi bien confesser que sa raison n'avet aucune apparence et toutesfois il ne me souvient pas maintenant de celle que nous trouvasmes en la fin estre la vraye. Aucunesfois aussi, quand on vous pressera fort de respondre, et que vous sçavez bien qu'on trouvera vostre response fort estrange, et à bon droit, il vous faudra prevenir et comme arrester le jugement de celuy ou de ceux à qui vous parlerez en disant que vous rendrez une response du tout paradoxe : et que vous sçavez bien ce qu'aucuns ont accoustumė de respondre, voire de ceux qui sont estimez les plus savans mais qu'en beaucoup d'autres chouses les plus doctes se trompent, et pourtant ne suivez pas leur opinion. Mais je sçay un moyen duquel usant vous n'aurez besoin d'en venir si avant, et pourrez couvrir aisément vostre ignorance. Pardonnez-moy si je di cela. car je ne parle pas maintenant à vous comme si vous estiez monsieur Celtophile, mais comme m'adressant à un qui a besoin de ceste instruction. CELT. Je l'enten bien et ne faut demander pardon où il n'y a point d'offense. Dite seulement ce moyen. PHIL. C'est qu'il faudra tousjours faire de l'empesché, voire de l'enhazé 2 (comme on parle à

1 Paradoxe. Fontenelle a dit paradoxe et Diderot paradoxal. Cotgrave a paradoxique.

2 Enhaze. Cf. Apol., I, 231.

Et par charbons ardens qui bruient
Grant part de la cité destruient.

Si malement l'ont enhasée
Qu'assez tost fu toute embrasée.

G. Guiart, v. 3244.

Paris) afin qu'on ne vous vienne jamais aborder pour entrer en quelque discours, ou dispute. Et si vous voulez, ceci servira aussi à vostre reputation et principalement si vous faites en sorte qu'on estime que vous estes employé aux grandes affaires. Et afin qu'on croye cela plus aisément, il faudra tousjours dire que vous venez du lever, maintenant de quelque prince, maintenant du roy, maintenant de la roine: pareillement du disner, du soupper. dire que vous estes chargé de tant d'affaires importantes par les uns et par les autres que vous ne sçavez de quel costé devez vous tourner, ne par où devez commancer. et la dessus prendre quelquesfois occasion de vous lamenter de ce que vous n'avez un seul quart d'heure de repos, non pas mesme le loisir de prendre vostre repas. CEL. Encore que je n'en vienne pas, et que je n'y aye que faire, faudra-il dire que j'en vien? PHIL. Et quoy donc ? pourquoy feriez vous conscience de mentir en ceci aussi bien qu'es chouses susdictes? veu mesmement que ceci sert beaucoup à vostre reputation? Mais notez que vous ferez bien d'y aller ordinairement (si vous pouvez avoir le credit d'y entrer) encore que vous n'y eussiez point à faire, et qu'aussi on n'y eust à faire de vous non plus

«Enhaser, embesogner, Boul. maltraiter? » Godefroy. « Enhazé, que finge de ser occupado, hazendado. » Oudin, Trésor. « Faire l'enhasé, i. tesmoigner d'estre capable de beaucoup d'affaires, vulg. » Oudin, Cur. « Enhazé ou embesoigné, chi a gran negozi e facende. » H. Victor. Du verbe esp. hazer,

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