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Or sus, que direz-vous de ceste harangue, monsieur Philausone? direz vous qu'elle est bien fagottee, ou bien troussee? PHIL. Je n'en diray autre chouse, sinon qu'elle ne feret pas grand peur et ne donneret pas grand' peine à un qui y devret faire responce. CELT. Je me doute que vous avez envie de contreharanguer. PHILA. Pourquoy n'en aures-je envie? Et je croy que vous ne trouverez pas mauvais que tout-ainsi que vous avez harangué en la personne d'un Italien, en representant son naturel, aussi je contreharangue en la personne de celuy que je suis, à sçavoir d'un Francés, suivant pareillement le naturel de la nation. CELT. Je n'ay garde de le trouver mauvais : mais je vous veux bien confesser que si je me fusse douté que ma harangue auroit à soustenir les assauts d'un tel orateur, je l'eusse bien mieux fortifiee. PHIL. Je croy, monsieur Celtophile, que puisque vous me faites cest honneur de dire que je suis vostre maistre, et que vous avez envie d'apprendre bien la leçon que je vous bailleray touchant les termes qui sont bien-venus ou mal-venus en nostre cour: vous ne serez pas marri que je prenne la hardiesse d'interrompre le propos, pour vous donner un petit advertissement, lequel autrement je seres en danger d'oublier. CELT. J'aurois le plus grand tort du monde de me fascher de ce qu'on fait pour mon proufit. Dites hardiment, et au

Se trouve aussi dans Gruter, Florilegium, proverbia, p. 225, sous la forme: Mieux vaut tard que jamais.

lieu de mescontentement, attendez un remerciement. PHIL. Je vous adverti donc des maintenant, que quand vous serez à la cour, vous vous gardiez bien d'user d'aucuns termes qui sentent le barreau. CELT. Qu'est ce à dire, termes qui sentent le barreau? car il y a si long temps que je suis sorti de France, que je ne me puis pas ressouvenir de tout mon François. PHIL. Termes du barreau, ou Mots du barreau, sont ceux desquels ont accoustumé d'user les advocats plaidans au barreau. Or m'en suis-je souvenu quand vous avez usé du mot Fortifier. car aucuns d'eux disent volontiers, Pour fortifier mon dire1 (comme aussi quelques uns Pour corroborer mon dire) ce qui est cause de faire remarquer ce mot. CELT. Quant moy je l'eusse remarqué (si je me fusse trouvé là) non pas comme mal propre, ains comme estant dict fort proprement. PHIL. Mais il vous faut accommoder au jugement et au goust des courtisans. Et vela pourquoy je vous veux advertir aussi d'une façon de parler dont vous avez usé paravant asçavoir Soubs correction 2. Car sçachez qu'aujourd'huy les courtisans commancent à se desgouster de ce langage, comme sentant la cour de Parlement. CELT. Comment donc disent ces messieurs qui sont si délicats et si hapsicores? J'ai usé de ce mot en despit de

1 Pour fortifier mon dire. « Fortifier, confirmare, corroborare. » Nicot. « Fortifier, fortificare. » H. Victor.

2 Sous correction. Littré donne sous et sauf. Sauf correction, Molière, Avare, I, 3.

3 Hapsicores. 'Aixopos, dégoûté.

leur delicatesse que diroyent-ils qu'il sent? PHIL. Ils vous diroyent ne sçavoir pas que sent ce mot mais quoy que ce soit qu'il sente, qu'il leur fait mal au cueur. CELT. Mon Dieu, qu'ils sont devenus tendres de cueur! PHILA. Plus que vous ne pourriez croire, et principalement en ce qui concerne le langage. CELT. Mais quant à ceste façon de parler, Soubs correction, comment la changent-ils? disent-ils, Sauf correction? PHIL. Ils ne la changent point, mais la quittent du tout, et usent d'une autre. CELT. Quelle? PHIL. Ils disent, Sauf meilleur advis. CELT. Mais en quelques lieux conviendroyent bien ces motslà, où ceux-ci ne pourroyent convenir. PHIL. Tant y-a qu'ils font si bien (au moins quelques uns qui sont des plus curieux quant au langage) qu'ils se passent de ceux-là. CELT. Quant à moy, je ne sçay comment ils s'en peuvent passer : et puis qu'ils en viennent jusque là, de condamner une façon de parler qui est si authentique, je croy qu'ils en doivent condamner beaucoup d'autres. PHIL. Pour le moins seret bien condamné cest Authentique aussi, dont vous venez d'user, comme sentant son langage de chiquaneur. CEL. Cela me facheroit bien encor d'avantage, qu'on me reprochast que j'usasse de mots sentans le langage de chiquaneur, que si on disoit qu'ils sentent celui de la cour de Parle-` ment. PHIL. Peut estre qu'on diret encores autrement, asçavoir qu'ils sentent leur clerc, ou leur clerc du Palais. CELT. Il me souvient d'une

façon de parler qui vaut autant que ceste-là Soubs correction, mais qui n'est pas aussi usitee de laquelle je croy qu'ils se moqueroyent bien encore d'avantage. Car j'ay ouy dire aussi Parlant avec supportation, ou Pour parler avec supportation. PHIL. Vous pouvez bien croire qu'ils s'en moqueroyent encore beaucoup plus. CELT. Pour vous dire la vérité, je n'en ay ouy user qu'en quelques confins de France. Mais pourquoy ne pourroit-on ainsi parler? vous sçavez que cecy seroit jugé bon François, Je vous prie d'estre supporté en ce que je di ou, en ce que je diray. PHIL. Ce mot Supportation est trop malaisé à supporter aux oreilles. Mais sans y penser nous faisons nostre parenthese beaucoup plus longue qu'il ne falet. CELT. Nous estions. tous deux d'une mesme pensee. car j'ay envie d'ouir la contre-harangue, encore qu'elle doive beaucoup diminuer de ma reputation. PHIL. Cela ne voudres-je pas dire : mais seulement qu'elle vous rabbatera bien vostre caquet. CEL. Tel menace qui a grand peur2. il semble que vous ne sçachiez par quel bout vous devez commancer. PHIL. Plusieurs des excellens orateurs avoyent cela anciennement, de se trouver un peu empeschez au commencement, voire de se troubler un

1 Supportation n'a pas trouvé accès dans les lexiques. 2 Tel menace qui a grand peur. Traduit par Gille de Noyers

ainsi :

Saepe timore labat qui verba minantia jactat. Tel menace qui a peur, dans Gruter, Florilegium, prov., P. 254.

peu, principalement quand il falet haranguer sans longue premeditation à plus forte raison serai-je excusable, veu que je harangueray sans aucune premeditation, ni longue, ni courte. CELT. Si vous vouliez estre excusé par moy, il ne me faloit pas menacer. PHI. Je vous desmenace. CEL. Si est-ce que maintenant je ne vous promets rien j'adviseray que j'auray à faire. Mais ne voulez-vous point commancer? Que regardezvous tant? regardez vous si vostre harangue aura bon vent? PHIL. Vous estes plaisant et croy que vous avez envie de me faire tant rire, que cela me face oublier toute ma science de navigation oratoire (suivant ce que vous parlez du bon vent) mais à toutes adventures je me vay embarquer.

Messieurs, le desir que j'ai d'estre brief en ceste responce, (comme mon naturel a tousjours aimé la briefveté) me gardera d'user de long préambule et seulement vous prieray de m'excuser si ma harangue est un peu plus longue que la sienne en considerant que celuy qui respond est contraint de deduire des poincts desquels il se fust bien passe, et de les deduire plus au long qu'il ne voudret. Messieurs, quoy que celuy auquel je vien pour respondre, vous puisse alleguer, je trouve sa presomption et audace n'estre point excusable en ce qu'il s'est ingeré de faire une remonstrance, laquelle quand bien il eust esté necessaire de faire, toutesfois ceste charge n'appartenet à luy, ni autre de sa nation. Et

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