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vous confesse que j'en ay aussi remarqué aucunes fort estranges mais non en Joachim Du bellay : et de vray il me semble devoir estre mis aut nombre de ceux que vous dites estre modestement hardis. CELT. S'il me faloit faire le role de ceux-ci, il seroit le premier.

Mais je vous prie retourner à la continuation de ma leçon. Pour le moins me souvient il bien où j'en suis demeuré. Car m'advertissant que la coustume estoit maintenant d'user du pluriel au lieu du singulier, en quelques mots, vous m'avez amené pour exemple, Vos bonnes graces, au lieu de dire Vostre bonne grace: et Les couches de madame, au lieu de dire La couche. PHIL. Vous avez bonne mémoire : (car c'est bien là que nous en sommes demeurez) mais je ne l'ay pas bonne d'autres exemples, semblables à ceux que je vous ay proposez. Bien ay-je souvenance d'une maniere de parler en laquelle on fait le contraire : sçavoir est, quand on use du nombre singulier, au lieu du pluriel. (comme aussi je vous avez adverti que l'un se faiset aussi bien que l'autre) Car on dit, Laver la main, au lieu qu'on diset, Laver les mains. CELT. Quant à ce changement, je ne sçay pas sur quoy il est fondé. Car qui sont ceux qui se contentent de laver une main ? Sinon qu'on parlast du pays où vous sçavez1

Du pays où vous sçavez... De l'Allemagne. « La première cérémonie, avant de se mettre à table, était de se laver les mains. Aux repas des grands seigneurs, on se servait pour cela d'eau aromatisée et surtout d'eau rose, si usitée chez

qu'on ne se soucie pas beaucoup de laver les mains avant que se mettre à table: car puis que ceux de ce pays là se peuvent dispenser de laver les mains, alors (en usant de leur privilege) quand ils n'en laveroyent qu'une, encore feroyentils plus qu'ils ne sont tenus. Et toutesfois les Grecs aussi (comme vous sçavez) disoyent, Cata chiros hydor, aussi bien que cata chiron: en parlant de l'eau qu'on bailloit pour laver les mains avant le repas. Tesmoin le parasite, qui disoit que To cata chiros hydor, (parlant de ceste

nos pères... Après le repas, avant de sortir du lieu du festin, on se lavait les mains une seconde fois. (Martenne, Ampliss. Coll.. t. V, col. 357.) Les Romains avaient cet usage, et nous pourrions bien l'avoir reçu d'eux, mais comme il tient à la propreté, je crois qu'il a pu être également pratiqué par toutes les nations. » Legrand d'Aussy, Hist. de la vie privée des François, III, 312.

Enfant d'honneur, lave tes mains
A ton lever, à ton disner,

Et puis au soupper sans finer,

Ce sont trois toys à tout le moins.

Les Contenances de la table dans l'Hôtel de Cluny au moyen âge, par Mme-de Saint-Surin.

<«< Non nisi lotus, accumbe. » Erasme, Civilité puérile, ch. IV. <«< On pourrait dire qu'Erasme a moins mis en maxime les règles du savoir-vivre de son temps que spirituellement critiqué ses contemporains, en prescrivant tout le contraire de ce qu'il voyait faire autour de lui. Il suffirait, pour s'en convaincre, de comparer l'un de ses colloques, celui qui est intitulé Diversoria (Auberges), avec les règles qu'il donne dans sa Civilité. » Àlcide Bonneau.

1 Cata chiros hydor. « To xata xeipos dop vocabant aquam qua accubituri lavabant manus, nóvia autem qua post cibum manus abluebant, de qua Od. г, 339. Illud xata yεршv oop omnium dátov suavissimum esse jocose quidam dixit apud Ath., IV, p. 156 E, ubi quaeritur quænam aquæ optima sint et laudatissimæ. » Thesaurus. Voy. Athénée, liv. I, ch. xv; IV, XIV; IX, XVIII.

eau, apres laquelle on commence à jouer des maschoires et des dens) estoit la meilleure de toutes les eaux, quoy que sceussent dire plusieurs autres, qui en disputoyent physiquement. Ce qui convient fort bien avec ce qui a esté raconté tantost de celuy qui disoit touchant le livre qui traittoit de plusieurs langues, qu'on avoit eu grand tort d'y oublier la langue de beuf, qui estoit la meilleure de toutes. Ce qui soit dit par parenthese. PHIL. Vous ne devez pas trouver estrange l'usage du singulier pour le pluriel en la façon de parler dont il est question, veu qu'elle se trouve en quelques autres. car vous sçavez que nous disons aussi, Il a jetté l'œil sur luy: au lieu de dire, Il a jetté les yeux. Voire se trouvent des façons de parler où il faut necessairement user du singulier, non pas du pluriel : encore que cestuy-là soit en la place de cestuy-ci. Pour exemple, nous disons Prester l'oreille, non pas Prester les oreilles : encore qu'on ne demande pas la droitte plustost que la gauche, ni la gauche plustost que la droitte, mais qu'on les demande toutes deux. Toutesfois qui diret, Prestez moy les oreilles, sembleret avoir envie de faire rire et on luy demanderet quand il les voudret rendre. CELT. En ces façons de parler l'usage du singulier au lieu du pluriel se peut mieux excuser qu'en ceste autre. PHIL. Pour le moins le semblable usage des Grecs luy sert de defense. CELT. Je vous confesse que les Grecs disoyent Cata chiros hydor, et quelquesfois plus

briesvement Cata chiros: mais ils usoyent aussi du pluriel, disans Cata chiron. et mesmement quant à ce Parasite, aucuns racontent qu'il dit To cata chiron, non pas To cata chiros. Et toutesfois quand bien le singulier se trouveroit plus fréquent icy que le pluriel, il n'est pas necessaire que ce qui a bonne grace en une langue, soit tel en une autre. Et outre tout cecy, il ne seroit pas incroyable que ce cata chiros n'eust esté dict premierement par quelque comique, estant contrainct par son vers d'ainsi parler et depuis on l'auroit ensuivi. PHIL. Cest exemple là de Laver la main, au lieu de dire Laver les mains, nous donneret occasion d'extravaguer, si nous n'y prenions garde il vaut mieux que je vous en propose un, où il y a bien une autre sorte de changement que d'un pluriel à un singulier. car nous disons Le dos, au lieu que nous soulions dire Le ventre, ou Le corps et ce à l'imitation des Italiens. car aussi il nous faut retourner à eux. CELT. Quelle est ceste façon de parler, où on met le dos, pour italianizer, au lieu qu'on mettoit le ventre? PHIL. C'est une de celles qui ne font guere d'honneur au Christianisme, et qui (comme je croy) meriteret bien d'estre condamnee aussi bien que les autres que vous avez recitees tantost. car c'est une par laquelle nous voulons faire croire à plusieurs qu'ils sont possédez du diable. Et quant aux mots Italiens, vousmesme tantost en avez usé: or notez que nous retenons ces mesmes mots, les interpretans en

nostre langue. car au lieu qu'on diset, Il a le diable au corps, ou il a le diable au ventre: maintenant les courtisans, qui veulent italianizer, disent, Il a le diable au dos: ou, à dos ne plus ne moins que les Italiens, Ha il diavolo à dozzo1. CELT. C'est grand cas, que jusques à ces façons de parler, où un si vilain nom est appliqué, on soit curieux de nouveauté, et qu'on italianize pour la trouver : veu mesmement qu'il n'y a nulle apparence que le diable se mettant dedans une personne aime mieux se loger au dos qu'au ventre. PHIL. Pourquoy? Pource que où on pense pouvoir faire la meilleure chere, c'est là où volontiers on cerche logis. PHIL. Et vous voulez dire que le diable peut faire meilleure chere au ventre qu'au dos. CELT. Je le veux dire : et me semble qu'il n'en faut point douter. PHIL. Je sçay bien que vous dites ceci pour rire mais pour defendre à bon escient nostre façon de parler, par laquelle nous ne disons pas que le diable soit au dos, mais au ventre, on pourret alleguer (ce me semble) le mot engastrimythus. CELT. Vous m'avisez d'une defense fort bonne : laquelle je n'oublieray pas. Mais je crain que quelques Italiens ne vueillent exposer leur façon de parler autrement, quand ils se verront ainsi convaincus par ceste raison. PHIL. Laissons leur ce diable, à toutes avantures, pour le loger où

:

1 « Avere il diavolo o il gran diavolo addosso, vale esser nelle furie, imperversare, lat. Omnia sus deque ferre. Berni, Orl., I, 17, 66. Varchi, Suoc., 5, 3. » Crusca.

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