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ho, ch'ella con aggradire i miei sacrificii, mi tenga di continuo intento ad ardere ogni mio pensiero, ogni mia voce, ed ogni forza mia, perche à lei ne venga l'odore. CELT. Je dirois, ou plustost je di, que ceci ne vaut rien, non plus que le reste: mais toutesfois que tels traits seroyent plus excusables sortans d'une bouche Italienne (si excusables pouvoyent estre) que s'ils sortoyent d'une bouche Françoise. PHIL. Pourquoy? CELT. Pource que l'Italienne, en usant de tels traits ne parle pas tant contre son naturel, que parleroit la Françoise, en usant de pareil langage. Car desja ceste façon des Italiens, de dire vostre seigneurie, au lieu que nous disons sinplement Vous, est comme une entree à ce langage si colaxeutique et si profane, ou (si vous aimez mieux) si colaxeutiquement profane : et pareillement est un avantage qu'ils ont pardessus nous pour y parvenir. PHIL. Si vous reprenez les Italiens de ceste coustume de donner à chacun de la seigneurie, vous devez reprendre aussi quelques autres nations, lesquelles ne se peuvent garder, mesmement en parlant Latin, de donner de la domination ou de la magnificence au premier venu. Car vous sçavez qu'ils disent, Quomodo valet dominatio tua? Quid dicit dominatio tua? Quid petit dominatio tua? Et quelquesfois au lieu de Dominatio ils mettent Magnificentia. CELT. Je le doy bien sçavoir. car ils m'en ont donné souvent au travers des oreilles voire quelquesfois m'en ont rompu les oreilles. Et avant que j'y

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fusse accoustumé, je les regardois, quand ils me parloyent ainsi, comme s'ils eussent voulu se moquer de moy. Encores apres m'estre accoustumé à ouir cela d'eux, il n'estoit possible aucunement de m'accoustumer à leur rendre la pareille, non pas seulement à dire Vos, quand je ne parlois qu'à un. Car si j'eusse voulu respondre de mesme, non seulement il m'eust falu dire Dominatio tua, ou Magnificentia tua, mais aussi Excellentia tua, quelquesfois. Or je pensois en moymesme, Que veux tu garder pour les princes, quand tu parleras à eux ? Voyci donc que je faisois : j'usois de quelque mot, lequel pouvoit avoir lieu entre les Latins mesmement, en changeant la forme du langage seulement. Pour exemple, je disois, Prudentia tua considerabit, ou Humanitas tua considerabit. desquels mots on pourroit user, avec un peu de changement, quand mesmes il seroit question de parler comme les anciens Latins. car on pourroit dire, Prudentiæ tuæ erit considerare, ou Humanitatis tuæ erit considerare. PHIL. Ils vous faisoyent quelquesfois prince, à ce que je congnois par ce que vous avez dict: orça, ne vous faisoyent-ils point aussi rois quelquesfois ? CELT. Comment entendez-vous ceci? PHIL. Si, comme ils vous disoyent aucunesfois Excellentia tua, ils ne vous disoyent point aussi Serenitas tua. CELT. Je n'ay point souvenance qu'on me l'ait dict qu'une seule fois. PHIL. Pour le moins avez vous esté roy une fois. CELT. Je l'eusse esté quant à

l'honneur, si autre chose n'eust esté requise : mais celuy qui usoit ainsi de serenitas en mon endroit, n'entendoit pas me faire un honneur royal et quand bien il eut entendu me le faire, il ne m'eust pas esté faict pourtant. Joinct que je pense qu'il a esté dict autresfois à moindres aussi que rois. Mais (si j'ay bonne memoire) on commança d'user de ce mot alendroit des derniers rois, ou plustost empereurs de Grece. car il me semble qu'on leur disoit (au moins à quelques uns) Galnnotns, qui vaut autant que Serenitas. Et quant à user de quelques titres, honorables en escrivant les uns aux autres, nous en voyons des exemples es epistres de Basile le grand. Car il me souvient d'une qui commance, Enetychon tois grammasi tns hosiottos sou. Et que d'une autre le commencement est, Pois egeneto phaneron tn theoseveia sou? Et qu'ailleurs i dit Evlaveia sou, ou Semnots, ou Timiotns, ou

1 Basile le Grand : Athanasio magno ep. XLVII : incidi in sanctitatis tuæ literas. Voy pour Theoseveia: ad Eusebium ep. VIII, Jacobo Mycrao interprete; pour Evlaveia, ad Amphilochium ep. 2 et 3, Gentiano Herveto interprete; pour Semnotns: ad Maximum ep. XLII; pour Timiotns: Athanasio ep. L; pour Teleiotns: ad Meletium ep. LIX. Ce passage montre qu'Estienne, comme les Hellènes, prononçait v pour b, contrairement au système préconisé par l'Apologeticum qui a été placé sous le nom d'Estienne dans le recueil d'Havercamp Sylloge scriptorum qui de linguae graecae vera et recta pronuntiatione commentarios reliquerunt... Lugd. Bat., 1736, in-8. Notre passage n'est pas non plus pour confirmer cette phrase de M. Egger, l'Hellenisme en France, I, 454 : «L'autorité d'Estienne faisait oublier celle des pauvres Hellènes. »

Teleiotns. Et en Synesius aussi nous trouvons quelques titres non moins honorables: s'il faut appeler tels mots des titres. Et pareillement les derniers Latins (que les autres nomment modernes) ont usé de quelques mots de telle façon. PHIL. Et pourtant il vous faudra confesser que ce que les Italiens ont dict Vostre seigneurie, ce n'a esté qu'à l'imitation d'autres qui les avoyent precedez. CELT. Je vous confesse que la chose n'a pas eu son commancement d'eux : mais je pense qu'elle a eu son entretenement entr'eux plus qu'en aucune autre nation. et c'est pourquoy je vous ay dict naguere que les Italiens, en usant des traits dont nous parlions, ne parloyent pas tant contre leur naturel, que parleroyent les François s'ils usoyent de tel langage. PHIL. Si tel langage est totalement contre le naturel des Frances, il faut donc conclure que plusieurs sont fort desnaturalizez aussi bien en ceci qu'en autres chouses tellement que je crain que se dispensans peu à peu, ils n'en viennent là en la fin, de ne se soucier du crime de lese majesté divine d'avantage que les autres. Car je sçay qu'aucuns commancent ja à user de ceste façon de parler, Je vous ay consacré mon

1 Synėsius. « Aux époques de décadence littéraire, un des défauts les plus communs c'est la pompe et la banalité de l'éloge. A chaque instant nous trouvons dans les lettres de Synésius cet échange de complimens emphatiques. >> Druon, Etude sur la vie et les œuvres de Synėsius, p. 81.

2 Davantage que. Davantage est suivi de que dans Calvin, La Boëtie, Lanoue, Amyot.

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service. Pareillement quant aux juremens et blasphemes, aucuns, et principalement des gentilshommes, usent maintenant de juremens et blasphemes, dont autresfois ils eussent eu horreur de sorte qu'au lieu de dire, Il jure comme un chartier 1, il faudra dire, Il jure comme un gentilhomme. Voire (qui est la pitié) ils affectent des elegances aussi bien en juremens qu'en autres chouses tellement que c'est à qui jurera le plus elegamment et faut (s'il est possible) que l'elegance soit nouvelle. CELT. Or je vous prie toutesfois, que si vous voulez retourner à vos exemples d'affectation de langage, vous ne mettiez pas telles elegances du nombre car je me passeray bien de les ouir. PHIL. Aussi ne veux-je. car vous en orrez assez à la cour. CELT. Tant pis. PHIL. Puis donc que vous voulez que reprenions le propos sur lequel j'estes, des beaux traits nouveaux, veci encore un exemple, Je n'ay pas voulu souffrir passer devant mes yeux une si propre occasion sans l'empoigner aux crins. CELT. J'eusse volontiers demandé à celuy qui parloit ainsi, Que sçavez vous si Occasion porte des crins, ou si elle est tondue? PHIL. Il vous eust respondu qu'estant une femme, il est vraysemblable qu'elle n'est pas tondue. CELT. Pensez vous que ce soit par devant ou par derriere qu'elle porte des crins? PHIL. Vela une belle question. CELT. Ouy, c'est une belle question :

1 Il jure comme un chartier, voy. Apol., II, 73.

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