Page images
PDF
EPUB

mais seulement de Sonnet? PHIL. Les mots de Rondeau et de Balade sont du tout descriez. car puis qu'il est question de petrarquiser quant au reste, il faut bien qu'on petrarquise aussi quant à ce mot. CELT. Mais au lieu de dire par maniere de proverbe, C'est le refrain de la Balade1, on ne dit pas, C'est le refrain du Sonnet. PHIL. Comment le diroyent ces faiseurs de Sonnets, quand la plus grand' part ne sçait que c'est que de refrain ? Mais notez qu'outre les Sonnets, ils ont aussi des Odes, où il-y-a des Strophes et Antistrophes. CELT. Ce n'est pas donc sans bien pindarizer. Je ne di pas pindarizer, comme on pindarize en une cour de parlement, mais en contrefaisant les traits dithyrambiques de Pindare. PHIL. Quand vous aurez veu certaines odes d'aucuns des poetes qui sont de la Pleïade (dont je vous ay desja tantost faict mention) je m'asseure que vous confesserez qu'il y a de beaux traits,

1 C'est le refrain de la Balade.

C'est toujours le refrain qu'ils ont à leur ballade. Régnier, Sat. II, v. 151. Littré cite ainsi d'après une édition de 1730 : les Epitres et autres œuvres, Londres. La Bibliographie de Regnier publiée par M. Cherrier, 1885, donne pour 1730 trois éditions intitulées les Satyres et autres œuvres. L'éd. de 1733 porte : C'est tousjours le refrein qu'ils font à leur balade. De même l'éd. Poitevin, 1860, et l'éd. Lacour, 1867. « Ballades se font de huyt lignes pour clause et huyt syllabes en masculin pour ligne. Et doibvent estre trois clauses de semblable lisiere ou rithme et semblable reffrain pour derniere ligne... Les Picars apprennent les ballades qui sont d'autant de lignes qu'il y a de syllabes au pallinode. » Fabri, Le grand et vray art de pleine Rhetorique, 1521.

et de belles imitations de Pindare (ormis qu'il ne monte pas si haut, pour descendre tout en un coup si bas, comme eux font quelquesfois) mais vous y trouverez beaucoup de ces paroles que vous accusez de profanation: et notamment ceste-ci, Dieux, pour Dieu. Et c'est en partie d'où est venu le mal. car quand plusieurs courtisans sont venus à la lecture de ces poetes, cela les a achevez de peindre. CELT. Il me semble que ces poetes se devoyent bien contenter d'avoir mis en usage ces autres traits profanes, dont vous avez parlé, et autres semblables, sans en venir jusque là, d'user de ce mot Dieux non seulement où ils vouloyent parler des dieux des Payens, mais aussi là où le Christianisme requeroit qu'ils dissent Dieu, en nombre singulier. PHIL. Je pense que le commancement de cela soit venu de l'imitation des poetes Latins, qui disent ordinairement (comme vous sçavez) Dii, ou Superi, ou Cœlestes, ou Numina. et peu à peu l'oreille d'aucuns s'est tellement accommodee à ce mot de Dieux, qu'elle l'a trouvé plus beau que le mot de Dieu. Et mesmement aucuns pour plus grande galanterie, disent Les dieux immortels. En quoy ils latinizent et ethnicizent, ou payanizent (car vous me permettez bien de parler ainsi) d'une facon plus expresse. CELT. Vous me parlez d'une merveilleuse accommodation quant à moy je di qu'elle est diabolique. PHIL. Et moy je di que vous estes trop rigoreux. CELT. Dire la verité sans rien flatter, appelez

vous cela estre trop rigoreux? PHIL. A ce que je voy, vous n'aurez jamais la patience de lire nos poetes courtisans. car ceux de la Pleïade sont presque tous courtisans. CELT. Je n'ay pas encore employé beaucoup de temps à les fueilleter. PHIL. Quand vous voudrez prendre le loisir et la patience de ce faire, vous trouverez comme des princes ils en font des dieux des princesses, ils en font des deesses: honnorans aussi leurs Maistresses (j'enten celles qu'on appelet autresfois Amoureuses) de ce mesme titre. CELT. Voyla grand cas, que les Chrestiens soyent venus à une telle profanation, veu qu'ils souloyent condamner les payens, en ce qu'ils usoyent du titre de Divus devant le nom de leurs empereurs, qu'ils appeloyent Cesars. PHIL. Pour le moins nous pouvons dire que l'Italie s'est dispensee1 d'user de ce titre avant la France. car l'empereur Charles quint fut appelé Divus Carolus par les Italiens tous les premiers. Et quant à nostre Henri, alors que les Italiens commancerent à

=

1 S'est dispensée d'user... Se dispenser de se permettre de: « Ces Serées ne pouvoient mieux sortir en lumière que après avoir soupé, où le plus souvent on se dispense de plier un peu plus le coude qu'en autre repas. » Bouchet, Serées, 1. I, p. 4. « N'y a homme si sage, si discret, si retiré et sévere qu'entre le vin et les viandes, ne se dispense de dire et escouter quelque propos pour rire. » Id., 1. V, p. 158. Est aussi dans Patru. Se dispenser à est dans Corneille, Molière et Bayle. M. Godefroy, dans son Lexique comparé de la langne de Corneille, a indiqué toutes les variations de ce verbe dispenser et comment, après avoir signifié d'abord autoriser, il a voulu dire autoriser à ne pas faire, passant du sens positif au sens négatif.

escrire DIVO HENRICO, je croy que les Frances ne s'estoyent pas encore dispensez d'ainsi parler. CELT. Il ne se faut pas esbahir si les Italiens ont toutes sortes de dispenses avant les François. car vous sçavez qu'ils sont bien plus pres de Romme 1. PHIL. Je ne sçay pas quelle dispense ont ni les uns ni les autres: mais tant y a qu'ils se permettent d'attribuer aux rois des titres que les payens (comme je croy) faisoyent conscience d'attribuer à leurs rois ou empereurs et nommément ceux-ci, Optimo, Maximo. CELT. Est-il bien possible qu'on soit venu jusques à la profanation de ces mots ? PHIL. On y est venu, et se trouve en un livre imprimé. CELT. On fait grand tort à nos rois de leur attribuer tels titres. car la posterité pensera qu'ils y ayent pris plaisir, et qu'ils les ayent pourchassez comme ainsi soit qu'au contraire nos rois de France de toute ancienneté ayent usé de plus grande modestie en leur grandeur, qu'aucuns autres. Mesmement nous voyons que l'agenouillement, qui est ordinaire à l'endroit de quelques autres rois, (voire roitelets, à comparaison) en les servant, point esté prattiqué en France. tant sans faut qu'ils ayent rien voulu usurper sur la majesté divine. PHIL. Cela est vray. mais on vous respondra, qu'aujourd'huy on dit bien à l'empereur, Sacree majesté, et qu'il faut bien que nous

n'a

• Plus pres de Rome. Voy. un passage du Pré aux Clercs, opéra de Planard, 1833.

donnions à nos rois quelque titre equipollent, ou à peu pres. CELT. Comment equipollent ? Je di que ce titre d'Optimus, Maximus, emporte beaucoup plus que celuy de Sacree majesté : pource qu'il comprend toute sorte de louange que les hommes peuvent donner à Dieu. Et que les payens mesmement fissent merveilleusement grand cas de ce titre, ils le monstrent en ce qu'ils ne le donnoyent pas à tous les dieux, mais à un seul à sçavoir à Jupiter, lequel ils estimoyent estre beaucoup pardessus les autres. PHIL. Vous examinez les chouses trop subtilement. que diriez vous donc de messer Francesco Alunno1, qui en la fin de son epistre, par laquelle il dedie au Cardinal Farnese son livre, intitule Le richezze della lingua volgare, appelle son present Les sacrifices qu'il luy fait ? Car veci ses mots, Degnerasi adunque (la prego con ogni humilta) di receverlo con fronte di signore non men d'animo che di titolo, et col rispondermi della ricevuta, far intendere al mondo, che la gran bonta sua riconosce per somma fede, et non per vile ò necessitata presumtione questa ostination mia di voler far vedere al mondo et a lei la gran forza di questo desiderio ch'io

1 Alunno. Voy. I, 116. Ce laborieux Ferrarais publia successivement des Observations sur Pétrarque, un dictionnaire des Richesses de la langue vulgaire, où sont rangés par ordre alphabétique tous les mots et toutes les expressions les plus élégantes employées par Boccace, et enfin la Fabbrica del mondo, où tous les mots de Dante, de Pétrarque et de Boccace sont mis par ordre de matières et expliqués en latin. Alunno fut successivement calligraphe de la ville d'Udine et de la République de Venise.

« PreviousContinue »