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DU NOUVEAU

LANGAGE FRANÇOIS

ITALIANIZÉ

ET AUTREMENT DESGUIZÉ, PRINCIPALEMENT ENTRE LES COURTISANS DE CE TEMPS

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ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
27-31, Passage Choiseul, 27-31

DIALOGUE

SECOND

E vous y pren, monsieur Philausone, je vous y pren. vous estiez en une tresprofonde cogitation. Il va bien que je n'y estois pas si avant que

vous. car nous nous fussions entre

rencontrez sans en sçavoir rien. Or vous sçay je bon gré que vous estes homme de promesse : et prie Dieu de vous donner le bon jour. PHIL. A vous aussi soit-il donné. Je vous baise la main de la bonne diligence dont vous avez usé. car s'il m'eust falu vous attendre, vous m'eussiez faict beaucoup stenter. CEL. J'avois mis un bon ordre pour ne m'oublier pas, craignant vous faire attendre. PHIL. J'interprete une telle crainte à une grande amorevolesse 1. Et quant à vous, pour mon regard, vous deviez bien faire estat de

1 Amorevolezza, amitié.

me trouver ici, puisque je vous aves promis de venir à l'heure. Car je veux bien que votre seigneurie sçache que ce seret une chouse fort strane à tous ceux qui me cognoissent, de me voir manquer à ma parole. Et (pour ne vous point mentir), il m'incresce fort de voir un tel manquement d'un autre en mon endret. CELT. Tout va bien: nous ne pouvons aucunement nous plaindre l'un de l'autre. Car ceste promesse

esté tenue non seulement respectivement (s'il est licite de parler chicaniquement en presence d'un si brave courtisan) mais aussi tresegalement. Car je pense que si on contoit les pas qui sont depuis nos maisons jusques ici, on trouveroit pareille distance de puis l'une que depuis l'autre. Mais comment vous portez-vous depuis hier? PHILAUSO. Veci la reste 2, Il semble que vous trouvez ceste responce estrange. CEL. Je vous confesse qu'elle m'est nouvelle : je ne sçay pas si l'ayant bien consideree, je la trouveray estrange. PHIL. Telle qu'elle est, aujourd'hui on l'oit de plusieurs. Car quand on leur demande, Comment vous portez vous, ou Comment vous estes vous porté, depuis que je ne vous ay veu,

Chicaniquement. Adverbe forgé par Estienne d'après chicane. Littré et Brachet font venir chicane du byzantin Tuzivov, jeu de mail. Scheler le rattache au lat. ciccum, bagatelle. Ménage se range à l'avis de Héraud qui, dans ses Obs. contre Saumaise, p. 456, croit qu'il vient de dizavixós, qui sent la chicane.

2 Veci la reste. « Voici ou vous voyez la reste. In answer to low have you done a great while. » Cotgrave.

ils disent, Voyci la reste: ou, Vous voyez la reste. CELT. Je pense et repense pourquoy ils parlent ainsi mais je ne puis trouver la raison. Ains il me semble que telle response ne peut avoir lieu sinon quand on auroit usé de ce propos (ou autre semblable) Vostre maladie vous a osté beaucoup de vostre bonne couleur. Ou, vous a osté beaucoup de vostre embompoinct. Car ceste responce seroit aucunement convenable, Voyci la reste. PHIL. Ce n'est pas sans raison que vous rejettez ceste façon de parler, en cest usage que je luy ay donné, mais je vous ay adverti parcidevant qu'on uset de plusieurs mots et façons de parler pour le jourd'huy, où il ne falet cercher ni ryme ni raison. Et ce mot ryme vient bien à propos à ce dont il est question, estant dict (comme vous sçavez) au lieu de rythme, du Grec rythmos (encore qu'on appelle

Rythme. Est féminin dans Montaigne, I, 25. « Quintilian au prem. livre de ses Inst. dit que la grammaire ne peut être qu'elle ne soit accompagnée de la musique, puisqu'elle doit traiter des vers et des rhythmes. Qui s'attacherait seulement à l'écorce de ces paroles, il penserait qu'il y eut dès lors quelques espèces de rhythmes, dont nous accommodons nos vers, vu que ce passage fait fraterniser les rhythmes avec les vers mesurés latins; même qu'il dit que par leur douceur ils avaient grande communication avec la musique, qui est celle par laquelle on donne le lustre, ou bien (si ainsi voulez que je le die) l'âme à toutes sortes de vers: toutefois la vérité est que ce mot de rhythme n'était approprié aux vers, comme nous recueillons du même auteur, 1. IX, et d'Aulu-Gelle, 1. XV de ses Veilles attiques. Diomède le Grammairien voulut depuis passer plus outre car il ne douta au 1er livre de sa grammaire, ch. I, de marier la rime et le vers ensemble sous ce titre de Poetica, Rhythmis et

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