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Et le bras tout fouillé du fang des innocens,
Ofaient offrir à DIEU cet exécrable encens.

O combien de héros indignement périrent!
Renel (28) et Pardaillan chez les morts descendirent;
Et (29) vous, brave Guerchi, vous, sage Lavardin,
Digne de plus de vie et d'un autre deftin.
Parmi les malheureux que cette nuit cruelle
Plongea dans les horreurs d'une nuit éternelle,
Marfillac et Soubise, (30) au trépas condamnés,
Défendent quelque temps leurs jours infortunés,
Sanglans, percés de coups, et refpirans à peine,
Jufqu'aux portes du louvre on les pouffe, on les traîne;
Ils teignent de leur fang ce palais odieux,

En implorant leur roi qui les trahit tous deux.

,, Du haut de ce palais excitant la tempête, Médicis à loifir contemplait cette fête ; Ses cruels favoris, d'un regard curieux, Voyaient les flots de fang regorger fous leurs yeux; Et de Paris en feu les ruines fatales

Etaient de ces héros les pompes triomphales.

"QUE dis-je? ô crime! ô honte!ô comble de nos maux! Leroi, (31) le roi lui-même, au milieu des bourreaux, Pourfuivant des profcrits les troupes égarées, Du fang de fes fujets fouillait fes mains facrées ; Et ce même Valois que je fers aujourd'hui, (32) Ce roi qui par ma bouche implore votre appui, Partageant les forfaits de fon barbare frère, A ce honteux carnage excitait fa colère.

Non qu'après tout Valois ait un cœur inhumain :
Rarement dans le fang il a trempé fa main ;
Mais l'exemple du crime affiégeait fa jeuneffe,
Et fa cruauté même était une faibleffe.

"QUELQUES-UNS, il eft vrai, dans la foule des morts, Du fer des affaffins trompèrent les efforts.

De Caumont, (33) jeune enfant, l'étonnante aventure
Ira de bouche en bouche à la race future.

Son vieux père, accablé fous le fardeau des ans,
Se livrait au fommeil entre fes deux enfans

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Un lit feul enfermait et les fils et le père :
Les meurtriers ardens, qu'aveuglait la colère,
Sur eux à coups preffés enfoncent le poignard:
Sur ce lit malheureux la mort vole au hafard.

,, L'ETERNEL en fes mains tient feul nos deftinées; Il fait, quand il lui plaît, veiller fur nos années, Tandis qu'en fes fureurs l'homicide eft trompé. D'aucun coup, d'aucun trait Caumont ne fut frappé ; Un invifible bras, armé pour sa défense,

fa

Aux mains des meurtriers dérobait fon enfance :
Son père à fes côtés, fous mille coups mourant ?
Le couvrait tout entier de fon corps expirant ;
Et du peuple et du roi trompant la barbarie,
Une feconde fois il lui donna la vie.

"CEPENDANT, que fefais-je en ces affreux momens?
Hélas! trop affuré fur la foi des fermens,
Tranquille au fond du louvre, et loin du bruit des armes,
Mes fens d'un doux repos goûtaient encor les charmes.

O nuit! nuit effroyable! ô funefte fommeil !
L'appareil de la mort éclaira mon réveil.
On avait maffacré mes plus chers domestiques;
Le fang de tous côtés inondait mes portiques;
Et je n'ouvris les yeux que pour envisager
Les miens que fur le marbre on venait d'égorger.
Les affaffins fanglans vers mon lit s'avancèrent;
Leurs parricides mains devant moi fe levèrent ;
Je touchais au moment qui terminait mon fort;
Je préfentai ma tête, et j'attendis la mort.

"MAIS foit qu'un vieux refpect pour le fang de leurs maitres
Parlât encor pour moi dans le cœur de ces traîtres;
Soit que de Médicis l'ingénieux courroux
Trouvât pour moi la mort un fupplice trop doux ;
Soit qu'enfin s'affurant d'un port durant l'orage,
Sa prudente fureur me gardât pour otage;
On réserva ma vie à de nouveaux revers,
Et bientôt de fa part on m'apporta des fers. (34)
"COLIGNI, plus heureux et plus digne d'envie,
Du moins en fuccombant ne perdit que la vie ;
Sa liberté, fa gloire au tombeau le fuivit.....
Vous frémiffez, Madame, à cet affreux récit;
Tant d'horreur vous furprend; mais de leur barbarie
Je ne vous ai conté que la moindre partie.
On eût dit que du haut de fon louvre fatal
Médicis à la France eût donné le fignal ;
Tout imita Paris : (35) la mort fans résistance
Couvrit en un moment la face de la France.

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Quand un roi veut le crime, il eft trop obéi:
Par cent mille affaffins fon courroux fut fervi
Et des fleuves français les eaux enfanglantées
Ne portaient que des morts aux mers épouvantées. ››

CHANT I I I.

ARGUMENT.

Le Héros continue l'histoire des guerres civiles de France. Mort funefte de Charles IX. Règne de Henri III: fon caractère. Celui du fameux duc de Guife, connu fous le nom du Balafré. Bataille de Coutras. Meurtre du duc de Guife. Extrémités où Henri III eft réduit. Mayenne eft le chef de la Ligue d'Aumale en eft le héros. Réconciliation de Henri III et de Henri roi de Navarre. Secours que promet la reine Elifabeth. Sa réponse à Henri de Bourbon.

„QUAND l'arrêt des deftins eut,durant quelques jours,

A tant de cruautés permis un libre cours,
Et que des affaffins, fatigués de leurs crimes,
Les glaives émouffés manquèrent de victimes;
Le peuple, dont la reine avait armé le bras,
Ouvrit enfin les yeux, et vit fes attentats.

Aisément fa pitié fuccède à sa furie :

Il entendit gémir la voix de fa patrie.

Bientôt Charles lui-même en fut faifi d'horreur ; Le remords dévorant s'éleva dans fon cœur. Des premiers ans du roi la funefte culture N'avait que trop en lui corrompu la nature ; Mais elle n'avait point étouffé cette voix Qui jufque fur le trône épouvante les rois. Par fa mère élevé, nourri dans fes maximes, Il n'était point comme elle endurci dans les crimes. Le chagrin vint flétrir la fleur de fes beaux jours; Une langueur mortelle en abrégea le cours: DIEU, déployant fur lui fa vengeance févère, Marqua ce roi mourant du fceau de fa colère, Et par fon châtiment voulut épouvanter Quiconque à l'avenir oferait l'imiter. Je le vis (1) expirant : cette image effrayante A mes yeux attendris femble être encor préfente. Son fang, à gros bouillons de fon corps élancé, Vengeait le fang français par fes ordres verfé: Il fe fentait frappé d'une main invisible ; Et le peuple, étonné de cette fin terrible, Plaignit un roi fi jeune et fitôt moissonné, Un roi par les méchans dans le crime entraîné, Et dont le repentir permettait à la France D'un empire plus doux quelque faible espérance.

"SOUDAIN du fond du Nord, au bruit de fon trépas, L'impatient Valois, accourant à grands pas,

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