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- Mariez-vous donc, de par Dieu.

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Mais si ma femme cessait de m'aimer ? si elle me trompait? voilà un point qui me point. -Point donc ne vous mariez.

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Mais si je venais à tomber malade? il est triste alors d'être seul, sans famille et de se voir soigner à rebours. « J'en ai vu une claire expérience en papes, légats, cardinaux, évêques, prieurs et moines, qui ne sont point légitimement mariés ».

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gruel.

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Mariez-vous donc, de par Dieu, dit Panta

Mais si, en me voyant malade, ma femme songeait à me chercher un remplaçant, ou ce qui pis est, me volait et me forçait à courir les champs en pourpoint.

-Point donc ne vous mariez, répondit Pantagruel.

- Voire mais, alors je n'aurai ni fils ni fille légitimes pour égayer ma maison dans ma vieillesse. Et si vous me voyez triste et abandonné par ma faute, au lieu de me consoler, il pourra bien arriver que vous ou d'autres de mon mal riez.

Mariez-vous donc.

-Sauf votre bon plaisir, dit Panurge, votre conseil ressemble à la chanson de Ricochet ».

II.

Nous ne connaissons pas la chanson de Ricochet; mais nous connaissons de nombreux dialogues en vers et en prose, dans lesquels le dernier mot d'une question fournit une réponse en écho. Il y a, dans les Colloques d'Erasme, un dialogue de ce genre. Il y en a dans les poésies de Racan, dans les premières co

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médies de Corneille, dans la Princesse d'Elide de Molière, etc. Les plus curieuses se trouvent dans un poème sur le séjour de la Madeleine à la Ste-Baume, en Provence, poème qui n'a pas moins de douze chants, remplis d'acrostiches, d'anagrammes, de tours de force, où les termes de grammaire se marient aux termes de rhétorique et de logique, pour exprimer les remords d'un cœur touché de la grâce divine. Toute la moitié du second livre est composée de rimes en écho. En voici quelques échantillons: Qui me soulagera dans mon inquiétude ? De qui suivait les pas autrefois Madeleine? Et que donne le monde aux siens le plus souvent ? — Vent. Que faut-il dire auprès d'une telle infidèle ? Fi d'elle. Dis-moi doncques, Echo, serai-je ici longtemps? Ecoutez-moi, Rochers, et toi, mon Antre, entends:

Étude.

d'Hélène.

Trente

ans, etc.

Cette étrange collection de futilités péniblement accumulées est d'un Carme provençal le P. St-Louis ». Rabelais donnera place à ses pareils dans l'île d'Énasin. L'ouvrage a été reproduit par La Monnoye dans un Recueil de Pièces curieuses, 2 vol. in-12. 1714.

Quant à l'idée même du colloque, Rabelais l'a prise d'un sermonaire célèbre du XVe siècle, Raulin, qui, dans son sermon de viduitate, raconte l'anecdote suivante. Le texte est en latin, mais les cloches parlent français.

Une veuve vint trouver son curé pour lui demander s'il lui conseillait de se remarier; elle alléguait qu'elle était sans aide et qu'elle avait un valet excellent et très habile dans le

1 Raulini Opus sermonum de adventu, 1519, Paris. Le texte est cité par G. Peigné (Philomneste) dans son Prédicatoriana. Dijon, 1841.

métier de son mari.-Prenez-le, dit le curé – Oui, mais il y a sujet de craindre qu'au lieu d'un serviteur, je ne me donne un maître. - Alors, ne le prenez pas, dit le curé. – Mais je ne saurais supporter tout le poids des affaires de mon mari, si je n'ai un autre mari. -Eh bien, prenez-le. Mais s'il était méchant, s'il dissipait ou usurpait mon bien ? Alors il ne faut pas le prendre.» Mais le curé voyait bien qu'elle aimait ce valet et désirait l'épouser; il lui dit de bien écouter ce que lui diraient les cloches de l'église et de suivre leur conseil. Elle écouta donc les cloches et ne manqua pas d'entendre, selon son désir: «Prends ton valet, prends ton valet.» Elle le prit, mais son domestique la battit, quand il fut devenu son mari, et de maîtresse elle passa au rang de servante. Elle alla alors se plaindre au curé de son conseil en maudissant l'heure où elle l'avait cru. Le curé lui répondit: «Vous n'avez pas bien entendu ce que vous ont dit les cloches. Écoutez, et le curé ayant mis la cloche en mouvement, elle entendit distinctement: «Ne le prends pas, ne le prends pas! »

Rabelais s'approprie aussi l'histoire des cloches dans un chapitre subséquent (le xxvII).

Écoute, dit frère Jean, l'oracle des cloches de Varennes. Que disent-elles ? Je les entends, répondit Panurge. Leur son est, par ma soif, plus fatidique que celui des chaudrons de Jupiter en Dodone. Écoute: Marie-toi, marie-toi; marie, marie! Si tu te maries, maries, très bien t'en trouveras, veras. Marie, marie.

Je t'assure que je mé marierai, tous les éléments m'y invitent.

Au chapitre suivant, Panurge s'écrie:

Ma foy, frère Jean, mon meilleur sera de ne point me marier. Écoute ce que me disent les cloches à cette heure que nous sommes plus près: Marie point, marie point, point, point, point, point. Si tu te maries, maries, (marie point, point, point), tu t'en repentiras, tiras, trompé seras.

III.

Pantagruel, pressé par Panurge de lui donner une réponse précise, lui dit : «Il y a d'excellents maria

ges, il y en a de déplorables. Consultons, si vous le voulez, les sorts virgilianes et homériques. » Ce genre de divination consiste à ouvrir trois fois au hasard les Euvres de Virgile ou d'Homère et à prendre pour réponse les premiers vers qui frappent les yeux. On emploie encore quelquefois la Bible ou l'Imitation à cet usage.

Pantagruel cite des prophéties de ce genre qui se sont réalisées. Alexandre Sévère, par exemple, un jour qu'il consultait l'Enéide, l'ouvrit à ce vers :

Tu regere imperio populos, Romane, memento.
[C'est à toi que revient de commander aux peuples,
Romain, souviens-t'en bien.]

Quelques années après il fut élu empereur.
Claude II voulut savoir ce qui adviendrait à son
frère, son Virgile lui répondit :

Ostendunt terris hunc tantum fata.

[Les Destins ne feront que le montrer au monde.]

Il fut tué dix-sept jours plus tard.

Pierre Amy, cordelier et ami de Rabelais, consulta Virgile pour savoir ce qu'il devait faire après la perquisition opérée chez lui et Rabelais; il tomba sur le vers suivant :

Heu fuge, crudeles terras, fuge littus avarum! [Fuis ce rivage avare et ces terres cruelles !]

Il suivit le conseil du livre et se tira heureusement d'affaire.

Panurge a l'idée de consulter à la fois les dés et Virgile, c'est-à-dire de faire désigner par les dés le vers qu'il faudra choisir. Pantagruel n'est pas de cet avis; il condamne tous les jeux de hasard, qui ne servent le plus souvent qu'à engloutir des fortunes.

Panurge persiste, il a toujours des dés dans sa poche, il les jette; ils donnent 5, 6, 5, total 16. On prendra le seizième vers de Virgile à l'ouverture du livre.

On tombe sur la IVe Eglogue, vers 63.

Nec Deus hunc mensa, dea nec dignata cubili est.

[Le Dieu ne daigna pas présider à sa table ni la déesse à son lit.]

Un second essai donna:

Membra quatit, gelidusque coit formidine sanguis. [Il lui brise les membres et son sang se glace de terreur.]

A la troisième épreuve on trouve:

Femineo prædæ et spoliorum ardebat amore.

[Il brûlait d'un amour tout féminin pour le butin et les dépouilles.]

IV.

Ces vers sont largement commentés avec accompagnement de traits mythologiques, historiques, de contes et de raisonnements plus ou moins piquants, mais d'où il est impossible de tirer une conclusion. Pantagruel propose de recourir à la divination par les songes. Pantagruel, qui, dans cette seconde partie de l'ouvrage, manifeste parfois des tendances mystiques, croit que les songes pourraient bien nous présager l'avenir. Il fait à ce propos la théorie qui a été renouvelée de nos jours par les magnétiseurs et les spirites:

Lorsque les enfants bien nettoyés, bien repus et allaités dorment profondément, les nourrices vont s'ébattre en liberté, comme autorisées à faire ce qu'elles voudront, car leur présence autour du berceau leur semble inutile. Il en est de même de l'âme lorsque le corps est endormi et que

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