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CHAPITRE XX.

LA RÉPUTATION DE RABELAIS.

SOMMAIRE. 1. XVI SIÈCLE.

bault, Garasse.

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1. Les ennemis: La Sorbonne, Puits-Her2. Les amis: Du Perron, Montaigne, Bran. 3. Pasquier, Ste-Marthe, J. de Thou.

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4. Les libres penseurs, St-Evremond, M6Sévigné, La Fontaine et ses amis. - 5. La 6. Fontenelle, Bayle, Bernier, Le Duchat,

III. XVIIIE SIÈCLE. 7. Le café Procope, J.-B. Rousseau. Les éditions expurgées de Pérau et de Marsy. 8. Jugements opposés de Voltaire.-Mercier.-9. Les recueils périodiques.- 10. Diderot, Beaumarchais, Vicq-d'Azyr, La Harpe, Palissot, V. Leclerc. 11. Bernardin de St Pierre. IV. XIXE SIÈCLE. 13. Fr. Guizot, N. Lemercier. 14. La Panhypocrisiade. 15. Edition de De l'Aulnaye. Variorum.

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12. Ginguené.

16. Edition 17. Appréciations provoquées par ces éditions. 18. Philarète Chasles, St-Marc Girardin. 19. Ste-Beuve. 20. Fr. Michel, Lenient, V. Hugo. 21. Burnier, Lamartine, 22. Delécluze, Michelet, H. Martin, Prévost-Paradol,

Cantù.

Littré.

1

V. BIOGRAPHIES.-23. P. Lacroix, Rathery - Baudry. — 24. Eug. Noel, Mayrargues. 25. Arnstadt.

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Les contemporains de Rabelais furent généralement peu choqués des licences qui nous blessent aujourd'hui dans son œuvre. Il y eut quelques protestations, violentes à la vérité, elles l'étaient toutes à cette époque, mais qui n'eurent pas d'écho.

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La Sorbonne commença l'attaque. Dès 1533, elle réunit dans une même censure Pantagruel, qui venait de paraître, la Forêt d'amours et d'autres livres obscènes du même billon. C'est Calvin qui nous l'apprend. Il se joignit bientôt lui-même aux accusateurs de Rabelais et dans son traité De Scandalis, il lui reproche, de s'être, comme Despériers, éloigné de la doctrine après avoir paru y prendre goût. «L'un et l'autre ont mérité, dit-il, d'être frappés d'aveuglement pour avoir profané la parole sacrée par l'audace de leur sacriléges plaisanteries. ›

L'attaque la plus violente fut celle d'un moine catholique, Gabriel de Puits-Herbault, qui dans un dialogue latin contre les mauvais livres, le Théotimus, accable Rabelais des injures les plus grossières. C'est un gourmand, un ivrogne, qui n'a ni crainte de Dieu, ni respect des hommes. Il souille le papier de livres criminels qui se répandent au loin dans les pays; il lance l'insulte sur tous les ordres de la société, il outrage les gens de bien, les pieuses études et les lois de l'honnêteté, et cet homme indigne, qui devrait être avec les réfugiés de Genève, nous le voyons accompagner les cardinaux envoyés à Rome, nous voyons le pape lui-même l'accueillir, l'admettre à sa table et dans sa familiarité!

Ce que nous voyons aussi, c'est que l'envie entre pour beaucoup dans le zèle du R. Puits-Herbault contre les mauvais livres.

Au commencement du siècle suivant, un autre moine, un Jésuite, le Père Garasse, qui passa sa vie à batailler avec une fougue proverbiale, soit contre le président Pasquier, qui avait attaqué les Jésuites, soit surtout contre les ministres protestants, publia

un livre, le Rabelais reformé, où le curé de Meudon est aussi fort malmené. Dans une pièce de vers qui sert d'introduction à l'ouvrage, l'auteur fait raconter à Rabelais l'histoire de sa vie. Rabelais avoue qu'il a été un moine très peu zélé, aimant mieux coucher sur la plume que sur un dur matelas, dormant volontiers pendant que les autres moines se levaient pour chanter matines, et surtout peu empressé de se donner la discipline.

Je puis bien jurer saintement
Que jamais discipline ou haire,
Au moins de mon consentement,
Avec mon dos n'eurent affaire.

Il ajoute que

Se lassant d'estre cordelier,

[Il jeta son froc aux orties,

et se mit à parcourir l'Europe, <raillant toutes choses à la manière d'Esope, faisant force tours, rôdant partout et menant l'ours.» •

Cette dernière expression ne doit pas être prise à la lettre, comme l'ont pensé certains critiques; Garasse accuse seulement Rabelais d'avoir fait le plaisant et le bouffon dans ses voyages. Il veut enfin savoir ce que c'est que Rome:

Là je fais grand nombre d'amis...

[Garasse, pas plus que Puits-Herbault, ne pardonne à Rabelais d'avoir été bien reçu à Rome.] Et vis des choses fort plaisantes, Comme sont celles que j'ay mis (sic) Au traicté des Iles Sonnantes.

Des cardingaux, des chats fourrez
Du papegaut, de ses sonnettes,

Des moinegaux tout embourrez

Et d'autres semblables sornettes.

Au retour de ces voyages, Rabelais s'est mis à écrire des livres bouffons, où il a compilé Lucian, l'Arétin et Plaute.»

Lucian se mocque de Dieu,

L'Arétin se mocque du monde,
Quant à Plaute, il tient le mylieu....
J'ay plus de sornettes qu'eux trois,
Je n'épargne ny Dieu ny homme,
Ny papes, ny princes, ny rois,

Ny Paris, ny Londres, ny Rome.

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La poésie n'est pas riche, comme on voit, et la rime entraîne parfois l'auteur à dire plus ou moins qu'il n'a voulu dire. Mais, en somme, la critique est plus méchante d'intention que de fait. Au reste, ce n'est pas contre Rabelais que le livre est dirigé, comme plusieurs l'ont cru d'après le titre abrégé. Voici ce titre en entier Le Rabelais reformé [c'est-à-dire formé une seconde fois, imité] par les ministres et notamment par Pierre du Moulin, ministre de Charenton, pour réponse aux bouffonneries insérées dans son livre de la Vocation des Pasteurs (Lyon, 1660, in 12). Garasse accuse les pasteurs de répondre aux catholiques par des plaisanteries dignes de Rabelais, au lieu de discuter sérieusement.

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Nous avons déjà cité les vers des poètes de la Pléiade, qui font de l'auteur de Gargantua un buyeur comme ses héros.

II.

Les autres écrivains qui ont parlé de Babelais à cette époque, sont d'accord pour en dire du bien,

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mais ils ne paraissent pas avoir vu dans son ouvrage ce que nous y voyons aujourd'hui.

Le cardinal du Perron faisait grand cas de Rabelais; il appelait son Pantagruel le Livre par excellence et envoyait dîner à l'office ceux de ses convives qui avouaient ne l'avoir pas lu. Mais à quel titre le prisait-il si fort? Le cardinal avait un grand renom comme théologien, comme orateur surtout. Mais ce qu'il prisait avant tout, c'était le bien-dire, c'était l'éloquence. Un jour que Henri III le félicitait de la manière dont il avait prouvé l'existence de Dieu, il répondit, assure-t-on: <Pour peu que Votre Majesté le désire, je suis prêt à lui prouver aussi puissamment la thèse contraire.» L'anecdote a été contestée, mais le fait d'avoir attribué un tel propos au cardinal montre suffisamment l'opinion qu'on avait de lui. Il est donc probable que l'admiration qu'il éprouvait pour Rabelais s'adressait tout particulièrement au style merveilleux de l'écrivain beaucoup plus qu'à ses idées.

སླ་

Montaigne pour sa part (Essais liv. II, chap. X) met l'ouvrage de Rabelais au nombre des livres plaisants et dignes qu'on s'y amuse; il le place sous ce rapport au dessus de l'Arioste et d'Ovide, mais il le met sur le même rang que le Décaméron de Boccace, et les Baisers de Jean Second, poète latin contemporain.

Brantome dans sa Vie de François I1 mentionne aussi Rabelais. Il s'agit du droit qu'avaient les couvents de choisir leur abbé ou leur prieur. Brantome prétend que les moines choisissaient souvent pour abbé celuy qui estoit le meilleur compaignon, qui 1 Euvres complètes, 2 v. grand in 8°. T. 1, p. 250.

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