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d'Anarche. Ceux-ci sont vaincus par leur faute et justement punis, mais celui-là est vainqueur et n'est pas plus heureux.

Les commentateurs, au lieu d'accepter cette explication toute simple, se sont mis à chercher dans l'histoire. Voltaire s'appuyant sur la signification actuelle de tohu bohu, qui se prend dans le sens de désordre, voit, dans ces îles, l'Angleterre alors agitée par les révolutions et les réactions religieuses; pour lui Bringuenarilles, c'est Henri VIII; d'autres identifient le géant avec François Ier, la plupart avec plus de raison y voient Charles-Quint dévastant les frontières françaises et assiégeant vainement Metz, la ville vierge, qui n'a pu être prise de nos jours que par la trahison d'un général français. Que Rabelais ait songé en passant, à Charles-Quint, cela est possible, mais son idée est bien au-dessus d'une satire temporaire. Ce n'est pas l'histoire de son temps qu'il écrit allégoriquement, comme le prétend Voltaire, c'est l'histoire de l'humanité.

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cette terre.-9. Double population de l'île. Mort du grand Pan. — 10. Explications.

III. CATHOLIQUES ET PROTESTANTS. - 11. Quaresmeprenant et Antiphysie. 12. Le souffleur ou physetère. 13. Bataille entre

le Carême et les Andouilles.. -14. L'île de Ruach ou les vaines disputes. 15. Le pays de Papefiguière : les protestants et leurs seigneurs. 16. Le lutin et le paysan. 17. Le pays de Papimanie: les adorateurs du pape. 18. Les décrétales. 19. Les paroles gelées.-20. Les marchands Moscovites et les Italiens.21. Messer Gaster.-22. L'estomac père de l'industrie.-23. Chaneph ou l'île des Hypocrites. Ganabin ou l'île des Voleurs. - 24. Quelques remarques sur le quatrième livre.

I.

Après la guerre de conquête et d'ambition, voici les guerres et les luttes religieuses, que Rabelais ne considère pas comme moins funestes à la recherche de la vérité. L'archipel des questions religieuses s'annonce par la rencontre de toute une flottille chargée de moines et de prêtres, que Pantagruel et ses amis aperçoivent en quittant les îles de Tohu et de Bohu. Elle se composait de neuf navires. Il y avait là des Jacobins, des Jésuites, des Capucins, des Er

mites, des Augustins, des Bernardins, des Célestins, des Théatins, des Egnatiens, des Amadéans, des Cordeliers, des Carmes, des Minimes, etc., etc. Ces saints religieux s'en allaient au conseil de Chésil pour discuter les articles de foi contre les nouveaux hérétiques.

Ici la désignation est claire. Ces moines, dont Rabelais se délecte à énumérer les différents noms, se rendent au concile de Trente. Chésil, qui désigne le lieu de la réunion, est le nom de l'astre qui, chez les Hébreux, annonçait la tempête. C'est donc une réunion de gens éclairés qui va déchaîner des tempêtes. Les conciles ont été plus d'une fois dans ce cas. Il suffit de citer le concile de Nicée, d'où sortit la longue guerre des catholiques et des ariens; le concile de Trente, d'où est sortie la séparation définitive des catholiques et des protestants, et, dans ces derniers temps, le concile du Vatican, qui a soulevé des passions non moins violentes et plus dangereuses encore pour l'église catholique.

Panurge, qui est excellent catholique, est au comble de la joie et regarde cette rencontre comme d'un bon augure. Il recommande son âme aux prières des bons pères, et il leur fait donner soixante-dix-huit douzaines de jambons, du caviar d'esturgeon, des boutarques, qui sont une autre sorte de caviar, des cervelas, et deux milles beaux angelots [pièces de monnaie à l'ange] pour les âmes des trépassés.

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Pantagruel ne partageait pas cette joie. Il restait pensif et mélancolique. Prévoyait il la tempête morale que la réunion des moines allait provoquer? Prévoyait-il la tempête physique qui menaçait la flottille? Frère Jean s'étonna de cette

attitude inaccoutumée et lui en demanda la cause. Le pilote à ce moment, considérant les voltigements du pavillon sur la poupe, ordonna à tout le monde de se tenir prêt à agir et annonça une tempête.

II.

Cette tempête de Pantagruel est célèbre. Dufresny la compare à la tempête de l'Odyssée et donne la préférence à Rabelais sur Homère. Un certain marquis de Culant (cité par Johanneau) s'est même amusé à la mettre en vers français. Si l'on voulait comparer la tempête de notre auteur à celle d'un autre poète, ce n'était pas dans l'antiquité qu'il fallait le chercher. Rabelais, qui a emprunté à Folengo l'histoire des moutons, lui a emprunté aussi les principales circonstances de sa tempête. Comme le récit de Folengo est plus court que celui de Rabelais, nous le placerons le premier. Il se trouve au livre XII, tome I, page 340 de l'édition précitée.

Desjà les cris, et clameurs des hommes touchoient jusques aux abysmes du ciel et oyt-on un grand bruit de cordes, et toute la mer ne monstre que signes de peur, faisant paroistre les couleurs de la mort. Les nues obscures volent, poussées par les diables noirs. Le ciel flamboye par esclairs, après lesquels Sudest [le vent] agite plus fort les vagues, jetant plus rudement ses bales. La Tramontane destache et deslie ses froids cheveux, et comme folle et lunatique, se fourre parmy les ondes. Les nautonniers en vain se travaillent de destacher les voiles; car la grande violence des vents leur en donne empeschement. Maintenant le Sud cruel a le dessus; maintenant le Nord est victorieux. La mer mugle, et les astres font lever les vagues. La fortune menace d'horrible mort les mariniers, lesquels pour n'avoir aucune espérance se tourmentent à force de crier, et se frappent la poitrine à coups de poing; mais Balde n'avoit pour lors aucune peur de la mort, il va

çà et là, exhortant tantost cestui-cy, tantost cestui-là; il donne secours au comite, au nautonnier, au patron; il excite un chacun, tourne et dresse le timon; il ne s'espargne aucunement; il commande icy; il fait cela; il conforte avec une voix hardie les couards; il lasche et roidist les cordes selon la volonté du patron; s'il ne les peut lascher, il les rompt. La tempeste surmontant tout l'effort des nautonniers renverse tout. Toutefois Balde n'ayant en teste ny bonnet, ny chapeau, asseure les uns et les autres, et leur dit qu'il ne se soucie d'estre noyé, moyennant que tous eschappent. Jà le Nord victorieux ayant mis ses compagnons sens dessus dessous, mugist, et luy seul offusque le monde de tenebres, et excite par ses efforts des montaignes du profond de la mer jusques aux estoilles, descouvrant les maisons et palais de l'enfer. Le navire désesperé gémit et pleure, et se rend las à la tempeste son ennemie, demandant pardon. Ostez, crioit le patron, ostez la voile, elle est trop mouillée, elle pese trop, l'arbre s'en ira à l'orce [à gauche, à babord] et se rompra à travers. Incontinent tous se diligentent pour obéir au commandement du patron; mais ils ne peuvent desmesler les cordes et chacun tombant pour le grand vent, n'en pouvait venir à bout. Balde habilement prend sa halebarde et d'un coup tranche neuf cables, et les voiles tombent soudain à bas.

III.

Cingar seul trembloit dans un coing. Les limes sourdes, les crochets, les tenailles ne luy servoyent pour lors de rien, ny les subtilitez d'un singe, ni les finesses d'un renard. La mort le presse partout; la mort cruelle le menace de tous costez; il fait infinis vœux à tous les saincts; il jure que le cancre luy vienne, s'il ne va tout deschaux par le monde, et vestu seulement d'un sac: il dit qu'il ira trouver Saint Danes en Agrignan, lequel vit encore sous la voûte d'une grande roche, et porte le cil de ses yeux pendant jusques sur les genoux; il promet aller vers les sabots et galoches, lesquels Ascense avoit autrefois portez, et lesquels furent prins en l'isle de Taprobane par les Portugais, et que là, il fera dire des messes par dix moines, et en outre, qu'il leur offrira un cierge aussi grand et pesant, comme est grand et pesant l'arbre du navire, s'il peut eschapper de ce danger; il confesse avoir dérobé, et

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