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HARPAGON.

Comment! J'en suis ravy, et je veux que tu prennes sur elle un pouvoir absolu. Oüy, tu as beau fuir, je luy donne l'authorité que le Ciel me donne sur toy, et j'entens que tu fasses tout ce qu'il te dira.

VALERE.

Aprés cela, resistez à mes remontrances! Monsieur, je vais la suivre pour luy continuer les leçons que je luy faisois.

HARPAGON.

Oüy, tu m'obligeras. Certes...

VALERE.

Il est bon de luy tenir un peu la bride haute. HARPAGON.

Cela est vray. Il faut...

VALERE.

Ne vous mettez pas en peine, je croy que j'en viendray à bout.

HARPAGON.

Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout à l'heure.

VALERE.

Oüy, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et vous devez rendre graces au Ciel de l'honneste homme de pere qu'il vous a donné. Il sçait ce que c'est que de vivre. Lors qu'on s'offre de prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là-dedans, et sans dot tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse et de probité.

Molière. VI.

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HARPAGON.

Ah! le brave garçon ! Voila parlé comme un oracle. Heureux qui peut avoir un domestique de

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ACTE II

SCENE PREMIERE.

CLEANTE, LA FLECHE.

CLEANTE.

Al tu a

H! traistre que tu es, où t'es-tu donc allé

LA FLECHE.

Oüy, Monsieur, et je m'estois rendu icy pour vous attendre de pied ferme ; mais Monsieur vostre pere, le plus mal-gracieux des hommes, m'a chassé dehors malgré moy, et j'ay couru risque d'estre battu.

CLEANTE.

Comment va nostre affaire? Les choses pressent plus que jamais, et, depuis que je ne t'ay veu, j'ay découvert que mon pere est mon rival.

LA FLECHE.

Vostre pere amoureux?

CLEANTE.

Oüy; et j'ay eu toutes les peines du monde à

luy cacher le trouble où cette nouvelle m'a mis. LA FLECHE.

Luy se mesler d'aimer! Dequoy diable s'aviset-il? Se moque-t-il du monde? et l'amour a-t-il esté fait pour des gens bastis comme luy?

CLEANTE.

Il a falu, pour mes pechez, que cette passion luy soit venuë en teste.

LA FLECHE.

Mais par quelle raison luy faire un mystere de vostre amour?

CLEANTE.

Pour luy donner moins de soupçon, et me conserver au besoin des ouvertures plus aisées pour détourner ce mariage. Quelle réponse t'a-t-on faite?

LA FLECHE.

Ma foy, Monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux, et il faut essuyer d'étranges choses lors qu'on en est reduit à passer, comme vous, par les mains des fesse-mathieux.

CLEANTE.

L'affaire ne se fera point?

LA FLECHE.

Pardonnez-moy. Nostre maistre Simon, le courtier qu'on nous a donné, homme agissant et plein de zele, dit qu'il a fait rage pour vous, et il assure que vostre seule phisionomie luy a gagné le cœur.

CLEANTE.

J'auray les quinze mille francs que je demande?

LA FLECHE.

Oüy, mais à quelques petites conditions qu'il faudra que vous acceptiez si vous avez dessein que les choses se fassent.

CLEANTE.

T'a-t-il fait parler à celuy qui doit prester l'argent? LA FLECHE.

Ah! vrayment, cela ne va pas de la sorte. Il apporte encore plus de soin à se cacher que vous, et ce sont des mysteres bien plus grands que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom, et l'on doit aujourd'huy l'aboucher avec vous dans une maison empruntée, pour estre instruit par vostre bouche de vostre bien et de vostre famille; et je ne doute point que le seul nom de vostre pere ne rende les choses faciles. CLEANTE.

Et principalement nostre mere estant morte, dont on ne peut m'oster le bien.

LA FLECHE.

Voicy quelques articles qu'il a dictez luy-mesme à nostre entremetteur, pour vous estre montrez avant que de rien faire.

Suposé que le presteur voye toutes ses seuretez, et que l'emprunteur soit majeur et d'une famille où le bien soit ample, solide, assuré, clair et net de tout embarras, on fera une bonne et exacte obligation pardevant un notaire, le plus honneste homme qu'il se pourra, et qui pour cet effet sera choisi par le presteur, auquel importe le plus que l'acte soit deuëment dressé.

CLEANTE.

Il n'y a rien à dire à cela.

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