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MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Deux carognes de baragoüineuses me sont venu accuser de les avoir épousé toutes deux, et me menacent de la justice.

SBRIGANI.

Voila une méchante affaire, et la justice en ce païs-cy est rigoureuse en diable contre cette sorte de crime.

MONSIEUR DE POURCEAUGnac.

Oüy; mais, quand il y auroit information, ajournement, decret et jugement obtenu par surprise, defaut et contumace, j'ay la voye de conflit de jurisdiction pour temporiser et venir aux moyens de nullité qui seront dans les procedures.

SBRIGANI.

Voila en parler dans tous les termes; et l'on voit bien, Monsieur, que vous estes du mestier. MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Moy? point du tout, je suis gentilhomme.
SBRIGANI.

Il faut bien, pour parler ainsi, que vous ayez étudié la pratique.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Point, ce n'est que le sens commun qui me fait juger que je seray toûjours receu à mes faits justificatifs, et qu'on ne me sçauroit condamner sur une simple accusation, sans un recollement et confrontation avec mes parties.

SBRIGANI.

En voila du plus fin encore.

MONSIEUR DE Pourceaugnac.

Ces mots-là me viennent sans que je les sçache.

SBRIGANI.

Il me semble que le sens commun d'un gentilhomme peut bien aller à concevoir ce qui est du droict et de l'ordre de la justice, mais non pas à sçavoir les vrays termes de la chicane.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Ce sont quelques mots que j'ay retenus en lisant les romans.

Ah! fort bien.

SBRIGANI.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Pour vous montrer que je n'entens rien du tout à la chicane, je vous prie de me mener chez quelque advocat pour consulter mon affaire.

SBRIGANI.

Je le veux, et vais vous conduire chez deux hommes fort habiles; mais j'ay auparavant à vous avertir de n'estre point surpris de leur maniere de parler ils ont contracté du barreau certaine habitude de declamation qui fait que l'on diroit qu'ils chantent, et vous prendrez pour musique tout ce qu'ils vous diront.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Qu'importe comme ils parlent, pourveu qu'ils me disent ce que je veux sçavoir?

SCENE XI.

SBRIGANI, M. DE POURCEAUGNAC, DEUX ADVOCATS MUSICIENS, DONT L'UN PARLE FORT LENTEMENT ET L'AUTRE FORT VISTE, ACCOMPAGNEZ DE DEUX PROCUREURS ET DE DEUX SER

GENS.

L'ADVOCAT, traisnant ses paroles.
La poligamie est un cas,
Est un cas pendable.
L'ADVOCAT bredoüilleur.
Vostre fait

Est clair et net,

Et tout de droit

Sur cet endroit

Conclut tout droit.

Si vous consultez nos autheurs,

Legislateurs et glossateurs,
Justinian, Papinian,
Ulpian et Tribonian,
Fernand, Rebuffe, Jean Imole,
Paul, Castre, Julian, Barthole,
Jason, Alciat et Cujas,

Ce grand homme si capable,
La poligamie est un cas,
Est un cas pendable.

Tous les peuples policez,

Et bien sensez,

Les François, Anglois, Hollandois,
Danois, Suedois, Polonois,
Portugais, Espagnols, Flamans,
Italiens, Allemans,

Sur ce fait tiennent loy semblable,
Et l'affaire est sans embarras:
La poligamie est un cas,

Est un cas pendable.

(Monsieur de Pourceaugnac les bat. Deux procureurs et deux sergens dancent une entrée qui finit l'acte.).

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ACTE III

SCENE PREMIERE.

ERASTE, SBRIGANI.

SBRIGANI.

UY, les choses s'acheminent où nous voulons;

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et, comme ses lumieres sont fort petites et son sens le plus borné du monde, je luy ay fait prendre une frayeur si grande de la severité de la justice de ce païs, et des aprests qu'on faisoit déja pour sa mort, qu'il veut prendre la fuite; et, pour se dérober avec plus de facilité aux gens que je luy ay dit qu'on avoit mis pour l'arrester aux portes de la ville, il s'est résolu à se déguiser, et le déguisement qu'il a pris est l'habit d'une femme.

ERASTE.

Je voudrois bien le voir en cet équipage.
SBRIGANI.

Songez de vostre part à achever la comedie; et, tandis que je joüeray mes scenes avec luy, allezvous-en... [Il lui parle à l'oreille.] Vous entendez bien ?

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