Page images
PDF
EPUB

Et, tandis que ton bras, des peuples redouté,
Va, la foudre à la main, rétablir l'équité,
Et retient les méchans par la peur des supplices,
Moi, la plume à la main, je gourmande les vices,
Et, gardant pour moi-mesme une juste rigueur,
Je confie au papier les secrets de mon cœur.
Ainsi, dés qu'une fois ma verve se réveille,
Comme on voit au printemps la diligente abeille
Qui du butin des fleurs va composer son miel,
Des sottises du temps je compose mon fiel.
Je vais de toutes parts où me guide ma veine,
Sans tenir en marchant une route certaine,
Et, sans gesner ma plume en ce libre métier,
Je la laisse au hazard courir sur le papier.

Le mal est qu'en rimant, ma muse, un peu legere,
Nomme tout par son nom et ne sçauroit rien taire.
C'est là ce qui fait peur aux esprits de ce temps,
Qui, tout blancs au dehors, sont tout noirs au dedans.
Ils tremblent qu'un censeur, que sa verve encourage,
Ne vienne en ses écrits démasquer leur visage,
Et, foüillant dans leurs moeurs en toute liberté,
N'aille du fond du puits tirer la verité.
Tous ces gens, éperdus au seul nom de satire,
Font d'abord le procez à quiconque ose rire.
Ce sont eux que l'on voit, d'un discours insensé,
Publier dans Paris que tout est renversé,

Au moindre bruit qui court qu'un auteur les menace De jouer des bigots la trompeuse grimace.

Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux;
C'est offenser les loix, c'est s'attaquer aux cieux.
Mais, bien que d'un faux zele ils masquent leur foiblesse,
Chacun voit qu'en effet la verité les blesse.
Envain d'un lâche orgueil leur esprit revétu
Se couvre du manteau d'une austere vertu,

Leur cœur, qui se connoist et qui fuit la lumiere,
S'il se mocque de Dieu, craint Tartuffe et Moliere.

Mais pourquoi sur ce point sans raison m'écarter? GRAND ROI, c'est mon défaut, je ne sçaurois flatter. Je ne sçai point au ciel placer un ridicule,

D'un nain faire un Atlas, ou d'un lâche un Hercule,
Et sans cesse en esclave à la suite des grands,
A des dieux sans vertu prodiguer mon encens.
On ne me verra point d'une veine forcée,
Mesme pour te loüer, déguiser ma pensée;
Et, quelque grand que soit ton pouvoir souverain,
Si mon cœur en ces vers ne parloit par ma main,
Il n'est espoir de biens, ni raison, ni maxime,
Qui pust en ta faveur m'arracher une rime.

Mais lorsque je te voi, d'une si noble ardeur,
T'appliquer sans relâche aux soins de ta grandeur,
Faire honte à ces rois que le travail étonne,
Et qui sont accablez du faix de leur couronne;

Quand je voi ta sagesse, en ses justes projets,
D'une heureuse abondance enrichir tes sujets,
Fouler aux pieds l'orgueil et du Tage et du Tibre,
Nous faire de la mer une campagne libre;
Et tes braves guerriers, secondant ton grand cœur,
Rendre à l'aigle éperdu sa premiere vigueur;
La France sous tes loix maistriser la fortune,
Et nos vaisseaux, domtant l'un et l'autre Neptune,
Nous aller chercher l'or, malgré l'onde et le vent,
Aux lieux où le soleil le forme en se levant :
Alors, sans consulter si Phébus l'en avouë,
Ma muse, toute en feu, me prévient et te louë.
Mais bien-tost la raison, arrivant au secours,
Vient d'un si beau projet interrompre le cours,
Et me fait concevoir, quelque ardeur qui m'emporte,
Que je n'ai ni le ton ni la voix assez forte.
Aussi-tost je m'effraye, et mon esprit troublé
Laisse là le fardeau dont il est accablé;
Et sans passer plus loin, finissant mon ouvrage,
Comme un pilote en mer qu'épouvante l'orage,
Dés que le bord paroist, sans songer où je suis,
Je me sauve à la nage et j'aborde où je puis.

SATIRES

« PreviousContinue »