RAND ROY, c'est vainement qu'abjurant la satire, Pour toy seul desormais j'avois fait vœu d'écrire, Dés que je prens la plume, Apollon, éperdu, Semble me dire: Arreste, insensé; que fais-tu? Sçais-tu dans quels perils aujourd'huy tu t'engages? Cette mer où tu cours est celebre en naufrages. Ce n'est pas qu'aisément, comme un autre, à ton char, Je ne pûsse attacher Alexandre et César; Qu'aisément je ne pûsse, en quelque ode insipide, T'exalter aux dépens et de Mars et d'Alcide; Te livrer le Bosphore, et, d'un vers incivil, Proposer au Sultan de te ceder le Nil. Mais, pour te bien loüer, une raison severe Me dit qu'il faut sortir de la route vulgaire ; Qu'aprés avoir joué tant d'auteurs differens, Phébus mesme auroit peur s'il entroit sur les rangs; Que, par Et, si ma muse enfin n'est égale à mon Roi, De quel front aujourd'hui vient-il sur nos brisées, Que répondrois-je alors? Honteux et rebuté, Habiller chez Francœur le sucre et la canelle. 1. Fameux epicier. J'imite de Conrart' le silence prudent; Malgré moi, toutefois, un mouvement secret Vient flatter mon esprit, qui se tait à regret. Quoi! dis-je, tout chagrin dans ma verve infertile, Des vertus de mon Roi spectateur inutile, Faudra-t-il sur sa gloire attendre à m'exercer Que ma tremblante voix commence à se glacer? Dans un si beau projet, si ma muse rebelle N'ose le suivre aux champs de l'Isle et de Bruxelle, Sans le chercher aux bords de l'Escaut et du Rhein, La paix l'offre à mes yeux plus calme et plus serein. Oüi, Grand Roi, laissons-là les sieges, les batailles; Qu'un autre aille en rimant renverser des murailles, Et, souvent sur tes pas marchant sans ton aveu, S'aille couvrir de sang, de poussiere et de feu. A quoy bon d'une muse au carnage animée Echauffer ta valeur, déja trop allumée? Jouïssons à loisir du fruit de tes bien-faits, 1. Fameux academicien qui n'a jamais rien écrit. Conseiller tres-sensé d'un roi tres-imprudent. - Je vais, lui dit ce prince, à Rome, où l'on m'appelle. - Quoi faire? — L'assieger. - L'entreprise est fort belle, Et digne seulement d'Alexandre ou de vous; Mais, Rome prise, enfin, Seigneur, où courons-nous? Du reste des Latins la conqueste est facile. - Sans doute on les peut vaincre ; est-ce tout? — La Sicile De là nous tend les bras, et bien-tost sans effort Syracuse reçoit nos vaisseaux dans son port. - Bornés-vous là vos pas? - Dés que nous l'aurons prise, Il ne faut qu'un bon vent et Carthage est conquise. Les chemins sont ouverts; qui peut nous arrester? – Je vous entens, Seigneur : nous allons tout domter; Nous allons traverser les sables de Libye, Asservir en passant l'Egypte, l'Arabie, Courir, delà le Gange, en de nouveaux païs, Faire trembler le Scythe aux bords du Tanaïs, Et ranger sous nos loix tout ce vaste hemisphere. Mais, de retour enfin, que pretendez-vous faire? - Alors, cher Cineas, victorieux, contens, Nous pourons rire à l'aise et prendre du bon temps. - Hé, Seigneur, dés ce jour, sans sortir de l'Epire, Du matin jusqu'au soir qui vous deffend de rire? » Le conseil estoit sage et facile à gouster. Pyrrhus vivoit heureux s'il eust pû l'écouter; C'est aux prélats de cour prescher la residence. Il est plus d'une gloire. Envain aux conquerans La Seine a des Bourbons, le Tibre a des Césars; 1. Titus. |