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Des fuccez fortunez du fpectacle tragique,
Dans Athenes nâquit la Comedie antique.
Là, le Grec né moqueur, par mille jeux plaifans
Diftila le venin de fes traits médifans.

*

Aux accez infolens d'une bouffonne joie,
La fageffe, l'efprit, l'honneur furent en proie.
On vit, par le public un Poëte avoué
S'enrichir aux dépens du merite joué,
Et Socrate par lui dans un chœur de nuées,
D'un vil amas de peuple attirer les huées.
Enfin de la licence on arresta le cours,
Le Magiftrat, des loix emprunta le fecours,
Et rendant par edit les Poëtes plus fages,
Deffendit de marquer les noms ni les vifages.
Theatre perdit fon antique fureur.
Comedie apprit à rire fans aigreur.

ns fiel & fans venin fceut inftruire & reprendre,
plût innocemment dans les vers de Menandre.
Chacun peint avec art dans ce nouveau miroir
S'y vit avec plaifir, & crût ne s'y point voir.
L'Avare des premiers rit du tableau fidele
D'un Avare fouvent tracé sur son modele ;
Et mille fois un Fat finement exprimé
Méconnut le portrait fur lui-mesme formé.

Que la Nature donc foit vostre eftude unique, Auteurs, qui pretendez aux honneurs du Comique. Quiconque voit bien l'Homme, & d'un efprit profond, De tant de cœurs cachez a penetré le fond:

Qui fçait bien ce que c'eft qu'un Prodigue, un Avare;
Un honnefte Homme, un Fat, un Jaloux, un Bizarre,
Sur une fcene heureuse il peut les eftaler,
Et les faire à nos yeux vivre, agir, & parler.
Prefentez-en par tout les images naïves:

Que chacun y foit peint des couleurs les plus vives.
La Nature feconde en bizarres portraits,
Dans chaque ame eft marquée à de differens traits.

Les Nuées Comedie d'Ariftoph.

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Un

Un gefte la découvre, un rien la fait paroiftre:
Mais tout efprit n'a pas des yeux pour la connoiftre.
Le Temps qui change tout, change auffi nos humeurs.
Chaque Age a fes plaifirs, fon efprit, & fes mœurs.
Un jeune homme toûjours bouillant dans fes caprices
Eft promt à recevoir l'impreffion des vices,

Eft vain dans fes discours, volage en fes defirs,
Retif à la cenfure, & fou dans les plaisirs.

L'Age viril plus meur, infpire un air plus fage,
Se pouffe auprés des Grands, s'intrigue, fe ménage,
Contre les coups du fort, fonge à fe maintenir,
Et loin dans le prefent regarde l'avenir.

La vieilleffe chagrine inceflamment amaffe,
Garde, non pas pour foi, les trefors qu'elle entaffe,
Marche en tous fes deffeins d'un pas lent & glacé,
Toûjours plaint le prefent, & vante le paffé,
Inhabile aux plaisirs, dont la jeunesse abuse,
Blâme en eux les douceurs, que l'Age lui refuse.
Ne faites point parler vos Acteurs au hazard,

Un vieillard en jeune Homme, un jeune Homme en vieillard.

Eftudiez la Cour, & connoiffez la ville,
L'une & l'autre eft toûjours en modeles fertile.
C'eft par là que Moliere illuftrant fes écrits
Peut-eftre de fon Art eût remporté le prix ;
Si moms ami du peuple en fes doctes peintures,
Il n'euft point fait fouvent grimacer fes figures,
Quitté pour le bouffon, l'agreable & le fin,
Et fans honte à Terence allié Tabarin.
Dans ce fac ridicule où* Scapin s'enveloppe,
Je ne reconnois plus l'Auteur du Mifanthrope.

Le Comique ennemi des foûpirs & des pleurs
N'admet point en fes vers de tragiques douleurs :
Mais fon emploi n'eft pas d'aller dans une place,
De mots fales & bas charmer la populace.

Il faut que fes Acteurs badinent noblement: Que fon noeud bien formé se dénouë aisément :

Comedie de Moliere.

Que

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Que l'Action marchant où la raison la guide,
Ne fe perde jamais dans une Scene vuide:
Que fon ftile humble & doux fe releve à propos :
Que fes difcours par tout fertiles en bons mots
Soient pleins de paffions finement maniées;
Et les fcenes toûjours l'une à l'autre liées.
Aux dépens du Bon fens gardez de plaisanter.
Jamais de la Nature il ne faut s'écarter.
Contemplez de quel air, un Pere dans Terence
Vient d'un Fils amoureux gourmander l'impudence
De quel air cet Amant écoute fes leçons,

Et court chez fa Maistreffe oublier ces chansons.
Ce n'eft pas un portrait, une image semblable;
C'eft un Amant, un Fils, un Pere veritable.
J'aime fur le Theatre un agreable Auteur
Qui, fans fe diffamer aux yeux du Spectateur,
Plaift par la raifon feule, & jamais ne la choque."
Mais pour un faux Plaifant, à groffiere équivoque,'
Qui pour me divertir n'a que la faleté ;

Qu'il s'en aille, s'il veut, fur deux treteaux monté,
Amufant le Pont-neuf de fes fornetes fades,
Aux Laquais affemblez joüer fes Mascarades.

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Ans Florence jadis vivoit un Medecin,

Dans un affaffin.

Lui feul y fit long-temps la publique mifere.
Là le fils orphelin lui redemande un Pere.
Ici le Frere pleure un Frere empoisonné.
L'un meurt vuide de fang, l'autre plein de fené.
Le rhûme à fon afpect fe change en pleurefie;
Et par lui la migraine eft bien-toft phrenefie.
11 quitte enfin la ville en tous lieux detefté.
De tous fes Amis morts un feul Ami refté
Le mene en fa maifon de fuperbe structure;
C'eftoit un riche Abbé fou de l'architecture:
Le Medecin d'abord femble né dans cet art:

Déja de bâtimens parle comme Manfard:
D'un falon qu'on éleve il condamne la face:
Au veftibule obfcur, il marque une autre place :
Approuve l'escalier tourné d'autre façon.
Son Ami le conçoit & mande fon Maçon.
Le Maçon vient, écoute, approuve & fe corrige.
Enfin, pour abreger un fi plaifant prodige,
Noftre Affaffin renonce à fon art inhumain,
Et deformais la regle & l'équierre à la main,
Laiffant de Galien la fcience fufpecte,

De méchant Medecin devient bon Architecte.
Son exemple eft pour nous un precepte excellent.
Soiez plûtoft Maçon, fic'eft voftre talent,
Ouvrier eftimé dans un art neceffaire,
Qu'Ecrivain du commun & Poëte vulgaire.
Il eft dans tout autre Art des degrez differens.
On peut avec honneur remplir les feconds rangs:
Mais dans l'Art dangereux de rimer & d'écrire,
Il n'eft point de degrés du mediocre au pire.
Les vers ne fouffrent point de mediocre Auteur
Ses écrits en tous lieux font l'effroi du Lecteur,

Con

Contre eux dans le Palais les boutiques murmurent,
Et les ais chez Billaine * à regret les endurent.
Un Fou du moins fait rire & peut nous égaier:
Mais un froid Ecrivain ne fçait rien qu'ennuier,
J'aime mieux Bergerac † & fa burlesque audace,
Que ces vers où Motin fe morfond & nous glace.
Ne vous enyvrez point des éloges flateurs
Qu'un amas quelquefois de vains Admirateurs
Vous donne en ces Reduits prompts à crier, merveille:
Tel écrit recité fe foûtient à l'oreille,

Qui dans l'impreffion au grand jour fe montrant,
Ne foûtient pas des yeux le regard penetrant.
On fçait de cent Auteurs l'avanture tragique :
Et Gombaut tant loüé garde encor la boutique.
Ecoutez tout le monde, affidu confultant.
Un Fat quelquefois ouvre un avis important.
Quelques vers toutefois qu'Apollon vous infpire,
En tous lieux auffi-toft ne courez pas les lire.
Gardez-vous d'imiter ce Rimeur furieux
Qui de fes vains écrits lecteur harmonieux
Aborde en recitant quiconque le faluë,
Et pourfuit de les vers les Paffans dans la ruë.
Il n'eft Temple fi faint des Anges respecté,
Qui foit contre fa Mufe un lieu de feureté.

Je vous l'ai déja dit, aimez qu'on vous cenfure,
Et fouple à la raison corrigez fans murmure.
Mais ne vous rendez pas dés qu'un Sot vous reprend.
Souvent dans fon orgueil un fubtil Ignorant
Par d'injuftes dégoufts combat toute une Piece,
Blâme des plus beaux vers la noble hardieffe.
On a beau refuter fes vains raifonnemens :
Son efprit fe complaift dans fes faux jugemens,
Et fa foible raifon de clarté dépourveuë,
Penfe que rien n'échappe à fa debile veuë.
Ses confeils font à craindre, & fi vous les croyés,
Penfant fuir un écueil, fouvent vous vous noyés.

G 2

Fai

*Fameux Libraire. † Cyrano Bergerac Auteur du voiage de la

Lune.

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