Albe (a), où j'ai commencé de respirer le jour, La pensée est naïve, quand l'objet qu'elle représente, s'offre à l'esprit, sans que celuici paroisse l'avoir cherché. Elle consiste, dit. le P. Bouhours (1), dans je ne sais quel air simple et ingénu, mais spirituel et raisonnable, tel qu'est celui d'un villageois de bon sens, ou d'un enfant qui a de l'esprit. En voici un exemple dans ce quatrain de Gombaud : Colas est mort de maladie : Tu veux que j'en pleure le sort. Hélas! que veux-tu que j'en die ?/ Colas vivoit, Colas est mort. Telle est encore la pensée de cette épitapar Scarron. phe, faite Même il auroit donné bataille, Il parloit fort bien de la guerre, Il y a cependant une certaine finesse dans la pensée de cette épitaphe, et sur-tout dans celle du quatrain : mais c'est une finesse qui n'exclut point la naïveté. Voici une petite pièce de vers, qui finit par un trait vraiment naïf. Un vieil ivrogne ayant trop bu d'an coup, Il ne faut pas confondre la pensée naïve avec la pensée naturelle. Celle-ci réprésente toujours un objet qui s'est trouvé dans le fond du sujet qu'on traite. Elle est née, pour ainsi dire du sujet même, parce qu'elle s'y rapporte entièrement et directement. Il semble au lecteur qu'il l'avoit dans la tête, avant de la lire, et que par conséquent elle n'a exigé aucun effort de la part de l'écrivain. Mais quoiqu'elle fût dans le sujet, il n'a pas été bien facile à celui-ci de l'y voir et de l'en tirer. Toute pensée naïve est naturelle : mais toute pensée naturelle n'est pas naïve, parce que le naturel peut avoir quelque chose de grand, de sublime; au lieu que le naïf a toujours quelque chose de petit ou de moins élevé. Verrès, citoyen romain, exerçant en Sicile la préture, charge qui consistoit à rendre la justice, vouloit s'approprier les colosses de Cérès (a) et de Triptolême (b). Mais il ne put les faire emporter à cause de leur énorme pesanteur. Cicéron, dans une de ses oraisons contre ce concussionnaire, dit de ces statues: leur beauté les mit en danger d'être prises; leur grandeur les sauva. Voilà une pensée naturelle, tirée du fond de la chose, qui n'a absolument rien d'étranger au sujet, et qui paroît n'avoir rien coûté à l'orateur. Celle-ci de Mainard, sur la mort d'un enfant, ne l'est pas moins. On doit regretter sa mort, Le siècle est si vicieux, Voyez encore celle-ci du même auteur (a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume. (b) Voyez ce mot, ibid. sur un père, affligé de la mort de sa fille. Le père s'adresse au ciel. Hate ma fin que ta rigueur differe; Je hais le monde et n'y prétends plus rien. Les pensées qui portent en elles-mêmes de l'agrément, n'ont pas besoin d'être ornées par l'expression. Elles doivent être rendues telles qu'elles se présentent à l'esprit de l'écrivain. Les mots sonores et brillans affoibliroient souvent une pensée forte. Si vous ajoutez à une pensée hardie des expressions magnifiques et pompeuses; vous la rendrez outrée. Si vous embellisssz une pensée naïve, une pensée vive, l'une et l'autre cesseront de l'être. Mon ami n'est plus; et je vis encore ! voilà une pensée vive. Si vous dites: mon ami est descendu dans le sombre empire des morts; et je jouis encore de la lumière ! elle sera traînante; elle aura perdu toute sa vivacité. Pensées re- Il y a des pensées qui n'ont par elleslevées par mêmes d'autre mérite que celui de la vésion. rité. Ces sortes de pensées se présentent en l'expres foule à tout homme d'un sens droit, et naissent sans effort du sujet que traite l'écrivain. Elles sont simples, communes et souvent triviales. Il faut nécessairement les revêtir des ornemens de l'expression, pour leur donner un certain air de nouveauté, de grandeur, de noblesse, ou un autre agrément quelconque. Si l'écrivain sacré avoit dit simplement du conquérant le plus re nommé qui ait jamais existé, du grand Alexandre: il fut le maître de la terre; cette pensée n'auroit par elle-même rien de fort ni d'éclatant. Mais il dit, la terre se tut en sa présence; et cette expression donne à la pensée de la vivacité, de l'énergie et de la grandeur. Si Salluste avoit dit simplement de ce Mithridate, qui disputa pendant trente ans l'empire de l'Asie aux Romains : il avoit une grande taille; sa pensée auroit été commune. Mais en disant que ce capitaine étoit armé d'une grande taille, il la rend noble et hardie. Rien de plus vrai, de plus juste, mais en même temps de plus simple et de plus commun que cette pensée, la mort n'épargne personne. Voyez comme Horace la relève, et la rend, en quelque façon, neuve. La mort, dit-il, renverse également les palais des rois, et les cabanes des pauvres. Une autre pensée vraie, mais commune, et toutà-fait dénuée d'agrémens, est celle ci: le chagrin ne dure pas toujours. Notre Lafontaine lui donne de l'élévation et de l'éclat, en la présentant sous cette image charmante : Sur les ailes du temps (a) la tristesse s'envole. Il ne me reste à faire qu'une courte, mais assez importante observation concernant les pensées; c'est que le fond en est presque toujours le même dans tous les écrivains qui traitent le même sujet. La seule manière (a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume. |