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Il y a aussi ellipse dans ce beau vers de Racine:

Je t'aimois inconstant ; qu'aurai-je fait fidèle !

c'est-à-dire ; je t'aimois, quoique tu fusses inconstant: qu'aurai-je fait, si tu avois été fidèle ! Voilà, dit l'abbé d'Olivet, de toutes les ellipses que Racine s'est permises, la plus forte et la moins autorisée par l'usage. Mais, continue-t-il, ce qui rend l'ellipse, non-sculement excusable, mais digne même de louange, c'est lorsqu'il s'agit, comme ici, de s'exprimer vivement, et de renfermer beaucoup de sens en peu de paroles, sur-tout lorsqu'une violente passion agite la personne qui parle. Hermione, dans son transport, voudroit pouvoir dire plus de choses, qu'elle n'articule de syllabes.

On trouvera encore plusieurs ellipses dans ces vers du même Poëte:

Mes soldats presque nus dans l'ombre intimidés;
Les rangs de toutes parts mal pris et mal gardés;

Le désordre par-tout redoublant les alarmes ;
Nous-mêmes contre nous tournant nos propres armes ;
Des éris que les rochers renvoyoient plus affreux;
Enfin toute l'horreur d'un combat ténébreux;
Que pouvoit la valeur dans ce trouble funeste?

Les substantifs sujets, soldats, rangs, cris,
horreur, dont le verbe est sous-entendu, for-
ment autant d'ellipses.

Le Pléonasme ou surabondance, est op- Pléonasm posé à l'ellipse, et a quelques mots de plus qu'il ne faut; comme, entendre de ses

oreilles; voir de ses yeux, etc. Voltaire a

dit:

Les éclairs sont moins prompts : je l'ai vu de mes yeux,
Je l'ai vu qui frappoit ce monstre audacieux.

Cette figure de construction consiste aussi dans la réduplication (ou répétition) du régime ou du sujet du verbe. Racine nous en fournit ces exemples:

Et que m'a fait à moi cette Troie où je cours?...
Moi-même, pour tout fruit de mes soins superflus,
Maintenant je me cherche et ne me trouve plus.....
Un Roi sage, ainsi Dieu l'a prononcé lui-même,
Sur la richesse et l'or ne met point son appui.

Il faut avoir soin de n'employer le pléonasme, que quand il doit donner au discours, ou plus de grâce, ou plus de netteté, ou plus d'énergie. S'il ne produit point cet effet, il est vicieux.

Hyperbate. L'Hyperbate on inversion, est un tour particulier, qu'on donne à une phrase, et qui consiste principalement à faire précéder des mots ou une proposition, par d'autres, qui, dans l'ordre naturel, auroient dû les suivre := déjà prenoit l'essor , pour se sauver dans les montagnes, cet aigle, dont le volhardi avoit d'abord effrayé nos provinces:

le tribut d'admiration qui est refusé aux grands hommes par leurs contemporains, la postérité sait le leur rendre. La construction naturelle de ces phrases est : cet aigle, dont le vol hardi avoit d'abord effrayé nos provinces, prenoit déjà l'essor, pour se sauver

dans les montagnes. = La postérité sait rendre aux grands hommes le tribut d'admiration, qui leur est refusé par leurs contemporains. Mais on voit bien que ces phrases ainsi construites, ont moins de vivacité, de grâce et d'harmonic que les premières. Aussi emploie-t-on souvent cette figure, en plaçant le sujet après le verbe, ou le régime avant le sujet et le verbe.

lage.

L'Hyppallage est une figure par laquelle, Hyppalon fait un changement dans quelques expressions. Dire, par exemple: il n'avoit point de souliers dans ses pieds, au lieu de dire, il n'avoit point les pieds dans ses souliers, c'est, suivant l'Académie, faire une hyppallage.

SECTION II.

De l'Art d'écrire agréablement.

L'ELOCUTION est en général l'expression de la pensée par la parole. On écrit agréablement, quand on flatte l'oreille et l'esprit par les charmes d'une belle élocution, c'est-à-dire, par les ornemens dont on embellit ses pensées. Ces ornemens devant être choisis et distribués à propos, il est important de les connoître d'une manière particulière, pour savoir où, quand, et comment il faut les employer. D'ailleurs, cette étude que nous faisons des divers agrémens qu'on peut répandre dans le discours, nous

donne occasion de lire et d'admirer les plus beaux morceaux des meilleurs Ecrivains; ce qui la rend tout-à-la-fois infiniment utile et agréable.

On peut rapporter tout ce qu'il y a d'essentiel à dire sur l'élocution, à deux objets principaux, dont je vais traiter séparément : ce sont, 1o. le style; 2°. ses différentes espèces.

E

CHAPITRE I.

Du Style.

Le mot style, qui vient du latin stylus, désignoit autrefois l'aiguille, dont on se servoit, pour graver les lettres sur des écorces d'arbre, ou sur des tablettes enduites de cire. Elle étoit pointue par un bout, et aplatie par l'autre, pour qu'on pût effacer, quand on le vouloit. Ce mot signifie aujourd'hui la manière dont nous rendons nos pensées. Voyons d'abord en quoi elles consistent, et quelles en sont les qualités.

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Définition Penser c'est former dans son esprit la et qualités peinture d'un objet spirituel ou sensible. despensées. Ainsi les pensées sont les images des choses. La vérité est une qualité qui leur est essentielle, et qui en fait le fondement et la solidité. Une peinture n'est véritable, qu'autant qu'elle est ressemblante. Il en est de même d'une pensée : elle n'est vraie dans l'esprit de celui qui écrit, et conséquem

ment ne se montre telle aux yeux du lecteur, que quand l'image que l'écrivain se forme d'un objet, représente fidèlement cet objet avec ses propriétés. Si cette image le représente tout entier, dans toute son étendus, alors la pensée est vraie, de quelque côté qu'on la considère; et c'est ce qui en fait la justesse.

Pour donner à une pensée cette vérité, cette justesse que la raison exige, il faut que l'écrivain saisisse et marque le rapport, ou la disconvenance des idées dont elle est composée; c'est-à-dire, la convenance ou l'opposition qu'a l'objet dont il se forme une image, avec d'autres objets, soit sensibles, soit intellectuels. La terre est ronde. Voilà une pensée vraie : elle marque le rapport et la convenance qu'il y a entre l'idée de terre et l'idée de rondeur. Le menteur n'est pas estimable. Voilà encore une pensée vraie: elle marque la disconvenance et l'opposition qu'il y a entre l'idée de menteur et l'idée d'estime.

agrémens

liers.

Il y a des pensées qui ont un caractère Pensées propre, ou des agrémens particuliers qui les qui ont des distinguent. Les unes doivent ce caractère particu à la nature même de l'objet. Quand il est noble, grand, sublime, triste, gracieux, etc., la pensée l'est aussi. Les autres ont par elles-mêmes des agrémens, tels que la force, la hardiesse, la vivacité, la finesse, la naïveté, etc.

La pensée est forte, lorsque l'objet qu'elle représente, fait une profonde impression dans l'esprit. Telle est celle-ci de

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