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Ce seroit faire un barbarisme, que de dire : je n'ai pas vu personne : je ne connois point aucun homme je ne veux pas rien faire qui vous déplaise. Il faudroit dire: je n'ai vu personne : je ne connois aucun homme : je ne veux rien faire qui vous déplaise.

Ce seroit aussi une faute de dire: il ne mange point, ni ne boit. Il faudroit supprimer point, et dire: il ne mange ni ne boit. Si ces verbes étoient employés dans des temps composés, il faudroit, de plus, répéter la conjonction ni avant chaque verbe, et dire: il n'a ni mangé ni bu.

Toutes les fois qu'il y a dans une phrase plusieurs choses liées ensemble, auxquelles on veut rendre la négation commune, les bons grammairiens exigent qu'en supprimant point, on répète la conjonction ni avant chacune de ces choses. Ainsi l'on doit dire : il n'aime ni le jeu ni la table. Un supérieur ne doit être ni trop sévère ni trop indulgent. Il y a donc une faute dans cette phrase de l'abbé Millot : ce pontife n'en devint pas moins fier, ni moins intrépide. Il falloit dire: ce pontife n'en devint ni moins fier, ni moins intrépide.

La même faute se trouve dans ces vers de Voltaire :

11 n'a point affecté l'orgueil du rang suprême, Ni placé sa tiare auprès du diadême.

:

il auroit fallu répéter la conjonction ni, et dire il n'a ni affecté l'orgueil du rang suprême, ni placé sa tiare auprès du diademe. En effet si l'on se rappelle ici que

ni est une conjonction copulative, qui lie avec négation, on peut voir aisément que dans ces deux vers, il y a deux idées, dont la liaison doit être marquée par cette conjonction. Or, il faut annoncer cette liaison dès le commencement, en exprimant la première idée; parce que sans cela, le sens paroîtroit completaprès ce premier membre de la phrase, il n'a point affecté l'orgueil du rang suprême, puisqu'il ne laisseroit rien à desirer. Au lieu que si vous dites, il n'a ni affecté l'orgueil da rang suprême, cette conjonction ni rend lé sens suspendu, annonçant une autre idée, qui doit suivre, et avec laquelle la première est liée.

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On supprime encore pas et point, après, depuis que; il y a... que, si le verbe qui suit ces expressions adverbiales, est au passé. On dira donc depuis que je ne l'ai vu; depuis que je ne le vois point: il y a six mois que je ne l'ai vu; il y a six mois que je ne le vois point.

Pas et point ne doivent jamais être employés après le verbe savoir pris dans le sens de pouvoir: je ne saurois en venir à bout, pour, je ne puis en venir à bout. On les supprime avec élégance après les verbes cesser, oser, et pouvoir : il n'a cessé de gronder : on n'ose l'aborder: je ne puis me taire. Supprimez aussi pas et point avant que mis pour seulement. Crebillon a fait une faute, en disant :

Car il n'a point dû voir l'ennemi qui m'offense, Que pour venger ma gloire ou trahir ma vengeance. Il auroit fallu, il n'a du voir l'ennemi,

On connoît assez par l'usage les différentes manières d'employer la conjonction que. Je me bornerai donc à dire que quand ce mot est mis pour combien, il est particule. Alors l'adjectif ne doit pas être précédé de très, bien, fort. Il y a une faute dans ce vers de Crebillon:

Que cet heureux instant me doit être bien doux !

Il auroit fallu, que cet heureux instant me doit être doux!

ARTICLE VIII.

Du Gallicisme et des figures de construction.

On entend par gallicisme, une construction propre et particulière à la langue française. Cette construction est contraire aux règles communes de la grammaire : mais elle est autorisée par l'usage. Le jour va finir, pour dire, le jour est sur le point de finir. Je viens de le quitter, pour dire, il y a très-peu de temps, il n'y a qu'un mcment que je l'ai quitté. Les bonnes gens sont aisés à tromper, pour dire, à être trompés, ou, il est aisé de tromper les bonnes gens. Voilà des expressions qui sont des gallicismes.

La conjonction que, jointe au verbe être, forme aussi un gallicisme : c'est à vous que je parle : étoit-ce à un homme si étourdi, que vous deviez confier votre secret ?

Voici deux gallicismes tirés d'une tragédie de Racine.

Avez-vous pa penser qu'au sang d'Agamemnon (a), Achille (b) préférát une fille sans nom,

Qui, de tout son destin ce qu'elle a pu comprendre, C'est qu'elle sort d'un sang qu'il brûle de répandre.

Ce qui, dont le verbe ne paroît point, est un gallicisme.

Je ne sai qui m'arrête et retient mon courroux,
Que par un prompt avis de tout ce qui se passe,
Je ne coure des Dieux divulguer la menace.

Je ne sai qui m'arrête; que je ne coure forment encore un gallicisme. Ces sortes de constructions rendent souvent la diction aisée, vive, naturelle, comme on le voit dans les charmantes lettres de madame de Sévigné. Il faut cependant les employer rarement et avec goût. Le trop grand usage deviendroit un abus, qu'on ne pourroit pas justifier, même dans un bon ouvrage.

Les figures de construction sont des irrégularités dans la grammaire, quoiqu'elles soient quelquefois des beautés et des perfections dans la langue. On en compte cinq; la

(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.

(b) Voyez ce mot, ibid.

Syllepse.

Ellipse.

syllepse, l'ellipse, le pléonasme, l'hyperbate, et l'hyppallage.

La Syllepse ou conception, s'accorde plus avec notre pensée, qu'avec les mots du discours; comme quand nous disons: il est six heures, au lieu de dire suivant les règles: elles sont six heures. Nous ne prétendons alors que marquer un temps précis, et une seule de ces heures, savoir la sixième, qui est l'objet de notre pensée. Racine a employé cette figure dans ces vers :

Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge, Vous souvenant, mon fils, que caché sous ce lin, Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin. Et Fénélon dans cette phrase: il commence à faire sortir sa jeunesse lacédémonienne encore à demi-désarmée : mais l'ennemi ne les laisse point respirer. Le pronom eux dans le premier exemple, et le pronom les dans le second forment une syllepse, parce qu'ils se rappor tent à l'idée, et non aux mols.

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L'Ellipse ou défaut, est le retranchement d'un ou de plusieurs mots, autorisé par l'usage: =puissiez-vous être heureux! c'est-à-dire, souhaite que vous soyez heureux qu'il fasse le moindre excès, il tombe malade, c'est-à-dire, s'il arrive qu'il fasse le moindre excès, etc.

je

Boileau a fait une ellipse, én disant :

Ecrive qui voudra : chacun à ce métier,
Peut perdre impunément de l'encre et du papier.
c'est-à-dire ; que celui qui voudra écrire,
écrive.

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