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Il n'en serait pas de même en Algérie, où les ouvriers étrangers sont aussi nombreux pour le moins que les ouvriers français, et n'ont que trop tendance, sur tous les chantiers et dans tous les corps d'état, à supplanter la main-d'oeuvre française et à la remplacer par leurs parents et amis qu'ils font venir d'Espagne et d'Italie, et qui travaillent au rabais.

Fatalement, les Compagnies d'assurances élèveront leurs primes lorsqu'il s'agira d'ouvriers français, ou les abaisseront en faveur des étrangers, et l'application de cette loi, attendue comme un bienfait par tous les travailleurs, aura pour premier résultat de faire exclure de tous les chantiers les ouvriers français, qu'il sera facile de remplacer par des étrangers célibataires et sans aucune famille en Algérie.

Ce seront ceux-là qui coûteront le moins cher à assurer, ou qui feront courir à l'employeur le plus petit risque.

C'est l'exode forcé de tous les ouvriers français, soit d'origine, soit naturalisés, qui ne trouveront plus de travail dans toutes les industries qui se rattachent au bâtimsnt en particulier.

Ceci est absolument indiscutable, car 3 entrepreneurs auxquels j'ai posé cette question m'ont fait la même réponse :

«Si la loi est appliquée comme en France, nous ne pouvons « plus employer d'ouvriers français ».

Et qu'on ne vienne pas parler de patriotisme; le jour où un entrepreneur n'employant que de jeunes étrangers pourra soumissionner ou exécuter des travaux, à prix inférieur à son concurrent n'occupant que des français, ce dernier sera bien forcé de faire de même, et sur cette terre d'Algérie, il n'y aura plus de place pour les ouvriers français !

Voilà quel sera le résultat fatal de l'application à l'Algérie de la loi sur les accidents du travail telle qu'elle fonctionne en France et telle qu'elle est demandée par la Chambre de Commerce d'Alger et le Syndicat commercial des entrepreneurs, avec l'appui de M. Colin, notre député, suivant les termes mêmes de sa lettre au rapporteur de la Commission à la Chambre

M. Puech, rapporteur du projet de loi, a bien compris le péril, et il propose que tous les ouvriers français ou étrangers fassent courir à l'employeur un risque égal. Mais, en cas d'accident, la victime, si elle est étrangère, ne toucherait que ce qui lui serait alloué en France, et le surplus serait versé à une caisse de bienfaisance.

Ce système plaçant ainsi tous les travailleurs sur le même rang et faisant courir à l'employeur le même risque, quelle que soit la nationalité de l'employé, serait déjà pour l'élément francais une protection sérieuse.

S'il nous était permis d'exprimer aussi notre sentiment, nous demanderions que, par dérogation à la loi française, tous les ouvriers français ou étrangers soient traités exactement de la même façon en Algérie en cas d'accident.

Est-ce que nous n'hospitalisons pas de nombreux étrangers, et cela de la façon la plus généreuse, les traitant comme nationaux ?

nos

Pourquoi faire une distinction, si une infirmité grave ou la mort vient frapper un travailleur ?

C'est l'honneur même de la France de n'avoir jamais connu de frontières en présence de la misère ou du malheur.

Le système de M. le Rapporteur aurait encore un autre inconvénient, ce serait d'inciter tous les travailleurs étrangers à se faire naturaliser par intérêt, afin de profiter de tous les avantages que la loi sur les accidents réserverait aux seuls français, et nous verrions ainsi noyer encore davantage le faible noyau des français d'origine,

En envisageant cette question, uniquement au point de vue du développement de l'élément français en Algérie, que nous désirons ardemment, nous ne pouvons que protester contre l'opinion. exprimée par la Chambre de Commerce, le syndicat commercial des entrepreneurs et les quelques industriels dont notre député appuie le dire, dans sa lettre à M. Puech, rapporteur.

L'argument dont se servent les « Employeurs » est singulier: Ils prétendent que l'industrie algérienne serait en état d'infériorité si les idées de M. Puech venaient à prévaloir à la Chambre. C'est une erreur complète ces industriels seront dans les mêmes conditions que leurs concurrents de France qui paient une prime égale pour tous leurs ouvriers, quelle que soit leur nationalité.

Au surplus, il est bon de faire remarquer qu'il n'y a pas d'industrie algérienne d'exportation.

La seule industrie importante est celle du bâtiment et de tous les corps d'état qui s'y rattachent.

Si les idées exposées par la Chambre de Commerce et le Syndicat commercial étaient adoptées par la Chambre des députés, ce seraient les employeurs algériens qui se trouveraient privilégiés, employant exclusivement la main-d'œuvre étrangère à prix réduit, (M. le député Colin le reconnait dans sa lettre), et payant une prime d'assurance moins élevée qu'en France ou courant un risque moindre qu'en France, s'ils restent leurs propres assureurs.

Nous avons confiance dans la clairvoyance de M Puech, rapporteur, et de la Chambre tout entière.

Ils n'abandonneront certainement pas les intérêts de tous les travailleurs français en Algérie, qui n'auraient plus qu'à céder la place à des étrangers, si l'opinion exprimée par la Chambre de Commerce et le Syndicat des entrepreneurs venait à prévaloir.

Nous demandons fraternellement le même traitement en Algérie en cas d'accident, quelque que soit la nationalité de la victime.

Alger, le 22 Janvier 1907.

Le Rapporteur,

EM. KIMPFLIN.

-

M. LARCHER. La question traitée dans ce rapport me parait complexe. Il me semble que la discussion gagnerait en clarté si on divisait un peu.

Il y a d'abord le principe même de la loi, le risque professionnel. Est-il bon ? Mérite-t-il d'être étendu à l'Algérie ?

Puis, on trouvera en Algérie des catégories d'ouvriers autres ou plus nombreux qu'en France, ce qui peut faire naître des difficultés particulières auxquelles il faudra parer par des dispositions spéciales. Ainsi en est-il des étrangers, qui ne sont en France qu'un petit nombre, qui seront ici la majorité. Ne faudra-t-il pas à leur égard légiférer autrement que pour la France ? C'est précisément le point sur lequel a porté principalement l'exposé de M. Kimpflin.

Il y a aussi les indigènes. On dit que leur main-d'œuvre est particulièrement maladroite, ce qui entrainerait pour les patrons ou les assureurs un risque bien plus grand.

Enfin, ne doit-on pas considérer que l'ensemble des entrepreneurs d'Algérie présente moins de surface que les industriels et commerçants de la Métropole? De ce chef, il semble que la garantie de l'Etat doive avoir plus fréquemment à être mise en jeu.

C'est sur ces quatre points que la discussion doit successivement porter.

Je remercie les personnes étrangères à la Société qui ont bien voulu accepter notre invitation et nous faire béneficier de leurs connaissances particulières en la matière.

M. DELORME. — C'est avec un grand plaisir que j'ai accepté votre invitation. Mais il est bien entendu qu'ici je n'ai aucun caractère officiel, et les opinions que j'émettrai sont purement personnelles.

J'appelle tout d'abord votre attention sur l'article 1er du projet, qui porte application à l'Algérie, du principe, de toute la législation métropolitaine sur les accidents du travail, ce qui implique l'application non seulement des lois déjà existantes, mais aussi de celles qui pourront intervenir par la suite. Et notamment, la Chambre est saisie d'un projet étendant à l'agriculture la théorie du risque professionnel. J'ignore ce que serait l'application à l'agriculture en Algérie de la législation actuelle sur les accidents du travail.

Sur l'extension du principe lui-même à l'Algérie, la question a été tranchée d'avance par les auteurs de la loi de 1898, puisque l'article final de cette loi dispose qu'un règlement d'administration publique déterminera les conditions dans lesquelles la loi pourra s'appliquer à l'Algérie. Il n'y a pas à regretter cette extension. Sans doute la loi de 1898 a introduit dans notre législation un principe nouveau, tout autre que ceux du code civil: c'est un commencement de socialisme d'Etat. Mais ce principe est bon il fait que le droit de l'ouvrier victime n'est plus subordonné à une preuve que dans l'immense majorité des cas il lui est impossible de fournir. Bon en France, pourquoi serait-il mauvais en Algérie? Il est au contraire d'excellentes raisons pour que, sur ce point

encore, l'assimilation s'effectue entre la Métropole et l'Algérie. Financièrement, celà est d'autant plus nécessaire que l'assistance publique n'existe ici que d'une façon tout à fait insuffisante les budgets locaux ne peuvent pas y suffire. En équité cependant, tous y out droit les travailleurs français qui ne perdent pas ce droit en passant la Méditerranée: les travailleurs indigènes qui paient à cet effet des centimes additionnels; et les travailleurs étrangers que la France ne peut se refuser à secourir. Le seul moyen d'assurer l'existence de toutes les victimes du travail, c'est le risque professionnel, c'est l'assurance obligatoire.

Quant à l'opportunité de l'extension, peut-être a-t-on trop tardé. La chose eût été plus facile il y a quatre ans qu'aujourd'hui, puisque l'industrie traverse une crise.

M. AUMERAT. Je tiens à confirmer sur un point la déclaration qui vient d'être faite relativement à l'absolue insuffisance de l'assistance publique en Algérie. Les indigènes paient pour cela des centimes additionnels; de plus il y a un décime spécial qui s'ajoute à l'enregistrement. Qu'en fait-on?

M. THOMAS, professeur à l'Ecole de Droit. - Dans l'intéressant exposé qui vient d'être fait, il s'est glissé une confusion: assurance obligatoire et risque professionnel, sont choses bien distinctes. La question est de déterminer les responsabilités en matière d'accidents de travail. Ce serait une erreur de mettre toutes les responsabilités à la charge du patron. C'est ce que ne fait pas la loi de 1898 puisqu'elle n'édicte pas la responsabilité du patron dans tous les cas. Il faut y voir un forfait : le patron est responsable de certains accidents (la loi exclut sa responsabilité au cas d'accident volontaire, la discussion au cas de faute lourde de la part de l'ouvrier); et l'indemnité est déterminé à priori proportionnellement an salaire. Il s'agit maintenant de rechercher quels seront les effets pratiqués de l'application de cette législation en Algérie.

M. DELORME. Je suis d'accord avec M. Thomas pour reconnaître que la loi du 1898 est une transaction, et même si l'on veut une cotte mal taillée. Mais, en pratique, elle équivaut pour l'ouvrier à l'assurance obligatoire.

M. ALGLAVE. - Il n'est même pas exact de considérer la loi de 1898 comme posant le principe du risque professionnel. C'est plutôt un renversement de la charge de la preuve, puisque le patron peut s'exonérer en prouvant le fait volontaire ou la faute inexcusable.

M. KIMPFLIN. - Je crois qu'il faut laisser de côté l'agriculture, puisque, du moins en l'état actuel de la législation, le principe de la loi de 1898 ne lui est pas applicable. Considérons donc exclusivement l'industrie. Or, les ouvriers réclament l'application de la loi. Tout ce qu'il faut, c'est que le résultat de cette application ne soit pas une prime à l'emploi de la main-d'œuvre étrangère.

M. DELORME. - M. Kimpflin aurait raison si le Parlement n'était pas saisi d'un projet étendant le principe à l'agriculture. Il y a toutes chances pour que ce projet aboutisse assez rapidement,

peut-être avant la fin de l'année. Dès lors, je considère qu'il faut voir où la formule tout à fait large de l'art. 1r du projet va nous mener peut-être beaucoup plus loin que ne le pensent ceux qui, aujourd'hui, se déclarent partisans du projet du gouvernement. M. ALGLAVE. Pour se prononcer sur le principe même de la loi, il faudrait savoir ce qui se passe aujourd'hui. En quoi y aurat-il changement ou amélioration?

-

M. DELORME. Oh ! l'état actuel est tellement mauvais que tout vaudra mieux. La jurisprudence actuelle nous offre trop d'inégalités choquantes, de dangers imprévus pour les patrons.

M. THOMAS. — On me signalait naguère un jugement allouantà un ouvrier victime d'un accident une pension viagère supérieure à son salaire annuel!

M. LARCHER. - Il y a ainsi des tribunaux qui font de la charité avec l'argent des autres !

M. LAROZE. N'est-il pas à craindre que les compagnies d'assurances, n'ayant aucune base sérieuse pour l'établissement de leurs barêmes, ne fassent payer aux patrons, au moins pendant quelques années, des primes beaucoup trop élevées ?

M. KIMPFLIN. Il ne faut rien exagérer; il ne faut pas croire que le petit accroissement de frais du aux primes d'assurances aura des conséquences ruineuses. Dès maintenant presque tous les entrepreneurs sérieux assurent leurs ouvriers. L'assurance passe aux frais généraux; elle n'a jamais ruiné personne, ce qui importe, c'est de retenir ici l'élément français; or, ce que demande le syndicat commercial dont M. Colin s'est fait le porte parole, déterminerait l'exode des travailleurs français.

En ce qui concerne les indigènes, il ne faut rien exagérer non plus. Il est possible qu'ils soient plus maladroits, donc plus sujets à accident que les français ou les autres européens. Mais, comme ils sont payés moins cher et que la pension au cas d'accident est proportionnée au salaire, le risque demeure le même.

M. CHARPENTIER. Je crois pouvoir préciser la discussion en disant que si, en l'état, il n'y aurait guère d'obstacle à l'application de la loi, on pourrait avoir quelqu'appréhension à raison de son extension prochaine à l'agriculture.

M. CORPS. En effet, relativement à l'agriculture, je tiens à faire toutes réserves. La question me parait très grave. Je ne vois pas comment risque professionnel, assurance, pourraient jouer pour le propriétaire agricole.

M. DELORME. N'oubliez pas cependant que la loi s'applique déjà à l'agriculture quand on fait usage de moteurs.

M. PAOLI. Il me semble que la discussion s'égare. Nous sommes saisis d'une proposition assez nette, limitée d'un point déterminé, de M. Kimpflin. Or, on s'engage dans la critique du principe même de la loi de 1898.

M. LARCHER. -La question est extrêmement importante. On n'en peut examiner un point particulier sans envisager l'ensemble. Je crois que la question de principe est maintenant élucidée. Il faut examiner les autres points.

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