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On peut discuter un projet de loi; on le discute d'abord dans la presse, puis à la Chambre des Députés et au Sénat, et quand la loi est votée, on s'incline respectueusement devant elle.

Mais le décret vous surprend, vous prend à la gorge.

On nous dit bien en Algérie, pour nous consoler, que le conseil du gouvernement examine tous les décrets en préparation..... Mais qu'est-ce donc que le conseil de gouvernement, si non un corps décoratif du Gouverneur ?

M. Clémenceau nous a-t-il communiqué le projet élaboré dans les bureaux ?

Non, certes ¡

On avait décidé dans le temps que la session budgétaire des conseils généraux algériens aurait lieu au commencement d'octobre, à cause de la température.

Aujourd'hui, sous un autre prétexte que la chaleur, M. Clémenceau fait reporter l'ouverture de la session jusqu'à la fin d'octobre, et cette fois c'est la récolte qui est le prétexte.

C'est un colon d'Oran qui a réclamé et qui a obtenu cette importante réforme.

N'est-ce pas ridicule?

Quand done, dans nos trois départements algériens, cesseronsnous de vivre sous le régime du bon plaisir pardon, sous le régime des décrets?

Quand donc les français d'Algérie seront-ils considérés par notre gouvernement républicain, comme des citoyens français. soumis aux lois et rien qu'aux lois et non comme des sujets soumis à des ukases, dont l'usage va être bientôt abandonné même en Russie ?

II

J'ai déjà fait un article à ce sujet et j'y reviens aujourd'hui. Nous vivons aujourd'hui en Algérie, sous le régime des décrets; c'est regrettable assurément, car et comme je l'ai souvent dit c'est là un régime qui ne convient pas à des hommes qui sont tous fils de la Révolution, et dont les frères ont rédigé la fameuse déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

-

Mais il ne faut rien exagérer, l'excès en tout est un défaut, et autant que faire se peut, on ne doit se servir du décret que lorsqu'il s'agit de mettre une loi en exécution en d'autres termes, le décret ne devrait jamais être autre chose qu'un règlement d'administration publique pour l'exécution d'une loi.

Il est regrettable que cette pensée ne soit pas venue à M. Clémenceau quand il a eu la fantaisie de modifier la date des sessions des trois conseils généraux d'Alger, de Constantine et d'Oran.

Je sais bien qu'il y a des décrets qui lui donnent ce droit; on lui a donné sans doute lecture de l'article 23 du décret du 23 Septembre 1875, ainsi conçu:

«Les conseils généraux ont chaque année deux sessions. ordinaires.

«La session, dans laquelle sont délibérés le budget et les comptes, commence de plein droit le premier lundi qui suit le premier octobre, et ne pourra être retardée que par un

décret, etc., etc. >>

C'est en vertu de cet article que M. Clémenceau a cru devoir faire signer au Président de la République, un autre décret qui retarde de quinze jours l'ouverture de la session d'octobre, qui s'appellera un peu plus tard la session de novembre, s'il lui plait ou s'il plait à un autre ministre de retarder encore cette ouverture de session, dont la mobilité s'accentue de plus en plus.

A moins pourtant qu'on ne s'aperçoive à la longue que cette disposition du décret du 23 septembre 1875 est d'une légalité douteuse.

Et en effet, quelques années auparavant, une loi avait été votée par la Chambre des Députés et ensuite par le Sénat; cette loi – qui ne semble pas avoir été abrogée s'occupait de l'ouverture de la session ordinaire des conseils généraux algériens.

Elle contenait et si elle n'a pas été abrogée -elle contient encore un article unique ainsi conçu :

«En Algérie, la session des conseils généraux fixée au premier lundi qui suit le 15 Août, par l'article 23 de la loi du 10 août 1871, commencera désormais de plein droit le premier lundi du mois d'octobre. >>

Cette loi est du 23 Juillet 1873, et comme elle a été faite pour les seuls départements algériens, elle a nécessairement été rendue applicable à l'Algérie.

Et dans ce cas, un décret un simple décret signé en 1875, peut-il permettre à M. Clémenceau de modifier l'ouverture des sessions ordinaires des conseils généraux?

Je pose la question à Messieurs les Membres de la Société d'Etudes Politiques et Sociales en Algérie qui sont plus compétents que moi sur la matière.

M. LARCHER.

très brièvement.

AUMERAT.

Si M. Aumerat me le permet, je lui répondrai

La question de l'époque à laquelle a lieu une session des conseils généraux me parait en elle-même de minime importance, Mais ce qui méritait d'être relevé il faut remercier M. Aumerat de l'avoir fait c'est l'erreur commise en fixant par décret ce qui ne pouvait résulter que d'une loi.

On avait compris tout d'abord que la loi du 10 août 1871 sur les conseils généraux était applicable en Algérie comme en France. D'où, pour modifier la date de la seconde session ordinaire, la loi du 26 juillet 1873: « En Algérie, la session des conseils généraux fixée au premier lundi qui suit le 15 août par l'art. 23 de la loi du 10 août 1871, commencera désormais de plein droit le premier lundi du mois d'octobre. »

Puis, un peu plus tard, à la suite de difficultés entre les commissions départementales et les préfets, on obtint du Conseil d'Etat qu'il déclarat la loi du 10 août 1871, non applicable en

Algérie, fante d'y avoir été promulguée. Et alors intervint un décret qui est presque la copie de la loi, sauf sur les deux points particuliers des assesseurs musulmans et des pouvoirs des généraux de divisions. Ce décret, du 23 septembre 1875, qui vise dans son préambule la loi du 26 juillet 1873, reproduit sa disposition dans son art. 23,

Il s'est trouvé récemment que certains conseillers généraux, ayant demandé que la session d'octobre fût retardée, on a cru n'avoir à modifier que le décret du 23 septembre 1875: on a opéré par décret. C'est le décret du 7 juillet 1906, contre lequel proteste M. Aumerat: « Le paragraphe 2 de l'art. 23 du décret sus-visé du 23 septembre 1875, est modifié ainsi qu'il suit: La session dans laquelle sont délibérés les budgets et les comptes commence de plein droit le troisième lundi d'octobre et ne pourra être retardée que par un décret.

L'erreur est évidente. La loi du 26 juillet 1873, n'a jamais été abrogée, et il n'appartient pas à un décret de modifier une loi. La raison de l'erreur, c'est très probablement que le rédacteur. ignorant la loi de 1873, ne connaissait que le décret de 1875. Cela nous révèle comment sont rédigés les textes algériens.

M. LAROZE. Je ne vois pas bien l'intérêt de la communication de M. Aumerat et de la discussion de M. Larcher. Est-il mauvais que la session des conseils généraux ait lieu à la fin d'octobre au lieu du commencement?

M. CHARPENTIER. La question est au contraire de la plus hante importance. Peu importe l'époque des sessions. Mais, il y a en jeu une grave question de principes. Nous avons à protester contre l'usage qui est fait du régime des décrets. Pour l'Algérie, on décrète à tort et à travers, même quand on n'en a pas le droit.

Sans intérêt, une question de légalité! Mais c'est parce qu'il avait porté atteinte à la liberté de la presse par ordonnance que Charles X a été renversé. Et on a conservé aux trois journées de cette révolution pour le respect du droit, le nom des « trois glorieuses ».

Ce n'est que dans le régime de la loi - donc dans la suppression du régime des décrets que nous trouverons la stabilité si désirable de la législation et les garanties nécessaires des droits des citoyens.

M. MAUGUIN. - Répondant à l'autre question de M. Laroze, je dirai que c'est une erreur, à mon sens, de ne réunir les conseils généraux qu'en octobre. On n'a pas le temps d'établir le budget supplémentaire.

-

M. GASTU. Le débat soulève la plus haute question qui se pose pour l'Algérie. Et l'incident, relativement minime en luimême, dont nous ont entretenu MM. Aumerat et Larcher, apparaît comme un épisode d'un très vieux conflit. C'est l'éternelle lutte entre le régime civil et le régime militaire le premier doit être fait de légalité, le second est fait d'autorité. On comprenait le régime militaire pendant la conquête ; il devait, au fur et à mesure de la pacification des tribus, se retirer devant le régime civil. Mais il

ne l'a fait qu'à regret, et peu à peu, par un retour offensif, il s'est emparé d'un gouvernement qui n'a de civil que le nom. Le régime de la loi, voilà le vrai régime civil; le régime des décrets, voilà le régime militaire.

Le jour où on obtiendra en Algérie le respect de la légalité, c'en sera fait du régime militaire que nous subissons aujourd'hui

encore.

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M. AUMERAT. En 1834, par l'effet de l'ordonnance du 22 juillet, toutes les lois françaises antérieures sont entrées en vigueur en Algérie. Si bien que les français pouvaient s'estimer citoyens de ce côté-ci de la Méditerranée comme de l'autre Puis, peu à peu, on a édicté des ordonnances, des décrets qui ont rendu la législation, de ce côté-ci, toute différente de ce qu'elle est de l'autre côté.

J'estime que nous devons être citoyens en Algérie comme en France. Nous ne devons obéir qu'à des lois. Et si j'ai signalé le décret du 7 juillet, c'est pour protester une fois encore contre le régime des décrets. Tant que j'aurai un souffle, je protesterai.

M. PAOLI. La réunion est unanime pour se joindre à son vénéré doyen il faut une fois de plus protester contre le régime des décrets.

M. GASTU. Le mal, c'est que si nous sommes quelques-uns qui faisons entendre cette nécessaire protestation, il ne semble pas que la masse en comprenne la portée! Aujourd'hui, l'Algérie manque d'esprit public. Nous sommes, avec un gouverneur civil, en plein sous le régime militaire. Et ce qui, il y a vingt-cinq ou trente ans, aurait provoqué une vive protestation, amène seulement les réserves de quelques-uns.

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- M. KIMPFLIN. Je désire proposer à la Société de mettre une question à son ordre du jour. Le Gouvernement a saisi la Chambre des députés d'un projet tendant à l'application à l'Algérie, mais avec modification, de la législation métropolitaine sur les accidents du travail. Notamment, tandis que la loi française n'accorde aux étrangers non fixés en France qu'une indemnité égale à trois annuités de la rente viagère, la commission de la Chambre propose d'appliquer, dans tous les cas, le tarif français : en cas d'accident survenu à un ouvrier étranger, la compagnie d'assurances paierait la même somme que pour un français, mais la différence entre ce que toucherait véritablement l'étranger et ce que la compagnie aurait versé irait à une caisse de prévoyance. Or, le député d'Alger, dans une lettre que les journaux ont publiée, proteste et veut l'application de la loi comme en France. J'estime que c'est une prime à l'emploi de la main d'œuvre étrangère.

M. ALGLAVE. - L'application du projet de la commission me parait défavorable à l'industrie algérienne que, cependant, il faudrait plutôt encourager.

M. GASTU. La question mérite assurément examen. Nous pouvons la porter à l'ordre du jour de notre prochaine séance. M. Kimpflin, qui s'en est occupé, se chargeant de nous en faire un exposé.

Notre ordre du jour peut donc être ainsi fixé :

1° Projet sur les accidents du travail en Algérie (M. Kimpflin rapporteur).

20 La législation sur les témoins dans les actes notariés (M. Charpentier).

Sommaire.

Séance du 23 Janvier 1907

Lecture et adoption du procès-verbal.

Membres nouveaux. L'application à l'Algérie de la legislation métropolitaine sur les accidents du travail. Rapport de M. KIMPFLIN. Discussion: MM. LARCHER, DELORME, AUMERAT. THOMAS, ALGLAVE, KIMPFLIN, LAROZE, CHARPENTIER, CORPS, PAOLI. Fixation de l'ordre du jour et de la date de la prochaine séance: MM. CHARPENTIER, TROLARD, KIMPFLIN, LARCHER.

Présidence de M. CHARPENTIER

Le secrétaire général donne lecture du procès-verbal de la séance du 9 janvier, qui est adopté.

Sont admis comme membres nouveaux :
MM ALAMICHEL, ancien sous-préfet, Alger.

MICHAUD, ancien administrateur de commune mixte, rue
de Strasbourg, 5, Alger.

-L'ordre du jour appelle la question de l'application à l'Algérie de la législation métropolitaine sur les accidents du travail.

M. KIMPELIN donne connaissance à la réunion de la lettre de M. Colin au rapporteur de la commission chargée d'élaborer le projet de loi déposé par le Gouvernement; puis il lit son rapport.

RAPPORT

présenté à la Société des Etudes politiques et sociales, sur la question de l'application à l'Algérie de la loi relative

aux accidents du travail

MESSIEURS,

La question qui nous préoccupe, et qui est pour l'Algérie d'une gravité exceptionnelle, vient d'être posée, devant l'opinion publique, par une lettre de notre député, M. Colin, publiée dans le journal La Dépêche Algérienne », portant la date du 7 janvier. Comme vous le savez, la loi sur les accidents du travail, fait en France, aux ouvriers étrangers et spécialement aux célibataires une situation moins avantageuse, en cas d'accident, que celle qui est faite aux ouvriers français.

Mais, les travailleurs étrangers n'étant en France qu'une exception, les Compagnies d'assurances ont pu adopter nn tarif uniforme pour tous les ouvriers d'une même industrie, quelle que soit leur nationalité.

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