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celles-ci sont une « honte » pour notre administration française. M. Macquart a beaucoup cité les ouvrages de l'orateur, qui aurait vraiment mauvaise grâce à combattre beaucoup de ses conclusions; du reste, M. Leroy-Beaulieu est d'accord avec lui sur presque tous les autres points.

Les mérites et la valeur de l'Algérie, son sol, son climat, les conditions d'existence, tout cela a été singulièrement exagéré, on a abusé des dithyrambes pour pousser des colons à aller s'y établir. En réalité, l'Algérie et la Tunisie ne sont pas des terres d'élection et sont loin d'égaler la France. Mais presque toutes les colonies en sont là; l'Australie ne vaut pas l'Algérie et la Tunisie, on y peut cependant prospérer.

On a parlé de la vigne ; en Oranie se trouvent des vignobles de premier ordre et la majorité des viticulteurs y peuvent faire de très bonnes affaires. Mais il n'y a là rien qui soit à comparer aux bonnes terres européennes.

On a dépensé 4 milliards pour constituer l'Algérie telle qu'elle est. C'est beaucoup trop; si on ne les avait pas dépensés là, on eût pu les utiliser mieux ailleurs, sans doute.

M. Paul Leroy-Beaulieu s'est souvent demandé ce que fût devenue l'Algérie sous la domination des Anglais. On y verrait aujourd'hui, probablement, 7 à 8 mille kilomètres de chemins de fer, mieux répartis que les nôtres qui sont presque entièrement parallèles au littoral: on irait d'Alger à Sokoto et au centre de l'Afrique.

Le mouvement minier eût été plus prompt, mais il n'y aurait pas en Algérie, au bout de 75 ans de conquête, 700.000 européens, ni en Tunisie, 180 à 200.000. C'est un résultat qui n'est pas indifférent non plus, que l'augmentation du nombre des indigènes.

C'est un succès trop chèrement acheté; nous aurions pu, sans doute, économiser un milliard, mais en serions-nous plus riches? Le mouvement des chemins de fer est en progrès, et c'est un progrès sûr. Mais le bétail diminue.

Sur la question du budget algérien, M. Leroy-Beaulieu départage les précédents orateurs: M. de Peyerimhoff a, en partie,

raison.

L'orateur défend les délégations algériennes qui ont fait preuve d'esprit de suite, de prudence et de prévoyance.

Certes, comme le disait M. Macquart, il y a lieu de se préoccuper de la prédominance de l'élément étranger, mais avec un pays comme le nôtre, ayant peu d'excédents de population et émigrant peu, il est naturel de voir l'Algérie et la Tunisie recevoir de nombreux italiens et espagnols.

Actuellement, on compte environ 7 indigènes pour 1 européen ; il est exact que la population européenne n'augmente pas assez pour changer cette proportion.

En réalité ce n'est pas un trop grand mal, car cela empêche la séparation. Les européens ont besoin de la métropole et des 50.000 soldats qui les empêchent d'être jetés à la mer. Le plus fàcheux c'est le souflle « libéral », à la mode en Algérie depuis

quelque temps, et l'esprit formaliste dans l'administration algérienne.

En Tunisie, l'administration est rapide; en Algérie, les affaires sont d'une lenteur désolante: on s'en aperçoit pour les concessions de mines vite tranchées en Tunisie; de même pour les questions de chemins de fer.

En somme, les critiques de M. Macquart ont du bon, mais elles sont exagérées. L'administration de l'Algérie ne marche pas trop mal. On y remarque des sociétés ayant un bel avenir et les gens unissant la hardiesse à la prudence y peuvent parfaitement réussir. En définitive, la Tunisie et l'Algérie sont réservées à un bel essor économique. Notre situation en Afrique est la plus belle du monde, l'Egypte mise à part, bien entendu. Il nous faut de la confiance en l'avenir et de la persévérance.

M. MACQUART, répondant à M. de Peyerimhoff, se félicite d'avoir trouvé en lui moins et plus qu'un contradicteur; un adversaire, un adversaire dangereux à cause de son talent. M. de Peyerimhoff a usé, dit-il, d'une tactique habile, et qui serait peut-être de nature à réussir partout ailleurs qu'ici; il a parlé très peu de ce que l'orateur avait dit, et beaucoup de ce dont il n'avait pas dit un mot. Il n'a pas répondu à une seule question de détail; il a parlé des « grands chiffres »; c'est l'histoire du commerçant qui admet qu'il perd sur chaque article, mais prétend qu'il se rattrape sur la quantité; il n'a pas répondu, mais il a attaqué. Pourquoi donc M. de Peyerimhoff affecte-t-il de croire que l'orateur puisse être de parti-pris? M. Macquart proteste énergiquement contre une allégation de ce genre. M. de Peyerimhoff, qui s'est érigé en défenseur de l'Algérie, ignore sans doute qu'un économiste digne de ce nom ne soutient pas une thèse, n'est ni pour ni contre quoi que ce soit, ignore les personnes et ne connait que les faits, et que le seul mobile qui l'anime, c'est la recherche de la vérité.

A 11 h. 1/2 passées, M. Macquart ne veut pas imposer à l'auditoire la fatigue d'une réfutation point par point des affirmations sans bases de M. de Peyerimhoff. Mais il y a un point qu'il tient à mettre bien en lumière, c'est le défaut de sincérité des budgets algériens. L'orateur lit à ce sujet des passages des rapports des différents rapporteurs du budget; il montre que les derniers budgets n'ont été, de leur aveu même, bouclés que par des expédients; il prouve que, comme l'avait dit, à propos de situations antérieures, M. Paul Leroy-Beaulieu, « les prétendus excédents sont une pure et tout à fait indigne mystification ». D'ailleurs, conçoit-on que l'Algérie, avec ses cinquante millions d'excédents, s'ils n'étaient pas fictifs, se trouve acculée à un nouvel emprunt? A propos d'emprunt, qu'a-t-on fait des 50 millions de 1902 ? Ils devaient servir à la réalisation d'un programme. M. de Peyerimhoff, directeur de l'agriculture, du commerce et de la colonisation, le connait-il ce programme? Voici ce qu'en dit le rapporteur général du budget: «A vrai dire, il n'y a jamais eu

de programme d'emprunt. Comme il n'y a pas de programme d'emprunt, on va nécessairement à l'aventure. » Et il montrait que les fonds d'emprunt tendent à devenir un moyen commode, mais extrêmement coûteux d'augmenter les crédits du budget ordinaire », ce qui finira par conduire l'Algérie « à l'expédient des emprunts à jet continu ». On y est arrivé, puisque, sans qu'on ait rien fait avec les 50 millions de l'emprunt de 1902, il faut déjà en contracter un autre pour boucler les 50 millions de dépassements que constate le rapport de 1907.

M. de Peyerimhoff a parlé des accroissements de recettes ! Que n'a-t-il parlé de « l'accélération anormale de la progression des dépenses », suivant le titre d'un chapitre du rapport du budget de l'Algérie ? L'accroissement des recettes ! Mais le Mobacher, ce journal officiel de la colonie, numéro du 15 août dernier, accuse une diminution de 6.600.121 fr. 81, sur les recouvrements des six premiers mois de 1906 !

M. de Peyerimhoff a parlé de l'augmentation de la population européenne. Mais il a par cela même condamné l'administration, car tous les non-Français, ce n'est pas l'administration qui les a fait venir au contraire, elle n'a rien dépensé pour eux. Les italiens et les espagnols et autres étrangers qui surpassent en nombre les colons français, sont venus en Algérie d'euxmêmes. Ils représentent la colonisation libre, et leur succès met encore plus en relief l'échec de la colonisation officielle, malgré les centaines de millions qu'elle a coûtés.

M. Paul Leroy-Beaulieu a formulé la morale de cet exposé en déclarant qu'à beaucoup près l'Algérie et la Tunisie n'étaient pas des pays qui valent la France. Eh bien, puisque l'Algérie ne vaut pas la France, c'est commettre une mauvaise action que de faire venir de France en Algérie des gens qui pouvaient vivre en France sur leur petit pécule, et dont, pour quelques-uns qui réussiront, tous les autres sont voués, sur cette terre d'Afrique, infertile et inhospitalière, à la ruine et à la misère.

M. E. LEVASSEUR, président, n'essayera pas, vu l'heure très avancée, de résumer la discussion. Il se contente d'en tirer, en deux mots, une leçon de modestie pour les statisticiens, puisque, malgré leur désir d'être sincères, les résultats publiés par eux ont pu prêter à un pareil débat.

En somme, il semble prouvé que l'Algérie n'est peut-être pas l'Eldorado qu'on avait cru trouver en elle. Mais la possession de l'Algérie et de la Tunisie par la France est un bien pour nous, ne fût-ce que pour cette raison que, étant à la France, elles ne sont pas à une autre nation.

(Journal des Economistes).

CHARLES LETORT.

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de M. Sénac.

MM. Larcher, Laroze, Aumerat.

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Séance du 28 mars 1906...

Sur le procès-verbal MM. Trolard, Macquart, Larcher, Gastu. Communication de M. Macquart sur les réalités algériennes : MM. Macquart, Trolard, Paoli, Gastu, Charpentier. Règlement de l'ordre du jour.

IV. Emile MACQUART.

Les réalités algériennes. Etude sur la situation économique de l'Algérie (1881-1905)....

1. La population...

2. L'agriculture.

3. L'élevage

4. L'industrie et les mines

5. Les forêts..

6. La pêche..

7. Le mouvement commercial....

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Notice bibliographique Camille
Brunel. La question indigène en Algérie..

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Sur les statistiques algériennes et la situation économique: MM. Paoli, Rivière, Macquart, Charpentier, Aboulker, Trolard, Corps. Sur deux faits récents: M. Larcher. Proposition de M. Rivière tendant à l'organisation d'une réunion contradictoire pour discuter les idées de M. Macquart. Adoption.

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