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jours ce qui eft abfolument néceffaire, mais auffi quelquefois ce qui eft feulement utile à parvenir à quelque chofe.

Le but des Acteurs eft divers, felon les divers deflèins que la varieté des Sujets leur donne. Un Amant a celuy de pofléder fa Maîtreffe, un Ambitieux de s'emparer d'une Couronne, un homme offenfé de fe vanger, & ainfi des autres. Les chofes qu'ils ont befoin de faire pour y arriver constituent ce néceffaire, qu'il faut préférer au vray-femblable, ou pour parler plus juste, qu'il faut ajoûter au vrayfemblable dans la liaifon des actions, & leur dépendance l'une de l'autre. Je penfe m'eftre déja affez expliqué là-deflus,je n'en diray pas davantage.

Le but du Poëte eft de plaire felon les Régles de fon art. Pour plaire il a befoin quelquefois de rehauffer l'éclat des belles actions, & d'exténuer l'horreur des funestes. Ce font des néceffitez d'embelliffement, où il peut bien choquer la vray-femblance particuliere par quelque altération de l'Histoire, mais non pas fe dispenfer de la générale, que rarement,& pour des chofes qui foient de la derniere beauté, & fi brillantes, qu'elles éblouiffent. Sur tout il ne doit jamais les pouffer au delà de la vray-femblance extraordinaire, parce que ces ornemens qu'il ajoûte de fon invention ne font pas d'une néceffité abfoluë, & qu'il fait mieux de s'en pafler tout-à fait, que d'en parer fon Poëme contre toute forte de vray-femblance. Pour plaire felon les Régles de fon Art, il a befoin de renfermer fon action dans l'unité du jour & du lieu, & comme cela eft d'une néceffité abfoluë & indispenfable, il luy eft beaucoup plus permis fur ces deux articles, que fur celuy des embelliflemens.

Il eft fi mal aifé qu'il fe rencontre dans l'Histoire, ny dans l'imagination des hommes quantité de ces événemens illustres & dignes de la Tragédie, dont les delibérations & leurs effets puiffent arriver en un mefme licu, & en un mefme jour, fans faire un peu de violence à l'ordre commun des chofes; que je ne puis croire cette forte de violence tout àfait condamnable, pourveu qu'elle n'aille pas jus

qu'à

qu'à l'impoflible. Il eft de beaux Sujets où on ne la peut éviter, & un Auteur fcrupuleux fe priveroit d'une belle occafion de gloire, & le Public de beaucoup de fatisfaction, s'il n'ofoit s'enhardir à les mettre fur le Théatre, de peur de le voir forcé à les faire aller plus vifte que la vray-femblance ne le permet Je luy donnerois en ce cas un confeil que peut-eftre il trouveroit falutaire, c'eft de ne marquer aucun temps préfix dans fon Poëme,ny aucun lieu déterminé où il pofe fes Acteurs. L'imagination de l'Auditeur auroit plus de liberté de fe laiffer aller au courant de l'Action, fi elle n'étoit point fixée par ces marques, & il pourroit ne s'appercevoir pas de cette précipitation, fielles ne l'en faifoient fouvenir, & n'y appliquoient fon esprit malgré luy Je me fuis toujours repenty d'avoir fait dire au Roy dans le Cid,qu'il vouloit que Rodrigue fe delaffaft une heure où deux après la défaite des Maures, avant que de combattre Dom Sanche. Je l'avois fait pour montrer que la Piéce étoit dans les vingt-quatre heures,& cela n'a fervi qu'à avertir les Spectateurs de la contrainte avec laquelle je l'y ay réduite.Si j'avois fait réfoudre ce combat fans en défigner l'heure, peut-etre n'y auroit-on pas pris garde

Je ne pense pas que dans la Comédie le Poëme ait cette liberté de preffer fon action, par la néceffité de la réduire dans l'unité de jour. Aristote veut que toutes les actions qu'il y fait entrer foient vrayfemblables, & n'ajoûte point ce mot, ou neceffaire, comme pour la Tragédie. Auffi la différence eft affez grande entre les actions de l'une, & celles de l'autre. Celles de la Comédie partent de perfonnes communes, & ne confistent qu'en intrigues d'amour, & en fourberies, qui fe dévelopent fi aifément en un jour, qu'affez fouvent chez Plaute & chez Térence, le temps de leur durée, excede à peine celuy de leur reprefentation. Mais dans la Tragédie les affaires publiques font meflées d'ordinaire avec les intérefts particuliers des perfonnes illustres qu'on y fait paroiftre: ily entre des batailles, des prifes de Villes, de grands périls, des révolutions d'Etats, & tout cela va mal-aifémert avec la promp

A

titude que la Régle nous oblige de donner à ce qui le paffe fur la Scene.

Si vous me demandez jufqu'où peut s'étendre cette liberté qu'a le Poëte d'aller contre la vérité & contre la vray-femblance, par la considération du befoin qu'il en a, j'auray de la peine à vous faire une réponse précife. J'ay fait voir qu'il y a des chofes fur qui nous n'avons aucun droit; & pour celles où ce privilége peut avoir lieu, il doit eftre plus ou moins reflerré, felon que les Sujets font plus ou moins connus. Il m'étoit beaucoup moins permis dans Horace, & dans Pompée, dont les Histoires ne font ignorées de perfonne, que dans Rodogune & dans Nicomede, dont peu de gens fçavoiont les noms avant que je les eufle mis fur le Theatre. La feule mefure qu'on y peut prendre, c'est que tout ce qu'on y ajoûte à l'Histoire, & tous les changemens qu'on y apporte, ne foient jamais plus incroyables, que ce qu'on en conferve dans le mefme Poëme. C'eft ainfi qu'il faut entendre ce vers d'Horace touchant les fictions d'ornement,

Filta voluptatis caufa fint proxima veris,

& non pas en porter la fignification jufqu'à celles qui peuvent trouver quelque éxemple dans l'Histoire, ou dans la Fable, hors du Sujet qu'on traite. Le mefme Horace décide la question autant qu'on la peut décider par cet autre Vers, avec lequel il finit ce discours,

Dabiturque licentia fumpta pudenter.

Servons-nous-en donc avec retenue, mais fans fcrupule, & s'il le peut, ne nous en fervons point du tout. Il vaut mieux n'avoir point besoin de grace, que d'en recevoir.

LE

LE CID.

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