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Form 46. 5-25-38 LCH

I

DISCOURS

DE LA TRAGEDIE,

Et des moyens de la traiter
felon le vray-femblable, ou le
neceffaire.

MM Utre les trois utilitez du Poëme
Dramatique dont j'ay parlé dans le
Discours que j'ay fait fervir de Pré-

face à la premiere Partie de ce Recueil, la Tragédie a celle-cy de particuliere, que par la pitié la crainte elle purge de femblables paffions. Ce font les termes dont Aristote fe fert dans fa définition, & qui nous apprennent deux chofes; l'une, qu'elle excite la pitié & la crainte; l'autre, que par leur moyen elle purge de femblables paffions. Il explique la premiere affez au long, mais il ne dit pas un mot de la derniére, & toutes les conditions qu'il employe en cette définition, c'eft la feule qu'il n'éclaircit point. 11 témoigne toutefois dans le dernier Chapitre de fes Politiques un deffein d'en parler fort au long dans ce Traité, & c'eft ce qui fait que la plupart de fes Interprétes veulent que nous ne l'ayons pas entier, parce que nous n'y voyons rien du tout fur cette matiére. Quoy qu'il en puifle eftre, je croy qu'il eft à propos de P.Corn. Il, Partie.

*

par

parler de ce qu'il a dit, avant que de faire effort pour deviner ce qu'il a voulu dire. Les Maximes qu'il établit pour l'un pourront nous conduire à quelques conjectures pour l'autre, & fur la certitude de ce qui nous demeure, nous pourrons fonder une opinion probable de ce qui n'eft point venu jusqu'à nous.

Nous avons pitié, dit-il, de ceux que nous voyons fouffrir un malheur qu'ils ne méritent pas, nous craignons qu'il ne nous ex arrive un pareil, quand nous le voyons fouffrir à nos femblables. Ainfi la pitié embraffe l'intéreft de la perfonne que nous voyons fouffrir, la crainte qui la fuit regarde le noftre, & ce Paffage feul nous donne affez d'ouverture, pour trouver la maniére dont fe fait la purgation des paffions dans la Tragédie. La pitié d'un malheur où nous voyons tomber nos femblables, nous porte à la crainte d'un pareil pour nous cette crainte au defir de l'éviter; &

ce defir à purger, modérer, rectifier, & mefme déraciner en nous la paffion qui plonge à nos yeux dans ce malheur les pèrfonnes que nous plaignons, par cette raifon commune mais naturelle & indubitable, que pour éviter l'effet il faut retrancher la caufe. Cette explication ne plaira pas à ceux qui s'attachent aux CommentaTeurs de ce Philofophe. Ils fe gefnent fur ce Paflage, & s'accordent fi peu l'un avec l'autre, que Paul Beni marque jusqu'à dou

Ze

-ment,

ze ou quinze opinions diverfes, qu'il réfute avant que de nous donner la fienne. Elle eft conforme à celle-cy pour le raisonnemais elle différe en ce point, qu'elle n'en applique l'effet qu'aux Rois, & aux Princes; peut eftre par cette raison, que la Tragédie ne peut nous faire craindre que les maux que nous voyons arriver à nos femblables, & que n'en faifant arriver qu'à des Rois, & à des Princes, cette crainte ne peut faire d'effet que fur des gens de leur condition. Mais fans doute il a entendu trop litteralement ce mot de nos femblables, & n'a pas affez confideré qu'il n'y avoit point de Rois à Athenes, où le reprefentoient les Poëmes dont Aristote tire fes éxemples, & fur lefquels il forme les Régles. Ce Philofophe n'avoit garde d'avoir cette pensée qu'il luy attribuë,

& n'euft pas employé dans la définition de la Tragédie une chofe dont l'effet pûlt arriver fi rarement, & dont l'utilité fe fuft reftrainte à fi peu de perfonnes. Il eft vray qu'on n'introduit d'ordinaire que des Rois pour premiers Acteurs dans la Tragédie, & que les Auditeurs n'ont point de Sceptres par où leur reffembler, afin d'avoir lieu de craindre les malheurs qui leur arrivent : mais ces Rois font hommes comme les Auditeurs, & tombent dans ces malheurs par l'emportement des paffions dont les Auditeurs font capables. Ils prétent mefine un raisonnement aifé à faire du plus grand au moin

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& le Spectateur peut concevoir avec facilité, que fi un Koy, pour trop s'aband. nuer à l'ambition, à l'amour, à la haine, à la vangeance, tombe dans un malheur fi grand qu'il luy fait pitié, à plus forte railon, luy qui n'eft qu'un homme du commun, doit tenir la bride à de telles paífions, de peur qu'elles ne l'abîment dans un pareil malheur. Outre que ce n'eft une néceffité de ne mettre que les infortunes des Rois fur le Théatre. Celles des autres hommes y trouveroient place, s'il leur en arrivoit d'affez illustres, & d'affez extraordinaires pour la mériter, & que l'Hiftoire prift affez de foin d'eux pour nous les apprendre. Scedale n'étoit qu'un Païfan de Leuctres, & je ne tiendrois pas la fienne indigne d'y paroiftre fi la pureté de nostre Scéne pouvoit fouffrir qu'on y parlast du violement effectif de les deux Filles, aptès que l'idée de la prostitution n'y a pû eltre foufferte dans la perfonne d'une Sainte qui en fut garantie.

Pour nous faciliter les moyens de faire naiftre cette pitié & cette crainte, où Aristote femble nous obliger, il nous aide à choifir les perfonnes & les événemens, qui peuvent exciter l'une & l'autre. Surquoy je Luppole ce qui eft très-véritable, que noftre Auditoire n'eft compofé ny de méchans, ny de Saints, mais de gens d'une probité commune, & qui ne font pas fi févérement retranchez dans l'éxacte vertu, qu'ils ne

foient fusceptibles des paffions, & capables des périls où elles engagent ceux qui leur

déférent trop. Cela luppolé examinons

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ceux que ce Philofophe exclud de la Tragédie, pour en venir avec luy à ceux dans lefquels il fait confister fa perfection.

que

En prémier lieu › il ne veut point qu'un homme fort vertueux y tombe de la felicité dans le malheur, & foûtient cela ne produit ny pitié, ny crainte, parce que c'est un événement tout-à-fait injuste. Quelques Interprétes pouflent la force du mot Grec Maçon qu'il fair fervir d'Epithéte à cet événement, jufqu'à le rendre par celuy d'abcminable. A quoy j'ajoûte qu'un tel fuccès excite plus d'indignation & de haine contre celuy qui fait fouffrir, que de pitié pour celuy qui fouffre, & qu'ainfi ce lentiment, qui n'eft pas le propre de la Tragédie, à moins que d'eftre bien ménagé, peut étouffer celuy qu'elle doit produire, & laiffer l'Auditeur mécontent par la colère qu'il remporte, & qui fe mefle à la compaffion qui luy plairoit, s'il la remportoit feule.

Il ne veut pas non plus, qu'un méchant homme paffe du malheur à la felicité, parce que non feulement il ne peut naistre d'un tel fuccès aucune pitié, ny crainte: mais il ne peut pas mefme nous toucher par ce fentiment naturel de joye, dont nous remplit la prospérité d'un premier Acteur à qui noftre faveur s'attache. La cheute d'un méchant dans le malheur a dequoy nous plaire par l'averfion que nous prenons pour luy

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